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Monopole de la promotion immobilière sur le foncier - Aïn-Témouchent : forte densité humaine et imprévoyances urbaines

par Saïd Mouas

A l'instar des villes érigées trop vite en chef-lieu de wilaya à la faveur du découpage administratif de 1984 et tenues d'assumer ce statut en dépit d'un manque cruel d'infrastructures, Aïn-Témouchent vit aujourd'hui une crise de croissance caractérisée par une urbanisation débridée souvent menée sous le sceau de l'urgence et en décalage flagrant entre les textes juridiques, la pratique et les mesures dérogatoires qui ont aggravé les distorsions constatées. Surtout après le dernier passage controversé de l'ex-wali, Ahmed Hamou Touhami, passage sur lequel, probablement, nous reviendrons un jour tant il a laissé des traces et suscité d'amères réactions. Ainsi, les carences dans la gestion urbaine et les velléités dans la prise en charge des problèmes environnementaux sont à l'origine de graves atteintes au cadre de vie.

Il est patent que la ville de Sidi Saïd, à l'image de nombreuses autres cités du pays, s'est trouvée confrontée au phénomène de la rurbanisation en raison de facteurs identifiables liés d'une part à la promotion de la localité en wilaya dès l'année 1984, laquelle promotion a entraîné un puissant flux de cadres moyens et de maîtrise originaires de différentes régions mais aussi et surtout des villages alentours et d'autre part à l'aspect sécuritaire qui a marqué la décennie noire poussant une cohorte de familles à fuir vers la wilaya d'Aïn-Témouchent considérée à l'époque comme un ventre mou de l'islamisme radical. Un autre phénomène, plus pernicieux celui là, a boosté cette attractivité à l'endroit de Témouchent. Il est lié à son label de cité réputée accueillante et hospitalière. Et il n'est pas étonnant que le passager tombe sur son charme et s'y installe pour de bon. Lors de la récente distribution de près de 700 logements sociaux de nombreux arrivants de fraîche date ont été servis au détriment des autochtones. Une situation qui n'a pas livré tous ses secrets que nous dévoilerons le moment opportun.

La rançon du développement tous azimuts du chef-lieu de wilaya entourée de 28 communes pilotées par 08 daïras s'est traduite au fil des ans par une violence urbaine accrue, un chômage endémique assez alarmant, le sous-emploi, la promiscuité, un déficit des services publics et par l'absence de politiques de solidarité ou de proximité dans les unités de base que sont les quartiers ; une conjonction de phénomènes qui offre en certains endroits une image répulsive et triste qui fonde la mal-vie. Comme souligné, ces défaillances restent imputables pour une large part aux mouvements migratoires créant des pressions difficilement surmontables sous la forme de besoins sociaux : logements, écoles, dispensaires et autres services. C'est ainsi que la ville d'Aïn-Témouchent qui compte une population estimée officiellement à 80.000 habitants -en fait elle dépasse actuellement les 100.000 âmes- établie sur une superficie de 78,93 km2 (chiffres au 31/12/2009), soit une densité de près de 1000 ha au km2, s'est construite par touches successives, à coups d'extensions basées sur des programmes d'habitat et d'activités sans synergie entre les fonctions urbaines. Au lendemain de l'indépendance il y a eu d'abord la réalisation du quartier des Chouhada, la cité 312 logts, les sites des communaux et de la CCLS qui sont venus se greffer à la cité Dezan, au quartier des Castors, des 48 logts et d'autres constructions préexistantes avant que ne se concrétise le vaste projet des 1000 logements dans la partie nord et celui de la nouvelle ville, née pour accueillir les milliers de sinistrés du séisme de 1999. Puis un deuxième pôle a vu le jour dix ans après le drame sur le flanc sud-est de la ville. Aussi imposant et tentaculaire, ce dernier englobe le centre universitaire, l'E.H. Dr Benzerdjeb et un éventail de structures tertiaires, culturelles et socio-éducatifs. Un boom immobilier qui ne s'est pas fait sans heurts, puisque le vieux Témouchent fut livré à lui-même et soumis à toutes sortes d'agressions. Devenu un immense ensemble précaire suite au tremblement de terre, il fera l'objet d'une série d'actions de démolition qui malheureusement n'a pas été suivie d'un plan de régénération du tissu abîmé. D'où l'impression d'un centre-ville totalement déstructuré. Sous l'empire de l'argent on a privilégié un urbanisme de masse, pour des méga-cités difficilement gérables à tous points de vue.

