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La finance islamique en Algérie : pourquoi et comment ? Acte II ! (1ère partie)

par Zerouali Mostefa*

«Les rivières ne se précipitent pas plus vite dans la mer que les hommes dans l'erreur !» Voltaire. (1)

Nombreux sont mes ami(e)s, mes contacts et mes séminaristes qui me demandent de revenir sur les concepts de la finance conforme aux préceptes et de la morale de l'islam, décrite comme éthique, socialement responsable et verte avec plus de précisions de ses différents référentiels et de ses objectifs réels autres que le profit et le gain financier. Ils m'ont surtout demandé de détailler et de clarifier les nombreux points d'ombre et d'amalgame que cette forme de finance suscite dans les milieux financiers en général et dans l'esprit des législateurs ou des autorités monétaires en particulier.

Ceux avec qui j'ai eu à travailler dans le cadre des différents projets d'élaboration de produits bancaires et d'instruments ou d'outils financiers filtrés conformément aux recommandations et aux normes de la finance islamique, dans le cadre des divers séminaires, ainsi que ceux qui ont suivi mes diverses contributions tendant à participer à la vulgarisation des pratiques de la finance islamique et enfin certains amis proches, souhaitent tous voir une analyse explicative et détaillée de l'apport potentiel de cette forme de finance en Algérie dans le contexte actuel ainsi que des conditions fondamentales préalables ou d'accompagnement de son développement.

En effet, suite aux diverses déclarations et orientations des officiels algériens concernant la nécessité de développer le marché algérien de la finance islamique, l'autorisation tacite accordée aux banques publiques de lancer des produits et des outils financiers conformes à l'éthique islamique et, enfin, la reconnaissance, même si parfois c'est à demi-mot et parfois à reculons, des avantages que cette finance spécifique pourrait apporter non seulement aux citoyens, mais également à la bancarisation d'importantes franges de la société algérienne, il devient, donc nécessaire d'apporter les précisions qui s'imposent pour la compréhension du concept.

Pour ce faire, il me semble que la première chose à faire serait de définir le concept et de simplifier sa compréhension, pas uniquement aux citoyens et consommateurs éventuels, mais aussi aux concepteurs et parrains de cette forme de finance. Ensuite, il serait intéressant de présenter quelques avantages essentiels et fondamentaux que les finances éthiques apportent en général et dont la finance islamique se singularise en particulier. Enfin, il sera également question de précisions et de clarifications de certains principes à même de participer à la réussite de l'intégration de la finance islamique comme une composante naturelle et fort pertinente du marché bancaire et financier en Algérie.

Pour commencer, je pense qu'il serait honnête de préciser que de nombreux spécialistes algériens travaillent déjà sur le concept de la finance islamique, beaucoup plus à l'international qu'au niveau domestique faute d'intérêt et de reconnaissance. Ces talents sont toute ouïe et tout à fait disposés à apporter leur expertise dans la mise en place des mécanismes et des outils du développement d'un vrai marché régional de la finance islamique.

Aussi, il y a lieu de rappeler et d'attirer l'attention des responsables algériens sur l'existence d'institutions internationales et régionales spécialisées pouvant contribuer directement et indirectement à l'enrichissement et à la réussite de la démarche lancée par les autorités nationales. Si la volonté des pouvoirs publics est réellement de développer une activité structurante du marché financier de façon pérenne et utile à l'économie nationale, il est nécessaire de partir sur de bonnes bases et d'identifier clairement quels objectifs doivent être prioritaires.

Allons donc essayer de démystifier au mieux ce concept et tenter de donner quelques éléments de définition à même de permettre au commun des lecteurs de comprendre la signification et le sens de la terminologie utilisée dans le jargon de la finance islamique. Par ailleurs, les autorités monétaires et les responsables financiers y trouveront, je l'espère, des simplifications et des explications qui permettront de cerner les opportunités et la portée des activités dont la finance islamique pourrait apporter notamment des solutions cohérentes, pratiques, efficaces et surtout utiles à la planification et aux objectifs ciblés en terme de réforme et d'amélioration du système bancaire national.

Le concept de finance islamique tel qu'évoqué par la plupart des spécialistes et des experts n'est pas très ancien et ne remonte pas à l'apparition de la religion islamique ni à l'élaboration et au perfectionnement du corpus juridique du droit islamique, en particulier le droit des contrats, et encore moins aux périodes de prospérité et d'ancrage des différentes dynasties musulmanes.

