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Egypte: de retour du Caire

par El Yazid Dib

Il semblerait que mon périple en Egypte avait duré une éternité pendant ses trois jours. Ma dernière contribution s'était ainsi limitée à des impressions personnelles.* Une récolte moissonnée dans l'immédiateté du voyage. Un récit, comme un reportage ne se termine jamais. Il garde sans cesse certains arômes exhalés ou à reporter pour une éventuelle décantation. Suite.

Il reste toujours un arrière-goût de l'inachevé pour toute œuvre ou déplacement. La sensation de ne rien accomplir en entier s'élève comme une évidence que seul le nombre de jours consommés demeure apte à vous certifier la certitude. Dès l'entame d'un voyage l'on se place déjà dans son retour. Je crois que le Caire que je viens de quitter est toujours dans son embouteillage et fort illuminé par ses grands panneaux publicitaires. Que les pyramides sont toujours à leur place et le Sphinx ne s'est point embelli. Cependant le salon international du livre continue sa propension jusqu'à la date de sa clôture. Il s'étale du 26 janvier au 10 février de l'année en cours. Il y a 848 éditeurs de 27 pays qui participent et dont l'Algérie est l'invité d'honneur.

Honneur à l'invitée ; l'Algérie

L'Egypte l'était à l'avant dernier salon international d'Alger. Cette fois-ci c'est à l'Algérie d'avoir l'honneur d'être la reine de cette édition. En fait, elle l'était. Outre la qualité des représentants algériens, leur rang, la consistance substantielle pour l'animation culturelle était tout aussi égale au rendez-vous.

Ines Abdel-Dayem, la toute fraiche Ministre de la culture dans le gouvernement égyptien est une femme qui a su bel et bien apprécier les dattes succulentes et gorgées de soleil, de miel et de sucre émanant des oasis algériennes, était là pour l'inauguration. Cette opportunité serait sa première sortie officielle en tant que ministre. Elle les a gouttées, ces Deglet nour avec délectation et fine délicatesse au cours de la visite effectuée dans le pavillon réservé à l'Algérie. Elle ne s'est point empêchée de compulser, sous le charme explicatif d'un Mihoubi séduisant l'encyclopédie de l'Emir Abdelkader, l'Iliade de Moufdi Zakaria, les peintures rupestres du Tassili et les paysages lunaires du Hoggar et de Timimoune ou l'héroïsme légendaire rattaché à nos propres pyramides que sont les Aurès, le Djurdjura et l'Ouarsenis.

C'est dire que la participation algérienne à cette 49 eme manifestation ne s'est pas contenue à une banale exposition d'ouvrages. Elle s'est mise en filigrane de tout programme. Des conférences, qui portant sur la politique du livre en Algérie, sur la protection légale de la propriété intellectuelle et des droits d'auteur, qui sur l'impact de la révolution algérienne sur les mouvements de libération d'autres pays ont émaillé l'agenda algérien de cet évènement. L'on sentait de la sorte une certaine force de présence du ministère de la culture, accédant ainsi à une étape supérieure de la vulgarisation de la culture algérienne en privilégiant par ailleurs son exportation. L'on aurait aimé que l'éditeur privé national y soit profondément impliqué dans cette nouvelle dynamique pour porter le plus lointain possible les lettres et les arts nationaux. Il est du même devoir nationaliste pour l'ambassade d'assurer instinctivement le relais de ce porte-voix et de ne point se confiner que dans les affaires consulaires. Néanmoins l'effort fourni de par et d'autres était notable.

Djamila Bouhired et le «soft power »

Cette manifestation de grande envergure est dédiée à la mémoire de l'écrivain et poète Abderrahmane Al-Charqawi (1921-1987) déclaré personnalité de cette édition. Auteur prolifique , on lui doit aussi une pièce sur la moudjahida algérienne Djamila Bouhired adaptée au cinéma par Yousef Chahine relatant son combat et sa lutte contre la colonialisme français. Le « soft power » ou « force douce » étant la thématique de ce salon tend à faire du créneau de la culture un ferment reliant toutes les sphères d'un monde en voie de déperdition en valeurs et en repères. Oui, la conjonction du thème et sa coordination avec la personnalité de l'édition ne font qu'un immense honneur à rendre encore à une femme, algérienne jusqu' aux fins fonds de ses trippes. L'hommage et l'amour dévoués à cette héroïne reste une reconnaissance universelle pour son engagement à vouloir libérer son pays du joug colonial. Ses paroles face au juge injuste du tribunal martial qui la destinait droitement à la guillotine, toute souriante et bravant la trouille, la frayeur et la mort certaine raisonnent toujours dans les tympans de tout combattant et font encore leur écho dans les annales de l'histoire des grandes révolutions. Ce sourire là, dans le prétoire, dans son box d'accusée était la pire condamnation qu'elle avait infligée à son tour à tout un empire colonial et criminel. Elle a toujours ce courage qui caractérise la femme algérienne combattante et intrépide. L'on apprendra qu'elle sera également à l'honneur dans le programme du festival de Louxor pour le film africain en mars prochain.