Pourtant il existe des instruments d'urbanisme tels que le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme (PDAU) et le plan d'occupation des sols (POS) initiés par la loi 29/90 du 01/12/90, qui nécessitent une mise à jour à la lumière des insuffisances observées d'autant plus que l'Agence nationale d'urbanisme instituée récemment a pour mission principale d'encadrer le dispositif d'élaboration des instruments d'aménagement et d'urbanisme. Il est temps de concevoir des études prospectives en matière de développement et de transformation des tissus urbains, de préconiser des actions de traitement et d'accélérer la formation aux métiers de l'urbanisme. Et à ce titre, la loi n° 11/04 du 17/02/2011 fixant les règles régissant l'activité de promotion immobilière n'a-t-elle pas intégré les préoccupations relatives à la modernisation progressive de nos agglomérations urbaines ? A l'échelle locale la fonction de régulation qui incombe à l'Etat pourrait également s'affirmer pour peu que la planification urbaine s'appuie sur des outils véritablement opérationnels et des acteurs publics locaux capables d'esquisser des projets urbains de grande portée, sur des professionnels prêts à dialoguer avec des investisseurs étrangers en associant évidemment les instances publiques, les opérateurs techniques et la société civile. Confier des études de développement urbain ou des plans de circulation à de lointains bureaux en excluant les partenaires locaux les mieux placés pour discuter de la réalité du terrain et du devenir de la cité n'est pas la solution idoine pour faire avancer les choses.

Le plan de circulation ou la quadrature du cercle

Il est clair que le trafic routier en milieu urbain est perçu comme un véritable casse-tête. L'agglomération d'Aïn-Témouchent étouffe sous le poids des engins motorisés. Presque toutes les ruelles de la ville sont engorgées et le phénomène vire au cauchemar les jours de week-end et aux heures de pointe. Pour ceux qui connaissent Aïn-Témouchent et sa configuration urbaine caractérisée par des chaussées étroites, particulièrement au centre de la ville où la situation exige des solutions urgentes, la problématique, soulevée du reste à maintes reprises, confine à l'inquiétude au regard des contraintes accentuées par des décisions insensées encouragées par le laxisme ambiant. Erection de postes de transformation électrique en des sites inappropriés, extensions incompréhensibles de kiosques, surélévation de bâtisses au mépris de la loi, conversion d'anciennes caves vinicoles et garages en commerces, etc. Tout cela a contribué à «étrangler » le tissu urbain. Et ce n'est pas fini, car l'explosion du marché de l'automobile engendré par l'autre explosion, celle des salaires, risque d'aggraver la crise. Pour le visiteur le spectacle n'a rien à envier aux villes surpeuplées : circulation intense, trottoirs et chaussées en grande partie squattés, terrasses envahies, marchés à ciel ouvert, pollution, prolifération effrénée de petits commerces? Comme si la cité s'était subitement emballée au cours de ces dernières années. Un choc urbain qui aurait pu être atténué si la gestion de l'après séisme n'avait pas connu de dérives. A commencer par l'abandon des espaces libérés suite aux opérations de relogement des sinistrés et leur revente progressive par les anciens occupants. Aucune mesure de réappropriation n'a été entreprise pour reconfigurer le tissu dévasté par le cataclysme de 1999 et le remplacer par des projets de réhabilitation et de modernisation des sites ciblés en rouge, c'est-à-dire à démolir. Les assiettes une fois intégrées au patrimoine public foncier auraient au moins servi à aérer et à remodeler le centre-ville tout en gardant ses repères emblématiques.

