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Projet de réforme fiscale: L'impôt en Algérie, entre héritage colonial et conjoncture

par Aït Mimoun Lounis*

  De nombreux pays se sont lancés ces dernières années dans des réformes fiscales importantes. Généralement, ce sont les mêmes raisons qui sont évoquées : majorer la pression fiscale pour drainer plus de ressources pour le budget de l'Etat et stimuler le développement socioéconomique par l'impôt.

Aussi, ces réformes se ressemblent-elles dans leurs conceptions et leurs approches, car elles procèdent à peu près du même «modèle fiscal» qui s'est développé et généralisé un peu partout dans le monde; ce qui nous pousse à parler de l'universalité du système fiscal, adapté à chaque pays en fonction de son développement économique et social. Cependant, pour mesurer le long chemin parcouru dans la formation du système fiscal algérien, il est instructif de faire une rétrospective des différents types de prélèvements qu'a connu l'Algérie. En effet, la fiscalité algérienne pendant la période de colonisation française était caractérisée par un dualisme juridique marqué; avec pour caractéristique le maintien de la fiscalité traditionnelle (impôt arabe) et l'introduction progressive de la législation française.

Subséquemment, cette dualité s'estompe et l'Algérie est considérée le prolongement de la métropole française et se voit appliquer le système français. Le système fiscal en vigueur au lendemain de l'indépendance n'était que le produit d'un système colonial. En effet, l'Algérie va maintenir l'outil fiscal hérité pour permettre la continuité dans le fonctionnement des nouvelles structures de l'Etat.

A partir des années 70, des réformes fiscales se succèdent mais restent toujours superficielles (réforme dans les taux, dans la technique, suppression d'un impôt) et conjoncturelles (la chute du prix du pétrole). Il n'y a jamais eu de réforme profonde qui prenne en considération l'ensemble des facteurs politiques économiques et sociaux du pays.

L'algérianisation du système fiscal «une adaptation à l'environnement socioéconomique»

L'impôt étant à la fois un fait économique, psychologique, sociologique et politique, il ne peut naître du cerveau du législateur, il émane de la situation de chaque pays. Cependant, sous prétexte de profiter des expériences des pays plus avancés dans le domaine fiscal, le législateur algérien, sans tenir compte de la structure morale, psychologique et sociale du contribuable algérien, s'inspirait simplement et complètement du système fiscal français, en empruntant des règles établies pour un milieu tout différent du notre. Du coup, le contribuable algérien se trouve devant plusieurs impôts totalement étrangers de son esprit et de sa culture. De ce fait, il faut mettre en place un système fiscal adéquat avec les conditions économiques et sociales du pays qui puisse réaliser la justice fiscale entre les différentes classes de la société algérienne.

Quelle réforme doivent-on adopter en Algérie afin d'arriver à un système fiscal juste et rentable ?

Afin de répondre à cette problématique on a traité à la fois des questions de législation, d'organisation et de comportement administratif afin de mettre en lumière certaines faiblesses du système fiscal actuel (Une législation inadaptée à la société algérienne- lourdeur des procédures administratives). De ce fait, notre étude est consacrée aux trois points suivants :

A/ Une résistance populaire à l'impôt

1/ le système de la rente

La population est toujours dans une logique de prendre de l'Etat et ne pas donner à l'Etat.

2/ les éléments historiques et culturels

La répugnance du contribuable algérien à remplir son obligation fiscale trouve son origine dans l'histoire et la conception même de l'impôt chez les Algériens et les musulmans en général. En effet, il y a ceux qui réclament le retour au droit musulman, car pour eux l'impôt actuel est institué par le colonisateur et seul la zakat est juste et légitime. Les causes de la résistance à l'impôt se trouvent aussi dans les effets de la colonisation qui a exploité notre pays et notre peuple par différents impôts inconnus. L'hostilité contre cette colonisation a créé et accentué l'hostilité et la résistance à l'impôt actuel comme le dit Ph Ngaosyvathn : «Il est possible que l'impôt prélevé sous la colonisation a crée un traumatisme social»

On peut constater que le droit musulman «l'aumône» ne connaît pas la fraude, car il n'y a qu'un seul impôt sur le revenu, simple, clair et neutre, il est exigé par le Coran, comme un ordre de Dieu, l'échappatoire à cet impôt est un grand péché que le musulman ne supporte pas (l'obligation divine)

3/ l'ignorance fiscale

Dans notre pays l'ignorance fiscale est élevée ; la majorité de la population en Algérie ignore tout ce qui se rapporte à l'impôt, excepté le fait qu'il est un prélèvement obligataire établi par les autorités. Elle ne comprend pas son fondement, les principes qui le régissent, la différence entre les différents type d'impôt.

