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La M'zia professionnelle

par A. Hini

Nous portons tous dans notre cœur un intime attachement au statut de travail qui nous fait gagner de l'estime, alors qu'on apprécie beaucoup moins le travail sur lequel est érigé notre statut et sur lequel on est réellement rémunérés. Soit que le statut intègre une position sociale et une rémunération conséquente, tandis que le travail requiert un effort physique et/ou intellectuel, et le bonheur pour beaucoup d'entre nous est d'occuper une position dominante en contrepartie d'un effort minimum et simple.

Une situation qui est déjà paradoxale dans le monde réel du marché du travail ; lorsque la demande du travail est évaluée sur la base d'un ensemble d'actions ou d'objectifs et sur la base de la faisabilité, en relation avec l'espace et le temps. Autrement, toutes les autres situations ou cadres de travail sont, évidement, édifiées sur cette même trilogie action-espace-temps qu'il est simple d'associer pour n'importe quel professionnel ou travailleur digne de ce nom.

Apparemment, dans notre environnement cette même trilogie est insuffisante comme principe de base pour faire un simple travail, ou s'engager dans de grands projets ; en Algérie, c'est plutôt basé sur une quadrilogie, car il faudrait ajouter un quatrième segment à la notion action-espace-temps qui est la M'zia ou la grâce de l'employé, surtout s'il est responsable.

Qui de nous n'as jamais goûté les faveurs de cette grâce du responsable, devenue même incontournable dans les relations de travail, et dans les moindres besoins de notre quotidien ? Alors que cette même grâce représente un obstacle pour beaucoup d'autres personnes qui n'ont pas la chance d'avoir des liens avec ce responsable, qui serait chargé de leur fournir un travail ou une prestation relevant dûment de son plein droit. Cette quadrilogie algérienne a fait que la notion de «faire son travail» est synonyme de «rendre un service» ou encore «Dir M'zia» et parfois même dans l'esprit des subordonnés vis-à-vis de leurs employeurs, c'est ainsi que c'est devenu légitime de proclamer sa révérence du style «C'EST GRACE A MOI?» chaque fois qu'il y a un résultat ou un travail qui est fait et d'une manière tout à fait simple et ordinaire.

Bien que cette expression de «grâce à moi?» soit quelque part justifiée par l'égoïsme et l'arrogance de l'individu qui aurait fourni un effort dans le cadre de son travail, le comble c'est lorsqu'elle est conjuguée à la troisième personne tel que formulé par autrui ou tel que proclamé par un bénéficiaire dans un style bien connu de nous tous : «C'est grâce à lui? c'est grâce à Foulane?». Pire est le sens de cette expression lorsqu'elle est formulée en arabe ou en kabyle aussi bien connue de nous tous : «Loukane Machi Ana?,Houa?ou Foulane?» au sens de «Si ce n'était pas moi?, lui?ou Foulane?» ; N'est-ce pas une maladresse d'esprit chez toute personne qui prononce cette expression même en plaisantant ? N'est-ce pas une grave transgression de la foi et de la loi que de concéder à quelqu'un le crédit qu'il ne possède pas ?

Nous admettons tous que l'acte de grâce, de faveur et de l'aumône est le propre de l'homme, et que la Grâce absolue est exclusive à Dieu qui nous a honorés de cet acte. Cependant, il faudrait comprendre que le pouvoir de l'homme à rendre une grâce ou une faveur est légalisé uniquement dans le sens de la bienfaisance, pas dans le sens de servir un droit ; c'est exactement comme si on volait de l'argent à un pauvre et on lui faisait de l'aumône avec ce même argent !

Toutefois, il faudrait distinguer deux types de M'zia, telles qu'elles sont pratiquées chez nous : la M'zia légitime qui est du plein droit du bénéficiaire et la M'zia illégitime dont le bénéficiaire n'a aucun droit et qui relève purement de la corruption.

De même, en science de gestion publique ou privée, il est totalement exclu de parler de l'acte de grâce, de faveur, ou de l'aumône en dehors du cadre légalisé de la bienfaisance. En plus, cette science nous décrit en détail le rôle du facteur humain dans la structure d'une activité quelconque, en précisant qu'il est -lui aussi- conditionné par d'autres besoins et services dans l'accomplissement de son travail. Ainsi, l'arrogant qui se vante de rendre grâce ou de faire une faveur dans le cadre de son travail est-il aussi un ingrat, car il s'approprie même les efforts consentis en amont par des tiers pour lui permettre, par exemple, de s'asseoir confortablement dans son bureau ; vu que l'acte de grâce ou de faveur assume que le bienfaiteur détient toutes les charges.

Faire son travail honnêtement et correctement est une chose noble qui devrait bien devancer la grâce et la faveur de l'homme, dans le sens qu'il est plus important de servir sa communauté que de rendre service à un individu même avec une intention de bien faire. Cependant, il faudrait aussi commencer déjà par croire que cette «pratique de la M'zia» est un véritable fléau social qui se trouve bien ancré au sein de notre société, malheureusement, et que celui qui se voit contraint de faire recours à la M'zia d'un autre qu'il se cache pour le faire comme on se cache pour faire un péché. Car, la M'zia professionnelle devrait être un péché !