Un héritage patrimonial détruit par le séisme et achevé par les hommes

A Aïn-Témouchent, chef-lieu de wilaya, il n'existe pas de parkings. Comme évoqué plus haut, l'erreur commise à l'époque du séisme par les pouvoirs publics est d'avoir négligé de négocier le relogement au cas par cas, selon la nature juridique du bâti démoli. Location contre location et cession de bien acté contre logement acté. La confusion qui a régné a manifestement profité à beaucoup de gens. Le cas de Chlef ravagé par un séisme en 1980 aurait pu servir d'exemple dans la mesure où l'on a, dans le cadre du relogement des sinistrés, exigé des désistements notariés. Hélas, on ne peut pas refaire le passé. L'intégration obligatoire de tous les terrains nus dans le domaine public en passant par des arrangements juridiques aurait permis aujourd'hui à la ville de Aïn-Témouchent de faire face à l'épineux problème de la saturation du vieux tissu urbain. Même le dossier des anciens Moulins Cohen de l'ex- ERIAD, situés au cœur de la ville et dont l'emplacement devait servir à la réalisation d'un parking à étages a été traité dans l'opacité, puisque un nouvel acquéreur privé a pris mystérieusement possession des lieux. Une pré-étude prospective «Aïn-Témouchent demain» est, semble-t-il, en voie de finalisation. Nous n'en connaissons pas les grandes lignes mais il est certain que la future configuration géographique de la cité nécessitera l'ouverture de nouvelles voies, la création de trémies et de parkings, de tunnels et une série d'ouvrages d'art.

La réflexion entamée autour de ce projet de modernisation, à notre avis, ne peut occulter la participation de tous les acteurs locaux, y compris la société civile. Premières suggestions: réalisation de trémies, respectivement aux ronds-points du siège de la daïra, de la cité Bouannani (ex-Thiers), de la nouvelle ville et du carrefour de la Sonelgaz-Ecole Harchaoui, élimination de la place Belaïd Hasnia et sa reconversion en point de stationnement pour bus et taxis, élargissement de la voie adjacente par la suppression du bosquet où trône un poste transformateur, adopter un sens unique pour ce qui concerne le boulevard de la Révolution et trouver des issues palliatives et enfin mettre plus de rigueur au plan fonctionnel au bd du 1er-Novembre et des rues Pasteur, Didouche-Mourad, Ibn Khaldoun et Marni Sandid Fatna en libérant les espaces squattés constitueraient des avancées importantes. Des options certes audacieuses mais indispensables afin de sauver la ville de l'étouffement. Envisager également de grands travaux sur le versant ouest couvrant la rue des Jardins qui pourrait servir de voie de dégagement à partir du quartier de Sidi Saïd jusqu'à la sortie de Aghlal. Une œuvre de longue haleine qui a assurément un coût mais dont s'enorgueillirait n'importe quel wali ou président d'APC qui aura à cœur de laisser son nom sur les tablettes de l'histoire locale en tant qu'artisan de la modernisation d'Aïn-Témouchent.

En conclusion il s'agira de rendre à la ville son label d'antan lorsque les visiteurs l'appelaient Temouchent la «Coquette» et qui constatent maintenant, avec beaucoup de regrets, la transformation de son centre névralgique en un vaste «bazar». Les autorités sont toujours à la recherche d'un urbanisme empreint de hauteur de vue, d'une vision stratégique adaptée aux normes internationales pour réussir le pari de la modernité et éviter le chaos urbain. De nouveaux enjeux urbains se profilent dans le monde et nos villes menacées dans leur devenir ne doivent pas les ignorer. Quatre dangers latents selon les scientifiques pèsent sur l'avenir de la ville : les changements climatiques et leurs conséquences, la possibilité de crise énergétique, l'accroissement démographique et urbanisation accélérée et enfin l'essoufflement économique et la mondialisation. Des défis à prendre au sérieux, car il y va de la survie des villes et Aïn-Témouchent, qui étouffe déjà, n'échappe pas à cette menace.