Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'éternelle problématique de la collecte des ressources bancaires en Algérie: Perspectives de développement de l'épargne (Suite et fin)

par Benchohra Menouar*

La substitution au marché financier

Le marché financier constitue le point de passage d'une économie d'endettement à une économie de marché. En Algérie le marché financier est encore à ses balbutiements, il n'a aucun rôle effectif dans le financement de l'économie par l'offre de titres et donc de liquidité. En réalité, il est quasiment inexistant à cause de l'environnement défavorable des affaires et de la mentalité auxquels il faut ajouter la faiblesse de l'encadrement réglementaire, du manque de professionnalisation des intervenants qui sont la Bourse, les banques commerciales, intermédiaires en Opérations de bourse ou courtiers, mais surtout de l'inexistence d'une volonté politique.

Depuis son lancement effectif en 1999, la Bourse d'Alger ne compte, à ce jour, c'est-à-dire après deux décennies d'activité, uniquement cinq (5) titres côtés - 9

Seul le Trésor public, par les biais des OAT, obligations assimilées du Trésor, donne parfois des bouffées d'oxygène à la Bourse d'Alger puisqu'elles constituent des instruments financiers liquides.

Parmi les mesures envisagées par le ministère des Finances, il y a quelques années, et qui n'ont jamais vu le jour, figurait l'option d'encouragement des grands groupes privés, des PME et des entreprises publiques à l'ouverture de leur capital au public et aux investisseurs et leur introduction en bourse pour accroître le nombre de titres de capital et en valeurs mobilières.

Ce choix peut être appliqué aux entreprises publiques endettées mais le Premier ministre a contourné cette solution de privatisation par la Bourse. Portant elle a l'avantage d'imposer aux entreprises de se plier à des normes marchandes de gestion et de pouvoir les évaluer à un niveau proche de leur valeur réelle. La démarche a été exclue par l'interdiction aux entreprises publiques d'être cotées en Bourse.10

Néanmoins, il convient de citer, dans ce contexte, les mesures qui ont surtout été performantes dans les pays du Sud-Est asiatique où l'expérience est plus développée.

En Corée du Sud, par exemple, dans les années 90, les autorités ont en Corée du Sud , par exemple, dans les années 90 , les autorités ont décidé, vu le discrédit du marché financier et la préférence du public à l'épargne à court terme, de rendre les obligations et les actions émises par les entreprises endettées par l'Etat, similaires à des dépôts d'épargne bancaires. Pour être acceptées par le public, les autorités coréennes ont, par ailleurs, exigé que les obligations soient garanties par les banques commerciales et que les dividendes versés sur les actions soient similaires aux taux d'intérêt consentis par les banques commerciales sur les dépôts à terme et ce, même si les entreprises ne réalisent pas de bénéfices.

Ces mesures peuvent s'adapter dans notre pays, s'agissant de la privatisation des entreprises publiques comme alternative au partenariat public-privé, d'autant plus qu'un grand nombre de créances sur les entreprises publiques sont détenues par les banques publiques.

La récente instruction de la Banque d'Algérie11 donne la possibilité aux banques commerciales, afin de les alléger, de se refinancer par le biais de ces créances, c'est-à-dire les effets publics, émis ou garantis par l'Etat, négociables sur un marché et éligibles aux opérations de politique monétaire et qui représentent les bons du Trésor à court terme, les bons du Trésor assimilables, les obligations assimilables du Trésor. Cela peut constituer un premier pas pour l'expérimentation de l'exemple de la Corée du Sud. Les banques peuvent jouer un rôle important dans le processus de transfert et la monétisation de ces actifs par le public par l'appel à l'épargne. Autrement dit dans une première phase, les bons du Trésor ou obligations, émis par l'Etat en contrepartie des dettes des entreprises publiques, seront rachetés par les particuliers ou les salariés eux-mêmes.

Par ailleurs, l'Etat peut également envisager l'éventualité de faire associer le public dans la cession du capital de certaines entreprises publiques comme période d'apprentissage. Ainsi, il peut, à titre d'exemple, initier une ouverture partielle du capital social aux investisseurs privés, une sorte de privatisation partielle dans laquelle il n'y a pas de transfert de pouvoir de décision au privé.