Dans ma région on a essayé de monter l'ignorance fiscale qui existe encore du côté de la population

En milieu rural, parmi les trente personnes interrogées, en majorité des ouvriers agricoles, vingt n'avaient jamais fréquenté un établissement financiers et dix avaient un niveau scolaire très bas, deux personnes avaient une idée, mais assez vague de ce que signifie l'impôt.

En ville, trente ouvriers du secteur public et privé ont été interrogés. Plus de la moitié répondent à la question : Qu'est ce qu'un impôt ? En disant que c'est un prélèvement sur leur salaire effectué par l'Etat. Quant à son but, seul une minorité pense qu'il existe pour financer les services d'intérêt général, la majorité ne comprend pas pourquoi on institue l'impôt. Vingt commerçants interrogés savent ce qu'est un impôt et son but mais ils affirment tous qu'il est sans contre-partie.

4/L'incivisme fiscal

L'incivisme fiscal est aussi avancé comme une cause de la résistance à l'impôt. Le contribuable perdrait le sens du devoir fiscal dès lors, face à une fiscalité excessive, sinon oppressante. Le droit de résister va quasiment de soi.

La crise du civisme fiscal est un phénomène général ; il est plus étendu dans notre pays. L'ignorance, les conditions économiques, la complexité de la fiscalité, sont des facteurs qui rendent ce fléau plus élevé.

5/ L'élément moral

Le fait que l'impôt consiste à prélever une somme sur le patrimoine des contribuables, capital, revenu, crée chez eux une réaction psychologique hostile. L'impôt est ressenti par les contribuables comme une contrainte. Ceci accentue chez eux le sentiment d'être des sujets oppressés et augmente leur volonté d'échapper à l'impôt. Ils ne reconnaissent pas l'Etat comme législateur mais le considèrent comme un créancier assez puissant pour imposer sa loi. Ils se croient en droit d'y échapper.

6/L'élément technique

La technique fiscale peut créer des conditions favorables à la fraude notamment dans l'insuffisance du contrôle et l'absence de méthodologie engendre une pression fiscale bien sentie sur une minorité sans parler des incitations à l'évasion qu'elle amène par une multiplication des options fiscales offertes au contribuable.

B- Les défauts de la norme fiscale

Ce sont essentiellement :

1)-la complexité croissante de la loi fiscale à des conséquences graves sur les relations administration, contribuable, juge. En effet, suite à cette complexité les deux parties (contribuable -administration) s'opposent sur le sens même de la loi fiscale ce qui va systématiquement accroître le taux de rejet des réclamations préalables devant l'administration fiscale et par conséquent les recours devant les instances juridictionnelles seront plus nombreux et la tâche du juge sera de plus en plus difficile.

A cet effet, une attention particulière devrait être consacrée à la rédaction et à la codification de la norme fiscale, car la rédaction actuelle n'est pas de nature à encourager des relations confiantes et responsables entre l'administration fiscale et les contribuables.

Il est évident que la complexité, les lacunes, voir les contradictions des textes fiscaux constituent des obstacles majeurs à une bonne administration de l'impôt et créent pour le contribuable un élément d'insécurité particulièrement néfaste.

Les aménagements fiscaux qu'implique toute réforme envisagée ne pourraient qu'aggraver la confusion si une refonte complète des textes fiscaux n'était pas entreprise, rédigés de manière accessible et débarrassés de toutes dispositions inutiles.

La mise en œuvre des textes fiscaux dont l'inadaptation aux réalités du pays aggravée par une capacité d'action limitée de l'administration fiscale à cause de la carence de moyens et de la qualification du fisc est responsable d'une perte de recette fiscale d'ou un rendement faible et un décalage entre les recettes prévues et les recettes effectivement prélevées.

Nous préconisons de reconsidérer tous les textes fiscaux et de les refaire de manière simple et précise afin d'éliminer l'incertitude, l'hésitation et l'ambiguïté.

2)-Souvent le droit fiscal algérien ne garantit pas aux contribuables un degré suffisant de sécurité juridique. Ce reproche vise la situation dans laquelle une incertitude existe sur la norme juridique à appliquer ou encore l'interprétation que l'on peut en faire dans son application rétroactive.

