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Les Algériens et le problème identitaire

par Rachid Benyelles

Depuis quelques temps, nous assistons à une absence totale de retenue dans l'insulte des Arabes de la part de certains de nos concitoyens qui poussent parfois l'outrecuidance jusqu'à soutenir que l'Islam est une religion imposée par les envahisseurs arabes, par le fer et le feu ; ce qui est une contre-vérité grossière.

A la limite du racisme primaire, cette poussée anti-arabe, notamment sur les réseaux sociaux, fait craindre le pire pour la cohésion et l'unité nationale. Faisant fi des réalités historiques et ethnographiques, les activistes berbères ont décidé de classer les Algériens en deux catégories distinctes: celle des Arabes et celle des Amazighs. Ce faisant, ils installent la haine et la discorde parmi les membres d'une même famille comme ce fut malheureusement le cas lors des sanglantes émeutes de Ghardaïa qui avaient opposées les Mozabites aux Chaânbas, deux communautés berbères qui, jusque-là, vivaient côte-à-côte, dans le respect mutuel et la bonne entente. Les rivalités tribales et commerciales ancestrales avaient été exacerbées par des perturbateurs venus d'ailleurs et transformées en conflit ethnique opposant des Berbères et des Arabes.

La vérité est que toute l'Algérie, du Nord au Sud et de l'Est à l'ouest, est amazighe ; il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d'œil sur une carte mentionnant les noms de lieux. Restés inchangés depuis des siècles, ces derniers prouvent, à l'évidence, l'origine amazighe de l'ensemble des habitants de l'Algérie, lesquels ne se différencient que par le degré d'arabisation de leur dialecte local. Alors que l'expansion de la langue arabe a suivi celle des routes de communication et d'échanges, le tamazight à l'état originel s'est maintenu dans les régions difficiles d'accès telles que les massifs montagneux des Aurès, de Kabylie ou du Chenoua, en Algérie, et ceux de Nefoussa en Lybie, du Rif et du Haut-Atlas, au Maroc. C'est le cas également de certaines régions isolées telles que l'oasis de Siwa en Egypte, de Djerba en Tunisie ou du M'Zab en Algérie. Le cas de Boussemghoun, une commune d'El Bayadh située entre Aïn Sefra et Labiadh Sidi Cheikh, à l'ouest du pays, est significatif de cette relation entre l'isolement géographique et l'ouverture aux langues. Restés longtemps à l'écart des flux de communication, les habitants de Boussemghoun sont majoritairement berbérophones et parlent, aujourd'hui encore, le Tachelhit.

Cela démontre, s'il en était besoin, qu'en Algérie, comme ailleurs dans toute l'Afrique du Nord, il y a des Berbères arabophones et des Berbères berbérophones, même si, au plan linguistique, il est scientifiquement établi que les deux langues appartiennent à une seule et même famille, celle des langues chamito-sémitiques (Cham et Sem étant les fils du prophète Noé). Ce groupe de langues est principalement parlé en Afrique du Nord, dans la Corne de l'Afrique, au Moyen-Orient, dans le Sahara, une partie du Sahel ainsi qu'à Malte, un bastion du christianisme depuis l'époque des Croisades. Très proche de la langue arabe actuelle, le maltais est la langue nationale et officielle de ce petit Etat de l'Union européenne. Le maltais et le maghrébin sont mutuellement et partiellement intelligibles ; j'eu personnellement à en faire l'expérience et à constater que les Maltais qui s'accommodent parfaitement de la parenté de leur langue avec l'arabe, n'éprouvent aucun problème identitaire. C'est le cas également des Iraniens, Pakistanais et autres Afghans qui n'appartiennent pourtant pas au groupe chamito-sémitique mais qui transcrivent leurs langues en caractères arabes sans pour autant ressentir la moindre atteinte à leur identité nationale. En Algérie, la préférence est allée au néo-tifinagh, un alphabet élaboré par « l'Académie » berbère, une association de droit français, dissoute en 1978.

