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Migrants en Europe: De l'Homo sapiens à la xénophobie d'Etat

par Ammar Koroghli*

Dans une circulaire du 12 décembre 2017, le ministère français de l'Intérieur prévoit d'envoyer dans les centres d'accueil des missions administratives chargées de procéder au tri des immigrés présents.

Les préfets devront déployer «de façon progressive» des «équipes mobiles» pour «procéder à l'évaluation administrative » des personnes étrangères, en hébergement d'urgence et de «veiller à une orientation adaptée» de ces migrants, selon leur droit au séjour.

S'agirait-il de recenser les étrangers en situation irrégulière à diriger vers les centres de rétention en vue de les reconduire à la frontière, pour certains, et les expulser pour d'autres ? Selon cette circulaire, «au terme de cet examen, une orientation adaptée» devra être envisagée. Les réfugiés iront vers un «logement pérenne» et les demandeurs d'asile vers le dispositif dédié. Une seconde circulaire précise que «20.000 logements» seront mobilisés, dans les régions, d'ici à fin 2018 pour accueillir les réfugiés, selon une «répartition équilibrée ». Force est d'observer qu'en matière d'asile, ladite circulaire mentionne le doublement de la durée de rétention (de 45 jours à 90 jours), le raccourcissement des délais de recours (2 semaines au lieu de 1 mois) et sans doute l'intention affichée d'accroissement du nombre des expulsions. «La chasse aux sans-papiers» pourra avoir lieu, dès lors que la «retenue administrative» pour vérification du droit au séjour sera augmentée de 16 à 24 heures, avec renforcement des pouvoirs d'investigation»...

Le droit d'asile (et d'immigration) se réduit, progressivement, d'année en année, pour devenir une peau de chagrin. Des personnalités du monde associatif s'en offusquent et dénoncent, par avance, ce recensement qui risquerait d'aboutir à des reconduites à la frontière (voire des expulsions) des étrangers, en situation irrégulière («sans papiers»). Reçues par le Premier ministre, les associations caritatives exigent le retrait de la circulaire précitée, ainsi que l'adoucissement du projet de loi sur l'immigration qui devrait être étudié, prochainement, par l'Assemblée nationale. Ainsi, le Secours catholique et la Fédération de l'entraide protestante condamnent «un renoncement, sans précédent, aux valeurs et aux traditions humanistes».

Dans la presse française, de nombreuses voix s'élèvent contre ces mesures, ainsi, dans ?La Charente libre', Jean-Louis Hervois n'hésite pas à dire que «la loi que prépare (...) Gérard Collomb ne sera que l'expression de notre lâcheté commune devant la misère du monde, à nos portes. Et de nos peurs... Par nos votes et par nos silences, par notre résignation, nous avons renoncé à donner l'exemple».

Pour Le Clezio, prix Nobel de littérature : «S'il est avéré que pour faire déguerpir les migrants qui dorment sous une bâche par six degrés en dessous de zéro, les milices crèvent leurs têtes, s'il est avéré que l'on rafle les pauvres dans les rues en séparant les familles et qu'on les enferme avant de les expédier par avion dans leur pays supposé, s'il est avéré qu'on pourchasse les misérables comme s'ils étaient des chiens errants. Eh bien, cela est dégueulasse, il n'y a pas d'autre mot.» (L'Obs du 11 au 17-01- 2018). Pour Serge Slama, professeur de droit public à l'Université Grenoble-Alpes : «On voit bien qu'il s'agit de donner un signal plus que d'être efficace. Le gouvernement veut, avant tout, dissuader les migrants de venir en France.» Le gouvernement semble être sur une ligne plus dure que ses prédécesseurs.

De l'Homo sapiens...