Mihoubi et sa rhétorique

Il a bien montré ce don dont il est investi de pouvoir changer de costumes en une seule séance avec ou sans protocole. Tantôt il est ce Ministre paisible et pondéré lorsqu'il brode la relation généalogique entre les deux pays, tantôt il est ce poète à la verve intarissable quand il évoque sa promiscuité culturelle avec les grands noms de la littérature égyptienne.

Lors de la « Rencontre intellectuelle » organisée dans le cadre des activités périphériques du Salon et qui accueille des personnalités publiques, à l'instar de la nouvelle Ministre égyptienne de la Culture, Inès Abdel-Dayem, du président du club Ahli, Mahmoud Al-Khatib, ou de l'ancien ambassadeur égyptien aux Etats-Unis, Nabil Fahmi ; Azzedine Mihoubi ; endossant ses deux casquettes en était également concerné. Dans une salle archicomble et tassée de journalistes, reporters et personnalités de tout bord ,le modérateur un journaliste invétéré abordait son « interrogatoire » par une longue entrée en matière, un long monologue aboutissant finalement au fameux « match ». Hilarité dans l'assistance algérienne et sourire aux lèvres de son ministre. « 90 minutes ne comptent pas assez dans la pesanteur et dans le temps de la relation historique que connaissent nos deux pays » lançait placidement comme un autre but ou un coup franc Mihoubi. Après une rétrospective riche en faits saillants et événements authentifiés développée par l'interviewé mettant en exergue l'histoire, le combat, la communauté du destin, la solidarité, l'amour et les alliances entre les deux peuples ; l'animateur revient malicieusement sur son jeu favori. Le match. Hilarité encore chez l'assistance algérienne et sourire aux lèvres de son ministre. Mihoubi avec une voix sportive en ton et en esprit l'assena directement « vous avez devant vous certes, un ministre et un poète, mais vous avez oublié qu'entre les deux il y a aussi l'ancien journaliste » et comme un tir de penalty il lui porta l'estocade : « Cher confrère, l'Algérie a vaincu, elle a gagné et elle est partie en Afrique du Sud. L'Egypte ira en Russie et nous porterons son drapeau, comme nous porterons celui de la Tunisie, du Maroc et tout autre pays arabe ou musulman » applaudissement massif. Buvant son audace, le modérateur se ramassa et enchaina blasé et presque frustré sur la culture et ses modes d'expression. Ouf, devait lancer certains cœurs encore aigris. L'arbitre a sifflé cette fois-ci le coup final, vraiment final de ce long match qui résiste encore dans quelques nostalgies mal placées ou dans d'autres gosiers qui l'ont mal ingurgité. Hilarité dans toute l'assistance et sourire aux lèvres du Ministre.

Le poète Azzedeyne El Mayhoubi (phonétique du modérateur) s'était aisément en cette qualité intronisé au sommet de la culture arabe et mondiale quand il abordait sa rencontre avec Naguib Mahfoud, lui jeune journaliste, l'autre récipiendaire du prix Nobel. Il narrait son autre rencontre fortuite, en plein ciel, en vol avec un autre illustre homme de lettres et dramaturge égyptien. Le docteur Youssef Idriss. Ce qui avait incité son interlocuteur à dérouler le palmarès culturel du ministre algérien, les différentes marques de reconnaissance, de prix et d'honorification dont il était l'objet. L'algérien que je suis, en voyait là sa fierté intensément s'accroître.