La parenté linguistique avec les peuples du Moyen-Orient se retrouve à travers l'histoire de Shéshonq, un Berbère originaire de la tribu libyenne des Mâchaouach. Vivant dans le delta du Nil en bonne intelligence avec ses contemporains égyptiens, Shéshonq qui était marié à une femme appartenant à la famille royale, fut intronisé pharaon d'Egypte vers 950 avant Jésus-Christ, année que les berbéristes ont choisit pour marquer le début de l'année amazigh - Yennayer (Nayer dans l'ouest du pays et Yannayer dans les pays arabes). Shéshonq n'avait pas conquis le pouvoir de haute lutte, mais par le jeu des alliances familiales, ce qui renseigne sur la qualité des relations qui existaient alors entre les différentes communautés qui vivaient en Egypte, un pays où le berbère, aujourd'hui encore, est parlé à Siwa, une oasis ayant joué un rôle important dans l'histoire millénaire de la civilisation pharaonique. Comme on peut le constater à travers l'histoire de la dynastie des pharaons berbères (22ème) qui a régné jusque vers 715 av. J.-C., soit 235 années environ, des courants d'échanges existaient depuis la nuit des temps entre les groupes sociaux berbères, égyptiens et moyen-orientaux. Egyptianisés d'abord, puis romanisés ensuite, les Berbères de Libye donneront également plusieurs empereurs romains, dont Septime Sévère, Emilien, Caracalla et Publius Septimius Geta.

L'histoire est un entremêlement de races, d'ethnies et de cultures. Il n'y a pas plus de purs Berbères que de purs Arabes, comme il n'y a pas de races supérieures et d'autres inférieures. On sait ce qu'il est advenu des nations qui ont transgressé ces principes, qu'il s'agisse de l'Allemagne nazie ou de la Grande Serbie. Dans un monde devenu un village planétaire, les rapports à l'identité culturelle devraient être plus sereins et plus consensuels. Les berbérophones sont en droit de revendiquer leur identité propre et défendre ses couleurs mais sans verser dans l'insulte des Arabes ou la stigmatisation de leur langue et de leur culture. Pour que leurs voix en faveur de la promotion de l'amazigh soient entendues, ils doivent respecter les arabophones qui, en Algérie et ailleurs au Maghreb, ne sont pas moins amazighs qu'eux. Le vivre ensemble implique un respect réciproque, une grande tolérance et une écoute permanente de l'autre. Rabaisser les Arabes et leur histoire, remettre en cause l'immense apport de leur culture à la civilisation universelle et à l'émancipation de notre région en particulier, relève soit de l'ignorance crasse, soit d'une volonté délibérée de travestir l'histoire à des fins inavouables. Ce n'est pas en dénigrant les Arabes et leur culture que les berbéristes grandiront la cause qu'ils veulent défendre. C'est ce que les Espagnols ont bien compris. Héritiers d'un patrimoine arabo-islamique d'une qualité exceptionnelle, ils reconnaissent volontiers l'influence profonde de sept siècles de présence arabe dans la péninsule ibérique, aussi bien dans les domaines de la langue, de l'architecture, de la musique que de l'art culinaire, et ce, en dépit des vicissitudes de l'histoire. Cet héritage arabe fait leur bonheur et celui de millions de touristes qui viennent du monde entier pour admirer des joyaux classés au patrimoine mondial de l'Unesco. Qu'il s'agisse de l'Espagne comme des pays méditerranéens et africains tout proches, de Iran, de la Turquie, des pays d'Asie centrale et d'Extrême-Orient (Malaisie, Indonésie, Chine du Nord etc.), la langue arabe a laissé une empreinte indélébile sur les langues locales qui comportent des centaines de mots d'origine arabe sans que personne ne songe à « nettoyer » le vocabulaire en usage comme certains tentent de le faire chez nous.

Originaire de Tlemcen - une ville assurément berbère, comme son nom l'indique -, je suis de formation française et je me sens à la fois Zénète1, Arabe, Andalou, quelque peu Turc- Kouroughli, mais par dessus tout, Algérien. Cette identité multiple ne me pose aucun problème, tout comme à la grande majorité des Algériens. A l'instar de tous les habitants de la capitale de Yaghmouracen, ce grand chef berbère, fondateur de la dynastie des Zianides en 1235, ma langue maternelle est l'arabe ; je n'ai ni à m'en glorifier ni à en rougir. En cela je me sens parfaitement en phase avec notre illustre cheikh Abdelhamid Ben Badis El Sanhadji, un autre berbère qui, dans une définition restée célèbre, affirme que « Le peuple algérien est un peuple musulman ayant un lien de parenté (yentaceb) avec le monde arabe (el 3ourouba) ». Précisant encore plus sa pensée, il ajoute : « l'Islam est notre religion, l'arabe notre langue et l'Algérie notre patrie». Pour notre vénéré cheikh, « les fils de Ya'rub (les Arabes) et les fils de Mazigh (les Berbères) sont unis par l'Islam depuis plus de dix siècles et n'ont jamais cessé d'être étroitement liés les uns aux autres, dans la bonne et la mauvaise fortune, dans les jours de joie et les jours d'épreuves, dans les temps heureux comme dans les temps difficiles ».