En 2017, sur le site de ?Jbel Irhoud' (Maroc), le plus ancien fossile d'Homo sapiens (squelettes et restes de crânes) a été retrouvé. Les premiers hominidés découverts en Ethiopie datent de 200.000 ans ; ceux de Jbel Irhoud dateraient de 300. 000 ans (ce qui fait reculer de 100.000 ans les origines de notre espèce. «Homo sapiens, l'homme moderne, était présent il y a 300.000 ans dans le ?Sahara vert' qu'était alors l'Afrique, à la faveur de modifications comportementales et biologiques» (sciencesetavenir.fr. 7 juin 2017). Notre espèce est, donc, née en Afrique du Nord, à un moment de l'histoire où le Sahara était vert, chaud et humide, «avec des lacs grands comme l'Allemagne», nous dit-on. Avant l'espèce humaine (actuellement au nombre de 7,5 milliards) peuplant la Terre, conçue comme village planétaire, a eu lieu une lente et longue évolution. Avant l'arrivée de l'Homo sapiens en Europe, l'Homo neanderthalensis y était présent. La population européenne (des Néandertaliens) a été estimée à environ 150.000 individus. En quelque 10.000 ans, cette population européenne de Néandertaliens va, progressivement, céder la place à l'Homo sapiens.

C'est ainsi que Sapiens d'Afrique et Neandertalien d'Europe ont cohabité plus de 10.000 ans sur les mêmes terres. Et, nous dit-on, ils ont appris, ensemble, à chasser, à s'abreuver aux mêmes points d'eau et à se protéger des mêmes dangers et des dures conditions climatiques. Dans notre récit humain, on peut imaginer que les deux espèces se sont rencontrées. Cette cohabitation n'a, probablement, pas toujours été idyllique ; des affrontements pour pouvoir survivre dans les «niches écologiques » d'alors ont-ils eu lieu ? Vraisemblablement. Après tout, jusqu'au siècle dernier, il y a eu deux guerres mondiales (avec utilisation de l'arme atomique), outre les terribles violences engendrées par les politiques coloniales et de l'esclavagisme... A ce jour, nombre de conflits continuent de marquer l'actualité (souvent attisés par les puissances du moment, par des pays riches économiquement, surindustrialisés, jaloux de leurs souverainetés et de leur civilisation - voire de leur identité - et exportateurs d'armes. Ces pays disposeraient d'un arsenal nucléaire qui pourrait détruire, deux à trois fois, la Terre et, nous dit Riccardo Petrella, politologue italien, «la guerre est l'activité économique la plus rentable après l'industrie pharmaceutique et informatique»).

Partis d'Afrique, berceau de l'Humanité, ces hommes modernes (Homo sapiens) ont commencé à se disperser dans le monde, suite aux multiples vagues de migrations. C'est dire si le phénomène migratoire est vieux comme l'Humanité. Homo sapiens a, également, parcouru de vastes distances, sur le continent asiatique, voire de l'Océanie. Ainsi, des ossements d'Homo sapiens, datant de 70 000 à 120.000 ans, ont été mis au jour, dans le sud et le centre de la Chine. Des indications génétiques révèlent, aussi, des croisements, tout aussi anciens entre des humains modernes et d'autres hominidés, déjà présents en Asie, comme les Néandertaliens et les Dénisoviens, des cousins disparus. C'est ce qu'avance une nouvelle étude, remettant en question l'hypothèse, communément acceptée, d'une unique grande vague migratoire, il y a environ 60.000 ans (revue Science du 8-12-2017). Et il semble bien que «la migration de l'Afrique vers les autres continents est l'un des événements majeurs dans l'histoire humaine... Cette migration aurait démarré voilà 90.000 ans, au plus tôt, et 62.000 ans au plus tard... Qui aurait donc l'outrecuidance d'arrêter ce phénomène migratoire qui a commencé et qui a duré des centaines d'années ? Comprendre quand les humains modernes ont quitté l'Afrique et rejoint l'Europe et l'Asie est fondamental dans l'étude de l'évolution humaine. Par exemple, les scientifiques ont pu déterminer qu'en Europe, les êtres humains partagent la même lignée avant et après la dernière ère glaciaire (Delphine Bossy, Futura). Si la migration date de si loin et continue à ce jour, que peut l'homme de la nouvelle cité politique, policé, civilisé, post-industrialisé contre ce mouvement humain naturel et daté par l'histoire et dicté par les contingences politiques et économiques et les conditions climatiques de certains pays ? Ce qui est à craindre, c'est que toutes les tentatives de l'enrayer n'aboutira, in fine, qu'à confirmer ce que d'aucuns qualifient de xénophobie d'Etat, c'est-à-dire aboutir à la négation des droits de l'Homme qui comprend, notamment, la justice, la liberté, la solidarité, la tolérance, le respect, l'équité qui sont, autant de valeurs essentielles de la démocratie dont les pays du Nord se veulent les uniques dépositaires. D'aucuns n'hésitent, donc, plus à dénoncer cette xénophobie d'Etat.