Par ferveur de consolider de plus en plus la relation inter-pays et en marge de la manifestation, le ministre algérien a rendu de vibrants hommages à des icones du monde culturel égyptien d'entre poètes, écrivains et hautes personnalités du secteur. Le directeur de la grande bibliothèque d'Alexandrie honoré à l'occasion n'a pas lésiné sur les mots lorsque prenant spontanément la parole , témoignait de son ardeur à approfondir la liaison après avoir déclaré la noblesse de ce geste qui l'avait touché plus que le don de 1000 livres.

Bibliotheca Alexandrina et le don algérien

Alexandrie, cette ville qui a vu naitre dans ses entrailles le président Gamal Abdel-Nasser un 15 janvier 1918 dépasse en notoriété sa légende. Le pays va fêter justement le centenaire de la naissance de ce Zaim en l'incluant dans les festivités de ce salon international. Alexandrie est un phare, une grosse armoire à livres, une histoire ouverte qui se raconte en permanence.

Un don de mille livres algériens a été fait par le ministre de la culture algérien en signe d'amitié à la bibliothèque d'Alexandrie. Cette bibliothèque reste un phare (phare d'Alexandrie ?) dans tous les espaces culturels en termes de trésor documentaire. Riche, elle s'enrichit davantage par cet acte symbolique qui n'exprime outre son caractère didactique ; qu'une formidable attention portée par l'Algérie dans sa volonté de contribuer dans le savoir collectif universel. L'on apprendra par ailleurs que Mostafa Elfekki, figure emblématique égyptienne et Directeur Général de la bibliothèque d'Alexandrie, a annoncé que son institution s'apprête à offrir à l'Algérie deux exemplaires d'une de ses prestigieuses collections, « en reconnaissance aux initiatives du ministère algérien de la Culture pour la coopération avec la dite bibliothèque » affirmait-il. La bibliothèque dit-on achèvera bientôt son projet de livre «Algériens d'Egypte», relatant l'histoire des familles algériennes établies en Egypte depuis l'époque ottomane.

Le don en question ne s'explique pas en sa quantité mais en sa qualité. Il s'agit en fait d'ouvrages dédiés à l'histoire et au patrimoine artistique, urbanistique et culturel des métropoles algériennes et les sites historiques mettant en évidence la Casbah, Tlemcen, Constantine etc. Le lot comprend aussi en son sein, en plus des supports audio-visuels du genre musical chaabi , andalou, hawzi , maalouf et autres variétés nationales ; des exemplaires d'un livre sur l'Emir Abdelkader traduit en anglais justement par un auteur égyptien honoré à l'occasion par le ministre Azzedine Mihoubi. La lutte contre l'extrémisme religieux, la culture du pardon et de l'esprit de solidarité en Islam sont les principaux thèmes contenus dans des livres édités sous l'égide du haut conseil islamique algérien faisant partie également du don. C'est dire encore que cette richesse livresque, entièrement élaborée par des auteurs nationaux, éditée et imprimée tout autant par des moyens nationaux s'inscrit comme une avancée extraordinaire dans l'industrie multiforme de la chaine du livre national.

Ma tête à moi

C'est une fois sur le sol national que ma tête avait commencé à triturer beaucoup d'images et sans se forcer en extraire les plus expressives. Je vois encore ces silhouettes humaines qui vaquaient pêle-mêle à leurs besoins dans un va-et-vient alternatif, ce jeune garçon qui nous faisait cahoter innocemment sur le circuit des pyramides, ce Sphinx qui avait un regard d'ailleurs et ailleurs que sur nos flashes de portables, ces policiers qui ne cessaient de siffler, ces chauffeurs calmes et silencieux, ces façades lézardées, ces longs ponts et ces mesures de sécurité aéroportuaires. Les deux ou trois mandarines que j'avais goutées sur un étal, dans la rue près de la mosquée d'El Azhar renfermaient le même sirop juteux que celui qui émanait des vieux livres compulsés à la foire et que je n'ai pu lire. Ma tête refuse de se plonger encore sous cet oreiller sans mollesse d'une chambre froide et glaciale d'un hôtel pourtant foisonnant de chaleur humaine d'accueil et de bons services.

Si le temps n'était pas le grand défaut de mon séjour , le peu d'instants que j'ai glané aurait été quand bien même cette passion d'avoir su savourer l'émerveillement d'un beau pays plein d'énigmes et de mystères dit-on.

« Egypte : le livre, la publicité et les pharaons ». actualité autrement vue. Quotidien d'Oran du jeudi 1 février 2018. (http://www.lequotidien-oran.com/news=5256296)