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Le mépris face au drame social du travail des résidents !*

par Mohamed Mebtoul

Incriminer et étiqueter de façon aussi désinvolte, «d'anarchie », le mouvement social des résidents, jugeant leurs revendications « d'illogiques », selon le Premier ministre, c'est s'enfermer dans sa bulle dorée, en ignorant le drame social du travail médical assuré au quotidien par ces praticiens dans un hôpital algérien.

On a tendance à oublier que le sale boulot est réalisé en grande partie par les résidents. Ils sont les premiers à être confrontés frontalement aux multiples aléas techniques et relationnels au cœur de l'espace de soins. Ils sont pris dans un double engrenage. Le premier, ce sont les tensions de la société portées par les patients anonymes, sans capital relationnel, et leurs proches parents légitimement stressés, angoissés, ne sachant parfois, même pas s'orienter dans le labyrinthe hospitalier.

Non formés aux aspects relationnels et aux enjeux qui se cristallisent dans le tissu social, les résidents tentent de parer les coups reçus de toute part. Ils exercent leur métier de médecin, dans l'urgence difficilement maitrisable, face à la cacophonie socio-organisationnelle qui marque profondément le quotidien d'un service hospitalier, plus particulièrement celui de l'urgence. Ils font face aux multiples incertitudes médicales, exerçant, particulièrement la nuit, dans l'isolement socioprofessionnel. Pour certains d'entre eux, ils ne disposent même pas d'une chambre propre, leur permettant de se reposer quelques instants, et prendre du recul par rapport à la multiplication des actes médicaux ou chirurgicaux.

Le deuxième engrenage, fait référence à la question centrale de leur formation et de sa qualité, étant aussi détenteurs du statut d'étudiant. Or, cette soif d'intégrer sereinement, et dans toute sa complexité, les ficelles de la profession médicale, subit au quotidien, des contrecoups, des irrégularités et des manques, dans un espace sanitaire peu propice au partage du savoir, marqué profondément par le flou organisationnel. Ce flou n'est pas seulement d'ordre technique mais aussi sociopolitique. En effet, le statut du résident n'a pas été clairement objectivé, actualisé et précisé dans tous ses détails, de façon consensuelle et démocratique. Enfin, le flou socio-organisationnel efface toutes les traces d'une multiplicité d'actes assurés quotidiennement par les résidents qui tentent de maintenir l'hôpital en vie ! Nos institutions font peu cas des micro-histoires des acteurs sociaux qui ont permis, par la médiation de l'abnégation, du sacrifice, de donner sens au travail médical. Mais les traces dans les espaces professionnels sont rarement objectivées, légitimées et mises en valeur. Face au silence et au mépris, la seule alternative est de brandir le bâton pour réduire le «dialogue» aux injonctions, en décalage avec la réalité sociosanitaire beaucoup plus complexe, qui impose beaucoup d'humilité aux responsables sanitaires, ne pouvant dès lors, s'enfermer dans un moralisme culpabilisateur à l'égard des résidents.

A l'écoute de leurs contraintes de travail

Dans un contexte sociosanitaire extrêmement fragile et inadapté pour pratiquer des soins de qualité, soumis en permanence aux multiples dysfonctionnements techniques et sociaux, il faut une part d'héroïsme au quotidien des résidents, pour ne pas craquer moralement. Quand les responsables ignorent le travail réel assuré par les résidents, la posture la plus logique est d'être à l'écoute de leurs contraintes de travail, en s'interdisant de prononcer publiquement et de façon péremptoire des mots qui sonnent faux, comme celui de désordre ou d'anarchie. Nos études l'ont montré amplement : les résidents sont les chevilles ouvrières dans un espace médical qui ne leur accorde ni reconnaissance sociale, ni un statut digne du travail inlassable réalisé de façon invisible, tortueuse, discontinue et où l'inventivité et le bricolage semblent se conjuguer pour tenter d'assurer dans l'ombre le geste qui peut sauver le malade. Force est d'observer que tous ces actes sont produits et reproduits dans la distance sociale avec la bureaucratie sanitaire vautrée dans des bureaux luxueux. Celle-ci est en effet très éloignée des préoccupations socioprofessionnelles du personnel de santé, reproduisant le statu quo administratif qui n'implique aucune prise de risque, puisque tous les chiffres transmis mécaniquement, ne font que conforter la hiérarchie politico-administrative qui a la fausse certitude de l'existence d'un système de soins « performant », puisque les rapports le disent !

Il faut prendre le temps de les observer courir et se démener, dans tous les sens, pour assurer le geste médical, transporter le malade vers la salle d'opération ou vers l'espace de radiographie. Les résidents, monsieur le premier ministre, sont perçus comme des médecins de seconde zone, que les pouvoirs publics mutent administrativement et parfois très aveuglément, sans tenir compte des besoins réels de tel ou tel hôpital, pour pratiquer une médecine fortement amputée de moyens, dans des zones géographiques démunies, parfois sans logement, ne leur permettant pas d'accéder à des conditions de vie dignes d'une élite en formation. Ils sont considérés comme des subalternes malmenés, devant sauver les « meubles » qui risqueraient de brûler sans leur intervention. Ils sont contraints d'assurer les mauvaises tâches dans une institution sanitaire qui fonctionne sans aucune autonomie, attendant de recevoir les injonctions pour acquérir un équipement donné, recruter un agent, une femme de ménage, etc.

Les résidents deviennent, par la force des choses, des bouc-émissaires, obligés de cacher les failles d'un système de soins qui s'est construit sans eux et en dehors d'eux. Ils sont contraints d'accepter des conditions sociales et techniques anomiques qui sont insupportables humainement. Est-ce donc « illogique », monsieur Le premier ministre, de souhaiter, des modalités techniques et sociales de travail plus appropriées ? N'ont-ils donc pas le droit d'exercer dans la dignité, au regard d'une activité médicale porteuse de risques importants, ayant un pouvoir sur la vie des personnes ? On ne peut pas « sacraliser le travail », comme vous le souhaitez, monsieur le premier ministre, en effaçant d'un seul trait, leurs revendications légitimes et urgentes qui vont précisément dans le sens de l'amélioration du système de soins algérien et donc de la reconnaissance publique et politique de leur double activité de médecin et d'étudiant. Nous remercions les responsables du quotidien en ligne le « Journal oranais » de nous avoir autorisé à reproduire une partie de notre article.