Pour revenir à une période plus récente - celle de l'occupation coloniale -, les Algériens, y compris ceux de Kabylie, s'identifiaient comme «Arabes» dans la mesure où cette identité était synonyme pour eux de «musulmans» et les distinguait des Français, « chrétiens ». Jusque dans les premières années de l'indépendance, les Kabyles s'enorgueillissaient de leur ascendance maraboutique ou arabe et se donnaient volontiers pour nom et prénoms «Larbi, Mohand Larbi, Aït Larbi ou Ouarab». La défaite humiliante des armées arabes lors de la guerre dite des six jours, ainsi que le battage médiatique orchestré depuis par ceux qui se réclament des valeurs judéo-chrétiennes, ont fini par imposer la pire des images des Arabes et de l'Islam. Il est vrai que cette entreprise de diabolisation a été considérablement favorisée par la compromission des dirigeants arabes qui, pour la plupart, ont pactisé avec le diable pour se maintenir au pouvoir. A cela s'est ajoutée, chez nous, une gouvernance à vau-l'eau qui n'a pas été de nature à renforcer le sentiment d'appartenance à une même patrie. Il n'est donc pas étonnant que certains berbéristes, surtout par dépit, rejettent toute filiation avec les Arabes qu'ils tiennent pour des envahisseurs qui, par leur culture hégémonique et leur religion, ont trop lourdement pesé sur la culture amazighe. Se considérant comme les seuls habitants authentiques de ce pays, ils cultivent et entretiennent un complexe de supériorité qui donne aux arabophones la fâcheuse impression d'être des citoyens de seconde zone. Dans le souci de préserver l'unité nationale menacée, ces derniers se taisent et font le dos rond; pour l'instant tout au moins, car, devant la surenchère identitaire et l'activisme effréné des berbéristes pour imposer la généralisation forcée du tamazight, ils risquent, de guerre lasse, de se rebiffer pour se rallier aux thèses de ceux qui préconisent l'indépendance de la Kabylie.

S'agissant de la récente décision concernant le jour de l'an amazigh, une majorité d'Algériens ne se sent pas concernée par un oukase pris dans l'arrière-boutique d'un pouvoir moribond, inculte et profondément corrompu, sans même fournir une explication sur les origines de ce nouveau calendrier, à quel événement historique il se rattache ou sur quel calcul astronomique il est basé. Cette décision ressortant normalement du domaine de la Constitution a été prise arbitrairement, sans consultation de la population ou même des institutions croupions supposées la représenter. Incapable d'apporter une réponse globale et convaincante au problème identitaire que posent certains de nos concitoyens, ce pouvoir fait dans la fuite en avant et le clientélisme sans pour autant gagner les faveurs des organisations berbéristes radicales qui revendiquent l'indépendance de la Kabylie, comme c'est le cas avec le Mouvement pour l'autodétermination de la Kabyle - MAK -, un sigle qui n'est pas sans rappeler l'abréviation d'un terme désignant une personne exerçant une des plus vile activité humaine qui soit. Dirigé depuis l'ancienne puissance occupante, les objectifs qu'il poursuit ne sont absolument pas ceux des Kabyles qu'il pousse vers l'aventure avec le soutien affiché des autorités marocaine et israélienne. Avant de s'engager plus avant avec un tel mouvement, les Kabyles doivent lui demander de répondre à un certain nombre de questions, et tout d'abord celle de savoir quelles seront les frontières terrestres de la Kabylie indépendante qu'il envisage et si référendum d'autodétermination il doit y avoir, à quels électeurs sera-t-il ouvert ? A tous les Algériens ou seulement aux habitants de la Kabylie actuelle ? Une Kabylie indépendante limitée à l'aire géographique kabylophone et coupée de son substrat, pourra-t-elle constituer un Etat viable ? Ses habitants jouiront-il de meilleures conditions de vie ? Seront-ils plus libres et plus épanouis ? Qu'adviendra-t-il des Kabyles, nombreux à vivre et à prospérer dans la vaste Algérie sans connaître ni brimades ni ostracisme? Nullement discriminés comme d'aucun veulent laisser croire, les Kabyles sont représentés bien au-delà de leur poids démographique aussi bien dans les institutions nationales que dans les entreprises publiques et privées. Ne détiennent-ils pas les plus grosses fortunes du pays sans que personne n'y ait trouvé à redire jusque-là ?