L'Etat continuera de contrôler l'entreprise mais avec une logique de marché ou seule sera prise en considération la recherche de la rentabilité du capital, c'est-dire des actions détenues par les investisseurs, salariés ou autres..

Par l'une ou l'autre mesure ,le Trésor public pourra lever des fonds et renflouer l'épargne avec le concours des établissements financiers, puisqu'il est entendu que dans ce genre d' opérations, ces derniers interviennent en tant qu'émetteurs de titres financiers (actions et obligations ).

La privatisation des entreprises publiques, par le biais du partenariat public-privé ? tel que préconisée par le gouvernement ne semble pas une bonne solution ni par leur cession au capital privé algérien, ni au capital étranger compte tenu de l'échec de certaines opérations à l'instar du complexe sidérurgique d'El Hadjar, et pour l'heure en raison du manque de maturité économique des entrepreneurs privés algériens mais surtout de la forte hausse du chômage.

L'excédent budgétaire

La politique économique expansionniste qu'a menée l'Algérie depuis une décennie et jusqu' à la mi-2014 grâce aux revenus conséquents tirés du pétrole n'a pas réussi à accroître la croissance: le financement frénétique des dépenses publiques n'avait aucune rationalité économique...

Les déficits budgétaires énormes, depuis 2014 , dus à l'effondrement de ces revenus associé à la faiblesse endémique de la fiscalité ordinaire, témoignent de l'échec de la politique économique du pays. : une situation pareille n'a cessé d'épuiser davantage l'épargne financière de l'État.

Le discours trop entendu de l'amélioration du recouvrement de la fiscalité ordinaire, notamment la fiscalité directe sur les bénéfices des sociétés et la fiscalité indirecte intérieure n'apportera rien de plus que ce qui a déjà été dit ou fait dans le passé. Pour l'heure, la situation des finances publiques semble en voie d'amélioration avec un déficit budgétaire qui enregistre une forte baisse en 2017: le déficit budgétaire qui était de - 7.7 % du PIB en 2014 a doublé en 2015 pour atteindre-15,6 %, et revenir en 2016 à -12,5 %, alors que durant les neufs premiers mois de l'année 2017 ,il se situerait entre -6 et -7% du PIB selon la Banque d'Algérie..

Afin de favoriser la mobilisation d'une épargne intérieure , il existe une variable de remplacement du marché financier, qui consiste à planifier un excédent budgétaire.

Il s'agit de déterminer un surplus à partir des recettes fiscales et des dépenses qui sera, par la suite, réparti entre secteur public et secteur privé sur une base concurrentielle .

Le bien fondé d'une telle pratique a été prouvé par l'expérience Japonaise, après l'ère Meiji (1868 - 1921) et au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Bien que le contexte fût différent comme le volume des dépenses publiques de l'Etat ou de l'empire de l'époque, ceci est envisageable.

En Algérie, c'est la prolifération des circuits de financement de la dépense publique -à cause de la lenteur de son exécution- par le recours aux comptes spéciaux du Trésor (comptes d'affectation spéciale )abritant des sommes colossales parallèlement au budget général qui n'est pas maitrisée et qui pose problème aux comptes financiers de l'Etat.

Une fois ces ressources disponibles, elles sont directement affectées à des investissements productifs aux mains du privé et à des investissements pour la collectivité.

En outre, l'excédent budgétaire, en témoignant de la volonté de redressement économique d'austérité , renforce sa confiance vis-à-vis du secteur privé ; celle-ci stimulera la demande globale et maintiendra en l'état l'assiette de l'impôt.

Ceci justifiera, à postériori le recouvrement de l'impôt-notamment la fiscalité ordinaire qui échappe à la caisse du Trésor public- étant à l'origine de l'excédent budgétaire comparativement aux incitations fiscales qui, en facilitant l'accroissement des liquidités ne favorisent pas les entreprises ou les particuliers dans l'incapacité de mobiliser des fonds nécessaires à leurs investissements.

Les crédits disponibles grâce aux économies du secteur public. profiteront, en revanche, aux entreprises existantes comme aux investisseurs nouveaux.

Vulgarisation du marché des devises:

Outre l'excédent budgétaire, il existe une autre perspective qui est la la gestion des dépôts en devises par une politique de vulgarisation de ce marché. En Algérie, la détention des devises se justifie par des politiques de dépréciation du dinar, de déficit budgétaire, de surliquidités,de resserrement des contraintes de commerce, de taux d'intérêt bas.

