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Conseil des ministres de l'Intérieur arabes: Conflit du Golfe et Iran s'invitent à Alger

par Ghania Oukazi

Remous au sein de la 35ème session du Conseil des ministres de l'Intérieur arabes, Saoudiens et Qataris se sont évités jusqu'à bousculer les règles protocolaires.

Le tout s'est passé sur fond d'accusations directes contre l'Iran «qui manœuvre pour déstabiliser le monde arabe.»

Alger a été ces derniers jours, le théâtre d'une agitation politico-diplomatique qui a mis sous les feux des projecteurs la profondeur des divergences entre les Etats membres de la Ligue arabe. Il a fallu aux invités arabes palabrer pendant de longues heures pour arriver à convaincre les délégations saoudienne et qatarie d'assister aux travaux de la 35ème session du Conseil des ministres de l'Intérieur de la Ligue arabe (CMIA) sans créer d'incidents diplomatiques. Prévue hier à 10h30, la réunion n'a été ouverte qu'à 12h. Avec ça, dès la prise de parole par le ministre de l'Intérieur d'Arabie saoudite, la délégation qatarie s'est retirée de la salle. La réciprocité a été de fait. La délégation saoudienne ne s'est pas gênée non plus pour quitter la salle dès que le ministre qatari a commencé à discourir. Pour rappel, l'Arabie Saoudite, l'Egypte, les Emirats arabes unis et le Bahreïn ont le 5 juin 2017 rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, l'accusant officiellement de financer le terrorisme. Avant de passer à l'acte, les trois pays lui avaient imposé des conditions, entre autres de ne plus financer les groupes terroristes, de fermer la chaîne El Jazera et de ne plus intervenir dans les affaires internes des pays. «Le Qatar n'a appliqué aucune clause de cet accord, c'est pour cela que les relations diplomatiques ont été rompues, » nous précise une source diplomatique des pays du Golfe. Les Etats-Unis ont depuis quelques mois, lancé une médiation entre les pays concernés et le Qatar « mais la situation est bloquée.»

Dans la rencontre d'Alger, les ministres de l'Intérieur d'Arabie Saoudite, du Yémen, du Bahreïn et des Emirats Arabes Unis ont mis, pour cette fois, devant la scène la République islamique d'Iran et ce en l'accusant directement d'être à l'origine du terrorisme et de la déstabilisation du monde arabe.

Les pays du Golfe accusent l'Iran

«Ce que fait l'Iran par ses interventions dans divers pays du monde et particulièrement dans ceux arabes, son soutien au terrorisme, ses manœuvres pour la déstabilisation du monde arabe, sa déflagration des sociétés par les bras terroristes et extrémistes qu'il a créés et qu'il entretient dans un certain nombre de nos Etats arabes nous oblige à le considérer comme étant un danger auquel on doit faire face, surtout que ces organisation terroristes défient aujourd'hui les Etats légitimes et leur extirpent la décision et la souveraineté, » a déclaré hier le ministre de l'Intérieur saoudien, l'émir Abdelaziz Ben Saoud Ben Naeif Ben Abdelaziz Al Saoud, du haut de la tribune du CIC. L'orateur estime que «le renforcement de la coopération entre les services de sécurité arabes est aujourd'hui la revendication principale qu'exigent de nous les dangers qui nous entourent(?), les stratégies et rapports sécuritaires que nous allons examiner visent à renforcer un travail sécuritaire collectif(?). » Les pays du Golfe se sont comme entendus entre eux pour accuser à partir d'Alger l'Iran de vouloir mettre le monde arabe à feu et à sang. Etant une grande adepte de «la politique d'équidistance » dans la gestion des conflits, l'Algérie ne devrait pas en principe accepter ce genre de confrontation directe sous son propre toit. L'on se rappelle que pendant la crise diplomatique entre l'Arabie saoudite et l'Iran après la mise à mort de théologiens chiites dans le sud du royaume, Alger avait mis dos à dos les deux pays. La diplomatie sait que l'Algérie tient à un juste milieu dans les conflits opposant les Etats. Intérêts stratégiques obligent, l'Algérie n'a jamais nié que l'Iran est pour elle un allié de taille notamment dans la gestion des affaires de l'OPEP et bien au-delà. L'Arabie saoudite le sait. Son ministre, en visite officielle depuis plus trois jours à Alger, est venu convaincre les plus hautes autorités du pays d'aider à repousser « le spectre » iranien du monde arabe et de circonscrire les velléités de projection de la Turquie d'Erdogan vers l'Afrique. Les ministres de l'Intérieur libyen et tunisien ont évoqué en marge de la réunion «la coopération avec l'Algérie pour lutter contre le terrorisme (..). » Tous les intervenants arabes ont appelé à plus de coordination entre leurs organismes sécuritaires et politiques.

«Libérez les fatwas des mains des pseudos théologiens»

Un concept qui ne peut trouver d'écho au sein de la Ligue arabe tant les dissensions sont profondes entre ses Etats membres dont une grande partie sont des prestataires de services par excellence pour des agendas américains et israéliens qui programment la fragmentation de la région.

Ahmed Ouyahia a ainsi évoqué hier les bouleversements du monde arabe provoqués par «des calculs et manœuvres régionales et même lointaines(?), engendrant des crimes multiples(?). » Il mettra en avant le règlement de la question palestinienne par la création d'un Etat palestinien avec El Qods comme capitale pour, dit-il « éloigner le monde arabe des dangers de l'explosion régionale. » Dans un discours lu par Bedoui, le président Bouteflika a mis aussi le doigt sur les menaces et les tentatives de déstabilisation qui pèsent sur les pays arabes. Il en appelle alors à « la vigilance, la coopération, la coordination, le travail collectif entre les Etats arabes. » Il leur recommande de faire barrage -par des mesures précises- « aux idéologies étrangères à notre religion émanant de réseaux terroristes dans certaines régions arabes, la cybercriminalité, la traite des êtres humains, le financement du terrorisme, l'émigration clandestine, le crime organisé, drogue, armes(?) la cybercriminalité que l'Algérie met en tête de ses préoccupations(?), lutter pour la préservation de nos frontières(?), à conformer nos structures sécuritaires aux besoins et aux exigences de la conjoncture. » Bouteflika demande aux Etats arabes de «libérer les fatwas des mains des pseudos théologiens.»

La 35ème session du CMIA s'est tenue à Alger en présence de 22 ministres arabes de l'Intérieur. Seule la Syrie était absente de la rencontre. Le pays d'Al Assad, faut-il le rappeler, a été exclu de la Ligue arabe le 12 novembre 2011 sur décision notamment des pays du Golfe. L'Algérie n'y a jamais été consentante mais, disent ses diplomates, « elle ne peut adopter la politique de la chaise vide tout en continuant à soutenir le président syrien.»