En vérité, ce MAK qui ne représente la Kabylie ni de loin ni de prés, fait le jeu de ses commanditaires, à-savoir, les trois puissances occidentales qui ne se sont toujours pas départies de leur esprit impérialiste, et qui, de connivence avec les sionistes israéliens et autres valets dans la région, veulent régir le monde à leur guise, quitte à détruire tout pays arabe qui ne s'aligne pas sur leur position et refuse la normalisation de ses relations avec Israël. C'est ce qu'elles ont fait avec les pays de l'ex-Front du Refus et de la Fermeté (Algérie, Irak, Syrie, Libye et Yémen). Créé en décembre 1977 suite au voyage d'Anouar Sadate en Israël et la signature de l'accord de capitulation de Camps David (septembre 1978), quatre d'entre eux ont été victimes d'une agression directe ou d'un complot visant leur unité nationale. L'Irak avec les deux guerres du Golfe qui ont fait des centaines de milliers de morts et entraîné la destruction de son infrastructure de base est aujourd'hui miné par des conflits confessionnels créés de toute pièce et par un séparatisme kurde animé par des dirigeants qui affichent ouvertement leur sympathie aux représentants sionistes qu'ils accueillent avec tous les honneurs. La Syrie, saignée à blanc, hachée menu, a été réduite à un gigantesque champ de ruines alors que la riche Libye, décapitée et divisée, est livrée au chaos pendant que le pauvre Yémen affamé par une coalition de monarchies moyenâgeuses totalement inféodées aux puissances occidentales inconditionnellement alignés sur Israël, croule sous les bombardements aériens sans que personne ne s'en émeuve.

Quant à l'Algérie, et après une-quasi guerre civile qui a failli l'emporter, elle reste le seul pays relativement indemne de ce qui fut le Front du refus et de la fermeté. Or, à en croire un certain Yossi Cohen, chef du Mossad, elle serait la prochaine cible à abattre. N'a-t-il pas déclaré que » Le point faible de l'Algérie est la Kabylie, et c'est par elle que nous ferons exploser cet Etat» ?

Comme la France coloniale et postcoloniale avant lui, le Mossad se trompe lourdement. La Kabylie n'est pas le point faible de l'Algérie mais un de ses solides maillons. C'est une région qui a versé un des plus lourd tribut durant l'occupation coloniale française et durant la guerre de libération nationale et toutes les tentatives pour la dresser contre le reste du pays échoueront, tout comme celles qui les avaient précédées car, malgré leur esprit frondeur et souvent rebelle, les Kabyles, avec les Algériens de toutes les régions du pays, partagent en commun la même origine amazighe, la même histoire, la même religion, la même continuité territoriale, les mêmes sacrifices pour libérer le pays du joug colonial et les mêmes intérêts à court et long termes. Leur destin reste étroitement lié. Si, à Dieu ne plaise, ceux qui s'emploient à faire éclater l'Algérie parviennent à leur fin, le désastre qu'ils provoqueront alors ne sera pas circonscrit à la seule Algérie mais affectera toute la région, l'Europe comprise.

Quant à la question linguistique à laquelle certains de nos compatriotes sont sincèrement attachés, une solution acceptable par tous pourrait être trouvée dans le cadre d'une réorganisation administrative et politique du pays par le biais de la décentralisation, une démarche qui a fait ses preuves partout dans le monde et notamment dans les pays européens voisins. Sans aller jusqu'à la création d'entités jouissant d'une autonomie aussi poussée que celle qui existe en RFA avec ses 16 Länder, en Suisse avec ses 26 Cantons, en Espagne avec ses 17 Communautés autonomes, il est possible d'envisager la création de Régions proches du modèle français qui comporte 13 Régions métropolitaines et 5 Régions d'Outre-mer. A nous de nous en inspirer et de trouver la formule la mieux adaptée à notre situation. Pour cela, il faut faire preuve d'imagination et dépasser l'idée erronée selon laquelle la régionalisation favoriserait le régionalisme. Dans un premier stade, il peut être envisagé la création, sans grand risque de dérapage, de cinq Régions : Est, Kabylie, Centre, Ouest et Sud. C'est le découpage que certains titres de la presse ont adopté depuis quelque temps déjà pour classer leurs rubriques.

Note

1- Avec les Masmoudas du Haut Atlas marocain et les Sanhadjas, également appelés Zenagas (Iznagen en tamazight), les Zénètes (Zénatas) constituent un des trois groupes amazighs d 'Afrique du Nord.