La monnaie nationale, en perpétuelle dévaluation ( en quatre années le dinar a perdu de 40% de sa valeur) en conséquence , n'est plus attractive face aux monnaies devises se substituant à elle dans les opérations de transactions commerciales , et ainsi l'épargne des ressortissants nationaux à l'étranger est détournée vers les marchés sous terrains ou conservée à l'étranger.

Les autorités, en intégrant les transactions en devises officiellement et récemment encore l'instauration du fonctionnement du marché interbancaire des changes, des opérations de change au comptant, les opérations de change à terme de couverture du risque de change et les opérations de trésorerie devise12 espèrent:

l Un meilleur contrôle des emplois des avoirs disponibles en devises.

l La détention de comptes auprès des banques algériennes à l'étranger -comme cela est prévu en France - pour La stimulation des transferts des devises par les travailleurs émigrés.13

Mais tout dépendra des procédures monétaires: les transferts des avoirs en devises sont fonction du rendement relatif de ces dépôts conjugué aux risques et des variations de change réels et prévisionnels.

S'ajoute à cela l'imposition fiscale qui demeure toujours une barrière à la mobilisation de l'épargne puisque même les produits de placements en monnaies devises sont assujettis aux mêmes règles et aux mêmes mécanismes que les produits de placements en monnaie nationale.

Enfin, il reste une mesure radicale que les autorités monétaires dans notre pays doivent avoir le courage de prendre et qui s'inscrit dans le cadre de l'élimination progressive du contrôle de changes.

Il peut y avoir une libéralisation des marchés avec la levée progressive des restrictions dans les mouvements des capitaux et l'expérience de notre pays a montré notamment que cette politique de barrière n'a eu que des effets négatifs, par exemple elle n'a pas pu contrecarrer la dépréciation du dinar et a même permis l'essor du marché noir des devises.

Ceci dit, les autorités monétaires du pays peuvent envisager, à titre expérimental, la vulgarisation du marché parallèle des devises.

Il ne s'agit pas de substituer les monnaies étrangères au dinar et leur utilisation dans les transactions commerciales - comme la dollarisation en Amérique Latine dans les années 70 ou l'usage d'autres monnaies dans d'autres pays de l'Asie ou de l'Afrique dans les années 80.

L'objectif est d'autoriser tout simplement la liberté de détention des devises par les particuliers en dehors des banques et d'en user librement sans aucune restriction,ni répression. Ainsi le marché sera renchéri par l'offre de monnaies étrangères dont dispose le public par rapport à la demande et l'équilibre sera atteint automatiquement dans le temps.

Ainsi une capacité de financement en devises plus importante entrainera nécessairement une diminution de la parité entre le dinar et les autres monnaies ou alors mettra un frein à ce niveau de prix en croissance de la devise, dans une logique de limitation des importations.

L'interdiction de détention des monnaies étrangères par le résidents, continuera de susciter, à contrario, une méfiance à l'égard du dinar mais surtout une fuite de capitaux à l'étranger. et un manque à gagner pour les banques du pays.

*Retraité, ancien sous directeur au Trésor public

SOURCES:

9- La Bourse d'Alger est instituée par le décret législatif 93 /10 de 1993 ,amendé et complété par la loi 03/04 du 17 Février 2003 relatifs au marché des valeurs mobilières.

10-Voir article Partenariat public-privé, privatisations: La tripartite en dix points par Abed Charef , quotidien d'Oran en édition du 26/12/ 2017.

11-Règlement Le règlement n°17-03 du 6 décembre 2017 modifiant et complétant le règlement n°09-02 du 26 mai 2009 relatif aux opérations, aux instruments et aux procédures de politique monétaire a été publié au Journal officiel n°03.

12-Règlement n° 17-01 du 10 juillet 2017 relatif au marché des changes et aux instruments de couverture du risque de change.

13- Selon les statistiques de la Banque mondiale, les émigrés algériens ont transféré, en 2016, un montant de 2,4 milliards de dollars vers le pays. Une autre évaluation par l'union économique donne les chiffres suivants : pays voisins 7 milliards Euros par an, Algérie 1.08 milliards euro par an.