... A la xénophobie d'Etat

Une phrase malheureuse de feu Michel Rocard : «Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde» est depuis galvaudée. Ce, alors même, que les chiffres concernant l'immigration n'ont pas varié depuis dix ans. Ainsi, près de 200.000 étrangers, seulement, pénètrent sur le territoire français chaque année. Dans le même temps, 100.000 en repartent. Parmi ceux qui arrivent, on compte 90.000 personnes, à l'un des titres du regroupement familial, 60.000 sont des étudiants, 35.000 (en 2016) des réfugiés politiques (Slate.fr du 6-8-2017). Et l'un des observateurs les plus assidus sur les questions relatives à la migration, Patrick Weil, constate : «Ce qui me frappe, c'est qu'à l'arrivée au pouvoir de Trump et de Macron, les premières mesures visent les étrangers... En France (...), nous avons un président moins provocateur, aimable dans son apparence, souriant et ouvert à l'accueil des réfugiés à Bruxelles, mais dans la pratique, sur le terrain, à Calais et dans sa région, ce sont des droits fondamentaux qui sont bafoués par le pouvoir exécutif... Même sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, il n'y avait pas eu un tel déferlement de violence... Même sous Giscard d'Estaing, les personnes n'avaient pas fait l'objet d'une telle violence sur le plan physique... Continuer, comme aujourd'hui, dans le déni et le mensonge c'est, politiquement, entretenir le Front national. Du point de vue du droit, on laisse se perpétuer des traitements inhumains et dégradants sur le sol de France, comme l'a constaté la Justice.

Et, ce que les juges ont constaté s'apparente à une atteinte à l'article 16, le plus important de nos institutions, celui de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Celui-ci énonce, pour mémoire, que «toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. » (Slate.fr du 21-7-2017).

Rappelons que, dans toute l'Europe, c'est durant les années quatre-vingt-dix que resurgissent le racisme et la xénophobie. En Grande-Bretagne où, en apparence, l'extrême droite demeure groupusculaire, on y observe, alors, des «violences racistes» ; en Allemagne, il y a eu une poussée meurtrière et franchement xénophobe, avec la montée en puissance des droites dites radicales, teintées de populisme ; en Italie a été dénoncée une haine de l'étranger, sous fond de succès électoraux avec la Ligue du Nord et des néo-fascistes du MSI (Mouvement social italien). Ainsi, également avec la petite Belgique (dont autrefois les immigrés belges résidaient en France), il y a eu une fièvre de xénophobie sur fond de crise nationale avec des scores électoraux des nationalistes flamands. Plus récemment, l'Autriche où désormais l'extrême droite participe au pouvoir avec six ministres à des postes- clés, dont celui de vice-chancelier...

Une question se pose, alors, à cette Europe prompte à donner des leçons de démocratie, allant jusqu'à inventer l'idée de l'existence d'une arme de destruction massive, en Irak, pour envahir ce pays et le destructurer durablement. Que sont devenus les idéaux à vocation universaliste, leviers de la démocratie et valeurs essentielles des droits de l'Homme : la justice, la liberté, la solidarité, la tolérance, le respect, l'équité, sont des valeurs essentielles de la démocratie ? De quel homme parle-t-on en définitive ? Pourtant, on nous a enseigné que les droits de l'Homme sont des droits fondamentaux de la personne humaine tels que répertoriés dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme, la Convention européenne des droits de l'Homme et d'autres conventions importantes de l'ONU qui protègent, pour l'essentiel, les droits civils et politiques (droit à la vie et la liberté d'expression), les droits économiques, sociaux et culturels (droit au travail ou à la santé) et les droits des personnes vulnérables (enfants ou détenus). Il est vrai, également, qu'en principe, diverses institutions internationales contrôlent le respect de ces droits, notamment le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, la Cour européenne des droits de l'Homme et la Cour pénale internationale.