L'histoire de la finance islamique telle que définie par ses initiateurs et ses parrains est relativement récente et ses fondements théoriques ont commencé à être élaborés à partir des années trente, voire même des années cinquante. En effet, certains économistes, par ailleurs hommes des finances publiques et praticiens du métier de la banque, fortement imprégnés des préceptes théologiques islamiques, ayant analysé les causes, le déroulement et les conséquences dévastatrices de la grande crise de 1929, ainsi que celles qui suivirent ultérieurement (crise bancaire de resserrement de crédit et de volatilité des taux d'intérêt en 1967 aux USA qui s'est reproduite plusieurs fois entre 1969 et 1974), commencent à réfléchir sur les liens de ces crises avec les modes et les pratiques bancaires et financières ayant causé et amplifié leurs conséquences dramatiques.

Ils ont, par la suite, tenté de se référer aux principes et aux fondements de l'économie islamique en général et aux corpus juridiques des contrats en islam pour élaborer les premiers concepts de la finance islamique. Pour eux, si les méfaits des pratiques économiques, bancaires et financières classiques et conventionnelles étaient aussi graves, c'était certainement à cause de la fragilité, voire même l'absence du facteur éthique dans les comportements économiques et qu'il y avait nécessité de revoir inévitablement toutes les pratiques économiques, les pratiques bancaires et financières en particulier, pour ainsi les reformuler autour d'une éthique commune et des principes moraux, tirés principalement de la morale islamique.

Les premiers concepts d'organismes pratiquant des financements conformes aux préceptes de l'islam ont vu en réalité le jour au Pakistan et en Malaisie(2), mais pour des raisons politiques et des circonstances culturelles, l'Égypte fut le laboratoire des premières expériences et des tentatives de développement d'organismes de finance dont l'éthique est cohérente avec les préceptes de l'islam. Ce fut en 1962-1963, à travers un organisme d'épargne à Mit Ghamr, et ce fut sous un mentorat allemand !

Les premiers éléments d'une institution bancaire conforme à l'islam font leur apparition ultérieurement, voire même très récemment. Quelques années plus tard, d'autres pays ont suivi, tantôt pour prendre le relais aux expériences mises en échec, là également pour des raisons politiques et culturelles, tantôt pour répondre à une demande réelle et concrète émanant des sociétés à forte composante en populations musulmanes et qui exprimaient objectivement une forte aversion au concept de taux d'intérêt, assimilé à l'usure  (ribâa) prohibée par la religion islamique.

C'est à la faveur de l'apparition de l'Organisation de Coopération islamique (4) que les premiers jalons de l'apparition d'une véritable industrie de banque et de finance dite islamique avec des organes, outils et processus normalisés ont réellement été posés. Le succès de ces banques, notamment sur le plan social et de la rentabilité, avait encouragé plusieurs pays et de nombreux investisseurs à s'y intéresser de près et d'en faire une véritable profession au même titre que l'industrie financière et bancaire classique.

Le facteur politique n'a jamais été favorable ni encourageant à l'égard de l'industrie de la finance islamique dans les pays précurseurs et initiateurs. Cependant, des pays asiatiques à majorité musulmane qui avaient connu des développements économiques impressionnants exprimaient des besoins de financement tout aussi impressionnants et se sont vu constituer un véritable marché refuge aux épargnants sensibles aux aspects religieux. Nous citons à titre d'exemple : la Malaisie, l'Indonésie et le Pakistan.

Les pays du Golfe, non seulement de culture et de confession musulmane, mais également intéressés par la rentabilité proposée par ces pays asiatiques, ont franchi le pas et lancé à leur tour les premières opérations et institutions dans ce secteur. Ces pays se sont rendu compte rapidement que leurs citoyens avaient de l'engouement à cette forme de finance et ont lancé à leur tour des opérations de souscription et de financement d'investissements privés et publics, notamment dans le domaine immobilier.

Lors de la dernière décennie, surtout à partir de la crise financière des Subprimes de 2007-2008, ce sont les pays occidentaux qui se sont intéressés à la finance islamique pour diverses raisons : de plus en plus de leurs citoyens sont de confession musulmane, une immense épargne volatile des monarchies et des pays musulmans riches en pétrodollars, une diversification des risques et l'accès aux financements de certains actifs rentables, une pertinence de certaines notions et règles de cette finance.

