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Ces femmes invisibles de notre histoire

par Karima Benyelles

Qui se souvient, 60 ans après,de la première cellule de l'organisation des femmes algériennes créée par le FLN à Rabat ,au Maroc .Qui a évoqué ces femmes courage ,raconté leur histoire , leur combat quotidien pendant les années de la révolution algérienne.Ce sont ces femmes qui sont restées invisibles que je veux faire connaître aujourd'hui , et leur rendre l'hommage qu'elles méritent.

Ce bref témoignage vient de Mme Meziane Khedoudja , épouse de feu Abdelamdjid Meziane , et qui fut un membre actif du premier noyau constitué et qui a regroupé (selon ses souvenirs)notamment Mme Boualga Ghaoutia , Mme Belkacem Aïcha , Mme Damerdji Fatema-zohra , Mme Yadi Rachida , Mme Bendib Halima , Mme Bouamoud Fatima, Mme Guadouche et Mme Benabdellah.

Quasiment toutes épouses de moudjahidines dont la plupart étaient partis au front, elles se sont structurées en une cellule très active qui fut coordonnée à Rabat par feu Ahmed Chaoui et Si Allal. Leurs réunions se tenaient soit aux domiciles des concernées ( à tour de rôle), soit dans un local appartenant au FLN appelé «le local 30»,situé au Bd Temara, devenu aujourd'hui le Bd Hassan ll .

L'une de leur première mission fut de faire face à l'urgence humanitaire qu'était la prise en charge des réfugiés algériens . Il faut se rappeler que des dizaines de milliers de familles fuyaient la guerre ,ses violences,ses persécutions et partaient vers le Maroc et la Tunisie.

L'une de leur première mission fut de faire face à l'urgence humanitaire qu'était la prise en charge des réfugiés algériens . Il faut se rappeler que des dizaines de milliers de familles fuyaient la guerre ,ses violences, ses persécutions et partaient vers le Maroc et la Tunisie. Elles arrivaient souvent dans ces pays dans le dénuement le plus total , parce que parties en abandonnant tout derrière elles .

Les femmes de l'organisation leurs apportaient autant un soutien moral que logistique. Elles participaient à la recherche d'un logement ,et dans l'urgence, faisaient jouer la solidarité en les hébergeant temporairement auprès d'autres familles algériennes installées avant elles.

Grâce à la générosité de donateurs qu'elles sollicitaient ( et d'associations humanitaires), elles apportaient aux nouveaux venus des produits alimentaires, des vêtements, de la literie et leur permettaient ainsi de vivre dignement.

Parmi leurs activités,elles avaient aussi la charge de la collecte mensuelle des cotisations des familles algériennes.Pour ce faire,elles étaient structurées en binôme.Chaque binôme était responsable d'une zone qui recouvrait un ou deux quartiers de Rabat.

Mme Meziane Khedoudja se souvient pour sa part avoir été en binôme avec Mme Boualga Ghaoutia et elles avaient en charge deux quartiers populaires de Rabat où se concentraient de nombreuses familles algériennes : l'Ocean et Dior El Djamaa.Ces déplacements étaient aussi l'occasion ( à partir de 1957) de diffuser auprès de la communauté algérienne et vendre le journal El Moudjahid.En outre,elles confectionnaient des colis destinés à être envoyés aux moudjahidines au front.

Mais au delà de ces actions liées essentiellement à des aspects logistiques , elles ont joué un rôle important de mobilisation et de sensibilisation à la cause algérienne.

D'abord auprès des chancelleries présentes au Maroc où les audiences et entrevues étaient l'occasion pour elles de mettre l'accent sur les drames de la guerre et les souffrances endurées par la population algérienne :les exactions , les tortures , les massacres. Mme Meziane Khedoudja se souvient de deux rencontres intervenues l'été 1957 : les audiences avec les ambassadeurs suisse et américain .

Quant à la mobilisation, elles étaient parties prenante dans l'organisation de nombreuses manifestations publiques . Deux d'entre elles méritent d'être évoquées parce qu'elles ont été imposantes et ont impactées le cours des événements (notamment avec des conséquences diplomatiques):

-la marche organisée par les algériens lors du détournement d'avion du FLN (22 octobre 1956) et à laquelle s'est jointe spontanément la population marocaine.Le point de départ de cette marche était « le local 30 » , Bd de Temara , mais celle ci a dégénéré en véritable émeute avant d'atteindre le Palais Royal , provoquant dans son sillage des dizaines, voire des centaines de blessés.

-la deuxième manifestation ,qui fut impressionnante ,a été organisé le 13 novembre 1961,à l'initiative de l'Union Nationale des Forces Populaires marocaine (UNFP). Feu Hachemi Bennani ,grand syndicaliste marocain et leader de l'opposition y a joué un rôle moteur ,en relation avec les responsables algérien du FLN.

Cette manifestation a été organisée onze jours après le déclenchement de la grève entamée par Ben Bella et ses compagnons. Cette grève de la faim, avec le massacre des algériens le 17 octobre 1961 à Paris ont été les détonateurs de cette colère populaire.

Par un concours de circonstances, la manifestation a coïncidé avec les festivités du mariage de frère du roi, le prince Moulay Abdellah d'où la présence de nombreuses délégations étrangères à Rabat.

Le départ est pris , après un meeting des leaders de l'UNFP, du siège du parti et la foule se dirige vers le grand Bd Mohamed V .Plusieurs milliers de marocains ont scandé « la révolution algérienne est notre révolution «

Toutefois, les lances à eau et les matraques des policiers ont réussi à diviser la manifestation en deux. Une partie s'est dirigée vers le centre ville., Mme Meziane matraquée, arrosée a cependant réussi à rester en première ligne avec les groupes algériens qui se sont dirigés vers l'ambassade de France.

Arrivée à l'ambassade de France main dans la main avec Mr Omar Ait Ahmed (frère de feu Hocine Ait Ahmed), elle a confectionné une torche en plongeant un vêtement dans le réservoir d'un vélo-solex. Aidée par Ait Ahmed, elle a réussi à se hisser et enflammer le drapeau français. Un groupe de jeune a hissé le drapeau algérien à sa place .

Mr Omar Ait Ahmed , violemment agressé par les forces de l'ordre a été arrêté ainsi que près de 300 manifestants dont de nombreux algériens (selon l'UNFP).Mme Meziane a pu échapper à l'arrestation ce jour là grâce à Hachemi Bennani qui l'a emmené au siège de l'UNFP où elle a été interviewée par la presse marocaine .Mais si elle a échappé à l arrestation , elle n'a pas échappé , comme beaucoup d'autre à la violence de cette journée mémorable .

Que dire encore de ces femmes de caractère et de courage. Leurs actions peuvent être vues comme modeste mais elles ont été certainement nourries par de puissants sentiments de solidarité et d'engagements patriotiques et surtout guidées par l'amour inconditionnel de l'Algérie.

A toute ces femmes ,qui nous ont transmis cela en héritage je m'incline et je dis :merci.