Il n'est pas superfétatoire de préciser, ici, que ces mêmes droits sont, également, à protéger et à promouvoir par les Etats d'Europe en leur qualité d'Etats d'accueil de réfugiés et d'immigrés. Aussi, se pose la question de savoir si les mesures prises, en France, pour lutter contre «l'immigration illégale» constituent un modèle de vertu. Ce, lorsque l'on observe les actes, à l'actif du pouvoir politique ; ainsi, la création d'un ministère de l'Immigration et de... l'Identité nationale, des aides au retour vers les pays de l'Est, d'une réforme contestée du droit d'asile en 2015... Aujourd'hui, il est envisagé la création de hotspots (ou «centres avancés») de traitement des demandes d'asile, au sud de la Libye, au nord du Tchad et au nord du Niger. Habituellement, c'est à l'intérieur des frontières françaises que les demandes d'asile sont examinées. Il s'agirait, en quelque sorte, de délocaliser l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) au Sahara (Tchad-Niger-Libye) où les requêtes des candidats à l'asile seraient, directement, étudiées sur place. Or, la procédure actuelle de demande d'asile peut offrir quelques garanties d'impartialité aux migrants : examen approfondi de leurs demandes, possibilité d'un recours auprès de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA)?

Avec ces «centres avancés», pense-t-on sérieusement être crédible, efficace et humain ? Ne s'agirait-il pas purement et simplement d'une sorte de «mise sous tutelle » des pays visés supra compte tenu de leur situation actuelle et de leurs régimes politiques contestés localement ? Selon Thomas Dietrich, ce projet «ne pourra longtemps occulter le véritable cœur du problème : le développement des pays d'Afrique subsaharienne. Et tant que l'Etat français continuera à soutenir des régimes aussi peu soucieux du bien-être de leurs populations que du respect des droits de l'Homme, aucune police, aucune armée française ou africaine, aucun hotspot ne pourra empêcher des désespérés de se lancer à l'assaut du plus grand désert du monde» (Mondafrique 16-1-2018). Comment, dans ces conditions, tenir la promesse de ne plus voir en France une personne dormir «dans la rue, dans les bois» et de suivre l'exemple de l'Allemagne qui, sous la chancelière Angela Merkel, a sauvé la «dignité collective» de l'Europe en accueillant plus d'un million de réfugiés ?

Hélas, d'aucuns déplorent l'inverse de ce qui était attendu de la patrie des droits de l'Homme, on y arrache leurs couvertures à des migrants à Calais, on y lacère leurs toiles de tente, à Paris, on peut s'y perdre sur les pentes enneigées de la frontière franco-italienne... Ce, après avoir affronté le désert et la mer, les pratiques mafieuses des passeurs, les dures conditions climatiques et souvent les mauvais traitements physiques, notamment pour les femmes et les enfants.

Hélas, pendant ce temps et depuis longtemps, l'Homo sapiens d'Europe pratique la migration, sous forme de voyages sexuels organisés. Ainsi, nous dit-on, des Agences de voyages américaines comme ?G&F Tours' ou ?Philippines Adventure Tours' proposeraient (par contrats ?) «d'assouvir les pulsions les plus viles», en s'assurant les services de jeunes filles ou garçons vierges. Il semblerait que des procédures contre ces agences commencent à être lancées ; ainsi, en février 2004, une agence de voyage installée à New York (Big Apple Oriental Tours) aurait été fermée et ses propriétaires inculpés. Ces Homo sapiens, «touristes» du Nord, peuvent se permettre de transgresser la morale et les lois de leur pays, à l'étranger, avec des adolescentes et des enfants dont on se soucie comme d'une guigne de leur consentement ou des risques encourus en terme de maladies sexuellement transmissibles dont le sida...

Et dire que, pendant ce temps, la Chine vient de réussir un exploit technologique que l'Europe et les Etats-Unis tentent d'accomplir depuis longtemps : la transmission quantique de l'information sur une grande distance, soit 1.203 km, quand le précédent record n'était que de 100 km ! Cette réalisation ouvre la voie à un des défis des prochaines décennies : transmettre de l'information de manière inviolable. Et ce, grâce aux lois de la physique quantique qui s'applique à l'infiniment petit... Demandons la science à la Chine pour nous prémunir de la tentation de la migration...

*Avocat (Paris), auteur algérien.