La finance islamique a fini par se faire une place dans les milieux du business international malgré la prudence, l'incompréhension, l'aversion, voire même les craintes et les amalgames manifestés intentionnellement à son égard. Ses actifs actuels dépassent de loin le deux trillions de dollars, voire même les deux trillions et demi de dollars(5). En fait, ce n'est que le début du chemin, car tous les facteurs prospectifs, même les plus pessimistes, lui prédisent des jours meilleurs. D'ailleurs, nous constatons qu'elle affiche une santé et une stabilité insolente pour certains et tout à fait justifiée pour d'autres, plus initiés et plus avertis.

Revenons, après ce petit rappel historique, aux aspects qui nous intéressent dans cette contribution, à savoir la démystification de la finance islamique et la compréhension de ses atours et de ses contours. En effet, je vais revenir sur tous les aspects qui peuvent intéresser, d'abord, les professionnels initiés, les objectifs que les autorités monétaires et financières de notre pays peuvent atteindre à travers une maîtrise et une élaboration du cadre conceptuel et théorique des différents produits de la banque et de la finance islamique, les solutions proposées aux consommateurs et clients potentiels des produits de la banque et de la finance islamique.

En fait, lors de la crise des Subprimes de 2008, j'avais proposé une contribution sur les techniques, le cadre normatif, les principes et les solutions que la finance islamique pouvait apporter afin d'éviter ces crises cycliques que les régulateurs monétaires et financiers n'arrivent toujours pas à prédire ni à juguler définitivement. Il s'agit d'une analyse qui date du 11/10/2008, accessible sur le site d'information des musulmans d'Europe (www.oumma.com) via le lien suivant : (https://oumma.com/crise-financiere-mondiale-la-finance-islamique-serait-elle-une-alternative/). Cette contribution demeure toujours d'actualité concernant plusieurs volets relatifs à l'intérêt, aux objectifs et aux solutions que la finance islamique apporte en temps de crise et pour encadrer de nombreux points essentiels de l'activité bancaire et financière. Elle explique également ses principes directeurs et son cadre conceptuel. Elle démontre également que l'intérêt des Occidentaux à l'égard de cette finance n'est pas fortuit ni aléatoire, mais bel et bien construit autour d'objectifs et d'arguments assez solides.

Par ailleurs, avant cette date, j'avais déjà proposé une petite contribution publiée sur le journal Le Quotidien d'Oran®, en date du 07/05/2008 sur la nécessité pour l'autorité monétaire, pour l'argentier du pays, pour les banques publiques et pour le législateur algérien d'introduire convenablement cette forme de finance à la fois éthique, socialement responsable et très utile pour résoudre un certain nombre de problèmes financiers du pays.

Cet article comprenait déjà trois propositions principales pour l'introduction de la finance islamique en Algérie et la mise en œuvre de l'ensemble de ses avantages afin d'en faire profiter le pays, le marché bancaire national et les consommateurs algériens (adaptation du cadre législatif, adaptation de la fiscalité aux opérations et aux instruments bancaires et financiers de la finance islamique, création d'une autorité de supervision mixte entre l'autorité monétaire et les autorités religieuses). J'y reviendrais dans cette analyse avec plus de détails et d'enrichissements pour y intégrer les données les plus récentes.

A suivre

*Cadre de banque, expert et consultant en Finance islamique

Références et notes :

1- Philosophe français et homme de littérature. 1694-1778. Il avait une opinion de l'Islam très représentative de l'opinion que la majorité des spécialistes des finances ont de la finance islamique, à savoir : éprouver de l'admiration pour le corpus juridique et les objectifs socioéconomiques de cette forme de finance et en même temps émettre des doutes quant aux méthodes et objectifs de ses concepteurs et porteurs.

2- L'élaboration des premiers concepts de finance islamique a été réalisée au Pakistan au début des années cinquante. Ensuite, la première institution financière a été créée en Malaisie en 1956 pour solidariser le financement des voyages des pèlerins malaisiens sous le nom de «Perbadanan Wang Simpanan Bakal-Bakal Haji».

3- La banque a été nationalisée (fermée !) par le régime Nasserien cinq ans après sa création (1963-1968). Elle a été remplacée par la Banque Sociale Nasser en 1972.

4- A partir de 1970, avec la création de l'OCI, les activités de banque islamique ont pris une forme organisée et plus au moins structurée.

5- Les chiffres présentés lors de la 10ème édition du forum mondial de la finance islamique (finance alternative) tenu fin octobre à Dubaï, estiment la taille des actifs de la finance islamique à plus de 2 200 milliards USD en 2016 et 2 500 milliards USD en 2018 et à plus de 3 000 milliard USD en 2020.