La sécurité juridique en matière fiscale exige aussi une certaine stabilité dans la norme fiscal. En effet, la stabilité de l'environnement législatif et réglementaire est un élément important de la visibilité à moyen terme de tous les agents économiques et donc du bon développement de leurs activités car l'instabilité législative a pour conséquence une augmentation considérable du contentieux. Toutefois, cette stabilité recherchée ne doit pas se confondre avec l'immobilisme car la norme fiscale doit s'adapter à l'évolution du cadre économique et social dans lequel les contribuables exercent leurs activités.

Enfin, on a constaté un dualisme juridique en matière fiscal en Algérie. En effet, il existe à côté d'un droit posé par l'Etat, un droit parallèle, non contrôlé par l'Etat. Il faut essayer de vivre avec, travailler avec, en le considérant comme un vecteur d'enrichissement à condition d'en faire une synthèse (non une juxtaposition des deux droits).

C- L'organisation de l'administration fiscale «un vrai labyrinthe pour le contribuable»

Les défauts de la norme fiscale n'expliquent pas l'ensemble des difficultés rencontrées dans les relations entre les contribuables et l'administration fiscale. En effet, l'organisation de cette dernière constitue un obstacle non négligeable à la qualité du service rendu aux contribuables. Les récents efforts de modernisation de l'organisation administrative ont toutefois conduit à des progrès sensibles dans les relations entre l'administration et les contribuables, mais ils restent toujours insuffisants.

L'organisation administrative actuelle est source de confusions nombreuses de la part des contribuables qui doivent fréquemment être orientés par les services vers l'interlocuteur pertinent, ce qui engendre une perte de temps considérable aux contribuables et à l'administration fiscale.

Il serait utile de mettre un terme à la prolifération du nombre de services qui entraîne des conflits de compétences et des difficultés de liaison.

- En plus, les services financiers au niveau local souffrent de l'absence de direction unique animant coordonnant et contrôlant leur fonctionnement. Ce manque d'autorité à l'échelon de la conception et du commandement, nuisible à leur cohésion et à leur efficacité, engendre en outre des chevauchements d'attribution soulevant des conflits de compétences. Selon Mr Beltram*, cette absence d'autorité unique paralyse l'administration et facilite la formation de féodalités politico-bureaucratiques agissant chacune pour son propre compte*

Selon les experts, le système fiscal algérien est l'un des plus compliqués au monde. Ce genre de réflexions renseigne sur la nécessité d'approfondir encore plus nos réformes et d'améliorer le fonctionnement de l'administration fiscale, la justice et la mise en place d'un système fiscal compatible avec sa société. De ce fait, on a proposé dans ce travail une réforme profonde du système fiscal qui prend en compte les caractéristiques sociales et économiques de l'Algérie, les propositions faites dans ce sens sont :

1 - La refonte des textes fiscaux sur une longue durée (une loi fiscale quinquennale) afin d'arriver à une stabilité de la norme fiscale.

(Voir schéma 01)

(Des assisses nationales sur la fiscalité pourront être faites chaque fois avant l'élaboration du projet de la loi fiscale c'est-à-dire chaque cinq ans)

2 -Etablissement d'un rapport annuel sur les dépenses fiscales.

3- Le renforcement des garanties des contribuables face à l'imprévisibilité de la norme fiscale.

4- La suppression de la direction des impôts et mettre en place une direction unique pour l'ensemble des services financiers de chaque wilayas.

5- La simplification et la coordination de l'organisation administrative.

6 -Introduire la zakat (l'aumône) comme source de revenu pour l'Etat (la création d'un fonds commun de la solidarité nationale -FCSN)*

7 - Limiter l'ensemble des droits par rapport au chiffre d'affaires annuel (le bouclier fiscal) à un taux bien étudié (la rectification fiscale a un but d'alimenter les caisses de l'Etat et non pas pousser l'entreprise à la faillite. En plus, cette disposition pourra limiter le phénomène de la corruption)

8 - Appliquer la retenue à la source sur les marchés publics en matière de TAP.

9 -Pour les petits commerçants adopter une fiscalité simple qui soit étroitement en concordance avec le degré de compétence de l'administration fiscale.

10-Pour les grandes et les moyens entreprises il faut améliorer la compétence des agents du fisc pour parvenir à une fiscalité adaptée et qualifiée.

11-Assainir les dettes fiscales des petits contribuables par une décision politique.

*Etudiant, université de Saïda