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Justice et justiciables : quand l'expertise défie les règles élémentaires de déontologie

par N. Marouf*

  Il fut un temps où l'expertise judiciaire se tenait à l'écart du plaidoyer pro domo, et n'agissait pas aux ordres d'une des parties. Ce fut le cas des litiges fonciers qui, au lendemain de l'indépendance, exigeaient de l'homme de l'art - architecte ou géomètre - d'éclairer le magistrat sur les tenants et aboutissants de l'affaire pendante. Certains rapports nécessitaient de longues et patientes investigations, sur le terrain d'abord, confortées ensuite par la compilation d'archives au terme desquelles une argumentation sans failles permettait au juge de trancher en connaissance de cause.

Il semble aujourd'hui que l'expertise devient un business fructueux quand la déontologie laisse place au lucre et au népotisme.

Il nous est arrivé de lire, par exemple, dans ces rapports truqués, des évaluations comptables qui donnent le tournis. Dans un contentieux immobilier, par exemple, une surestimation volontaire d'un bien est souvent motivëe par l'attribution d'un prêt bancaire, l'expert y trouvant ainsi le moyen d'être rétribué à hauteur du service rendu.

Souvent l'expertise se fait à la hussarde parce qu'on n'a pas le temps de s'attarder à confronter les données, qu'il s'agisse des documents contradictoires remis par les parties en cause, ou d'informations susceptibles d'être recueillies auprès des organismes officiels.

Il en est ainsi lors d'une affaire en cours sur un litige entre frères concernant une huilerie à Tlemcen, d'un rapport d'expert attribuant à celle-ci une production annuelle supérieure à celle de toutes les huileries réunies de la wilaya. Cerise sur le gâteau, il est mentionné dans ce même rapport que la dite huilerie fonctionnait 10 mois sur 12, alors que n'importe quel citoyen familier de cette activité sait qu'une huilerie, du moins chez nous, fonctionne tout au plus 3 mois par an (soit la période de cueillette de l'olive). Mieux encore, il y est attesté que la quantité remise par les fellahs à l'huilerie correspond à celle emmagasinée par cette dernière, alors que tout le monde sait que l'huilerie ne retient que 5 à 7 % de la quantité d'huile produite, en guise de rémunération de la prestation.

Le danger ici est le sort réservé à ce type d'expertises, quand le magistrat, lui aussi acculé par l'amoncellement des dossiers en instance, cçde ã la facilité d'accréditer la version qui lui est soumise sans autre forme de procès. Un tel manquement risque, dans le cas d'espèce, de ruiner des familles entières.

Ainsi, justice aux ordres et / ou experts complaisants, le tout manipulé en sous-main par la cupidité ou le népotisme, voire les deux à la fois, donnent å la justice d'aujourd'hui une piètre figure.

*Anthropologue du droit