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Le droit à la santé est universel

par Michel Sidibé* et Dainius Puras**

GENÈVE - Cette année, pour la journée mondiale du Sida, le 1er décembre, notre devoir est de nous rappeler les 35 millions de personnes qui ont succombé à la suite de maladies liées au Sida et les 76 millions qui ont été infectés par le VIH depuis que l’on a commencé à consigner les cas. Et nous voulons célébrer le fait que près de 21 millions de personnes atteintes du VIH ont accès à des traitements vitaux.

Mais nous ne devons pas perdre de vue le fait que plus de 15,8 millions de personnes attendent toujours de se faire traiter, tandis qu’environ 11 millions de personnes ne savent même pas qu’elles sont atteintes du virus. Le temps de lire cette analyse, trois jeunes femmes de plus auront contracté le VIH. Ces chiffres représentent une injustice injustifiable : on refuse à des millions de personnes leur droit à la santé.

Les troisièmes Objectifs de développement durable des Nations unies (SDG3) touchent la santé. Ils visent à réduire les accidents routiers; à s’attaquer à des maladies non transmissibles; à mettre fin au SIDA, à la tuberculose, au paludisme et aux maladies tropicales négligées; à garantir une couverture médicale universelle et un accès à des services de soins de santé en matière de sexualité et de procréation; et à réduire substantiellement les décès causés par la pollution, et tout cela avant 2030.

Même si plusieurs pays ont souscrit à cet objectif, un nombre incalculable de personnes doivent encore respirer des niveaux dangereux de particules toxiques et n’ont toujours pas accès à de l’eau potable et à des installations sanitaires. Beaucoup trop d’États ont fait preuve d’incohérence sur les questions environnementales et réglementaires, car ils ferment les yeux lorsque des sociétés privées profitent de la vente de produits nocifs qui créent une dépendance et manquent à leur devoir de protéger et de servir la population.

La santé n’est ni un cadeau ni un acte de charité. C’est un droit humain fondamental, dont la portée s’étend aux libertés et aux aides. Tout le monde est libre de prendre des décisions en matière de santé, peu importe le statut social, le foyer, la religion ou le gagne-pain. Et tout un chacun a droit à des soins de santé de qualité abordables sans discrimination et contrainte. Pour jouir du droit à la santé, il faut que l’intégrité physique et mentale des personnes soit respectée pour qu’elles puissent participer et contribuer à leur communauté.

Aujourd’hui, nous pressons les dirigeants mondiaux pour qu’ils s’attaquent aux injustices en matière de santé partout où on peut les voir et qu’ils prennent des mesures pour respecter, protéger et défendre le droit à la santé de tous. Le programme ambitieux des ODD pour 2030 nous ouvre à tous des possibilités de moduler des politiques qui visent à créer et à habiliter le «citoyen de la santé mondiale».

Qui est ce citoyen ou cette citoyenne ? Ce sont des personnes qui connaissent leurs droits et peuvent exprimer leurs préoccupations, s’opposer aux injustices et demander des comptes aux décideurs publics. Au lieu de se contenter de demander l’accès à des médecins, à des traitements ou à des soins préventifs, elles l’exigent. Les citoyens de la santé mondiale sont devenus des éléments de la solution.

Pour donner les moyens aux citoyens de la santé mondiale, il faut que des progrès soient réalisés dans au moins trois domaines d’intervention : la mobilisation des gens, la démocratisation des données et l’élimination de la discrimination. Pour ce qui est du premier, nous devons décloisonner les programmes et politiques en matière de santé afin de vraiment mobiliser le grand public. Dans les années 1990, le mouvement du droit des personnes handicapées a inventé l’expression, « Rien sur nous, sans nous». Tous les citoyens de la santé mondiale et particulièrement les dirigeants du secteur de la santé devraient adhérer à ce leitmotiv.

Certes, la corruption publique et privée demeure un obstacle majeur pour garantir le droit à la santé à toutes ces personnes. Dans beaucoup de pays, la santé est un secteur où la corruption est des plus présentes. Pour s’y attaquer, les citoyens de la santé mondiale devront recevoir des aides institutionnelles et de meilleurs instruments pour que leur droit à la santé soit respecté. Ils doivent commencer à exiger davantage de mesures assurant une prise de décisions adéquate et transparente, une plus grande connaissance des questions « juridiques», un financement des organismes de la société civile et une consolidation des mécanismes juridiques dans le but de responsabiliser les autorités publiques.

Le second domaine d’intervention où des progrès sont nécessaires est celui qui concerne l’accès aux données pour chaque communauté. À ONUSIDA, nous adhérons à l’adage, «Un problème que l’on peut quantifier, finit par se régler    ». L’analyse des données s’est avérée l’un des outils les plus puissants dans la lutte contre l’épidémie du VIH, car il nous permet de mieux faire connaître les laissés pour compte, de les recenser, d’orienter les investissements et de coordonner les initiatives.

Nous qui œuvrons dans le domaine de la santé mondiale nous avons toujours su estimer les taux de mortalité et de morbidité. Mais il est maintenant temps de regarder au-delà des données épidémiologiques. Pour que le droit à la santé soit garanti, il est également nécessaire de contrer les effets de la discrimination et de la stigmatisation, ainsi que les lois et les facteurs environnementaux qui menacent la santé et le bien-être des gens. De même, la pratique d’évaluations exhaustives des incidences sur la santé des grandes politiques et investissements doit devenir la norme, plutôt que l’exception. Le secteur de la santé mondiale a besoin de campagnes de sensibilisation plus indépendantes et plus transparentes, ce que les groupes de l’ONU et de la société civile sont particulièrement bien placés pour mener à bien.

Le troisième domaine d’intervention - l’élimination de la discrimination dans le milieu de la santé - doit devenir une politique internationale. La principale promesse du programme ODD est de ne laisser personne pour compte. La discrimination crée des barrières de facto à la couverture médicale universelle et empêche beaucoup de personnes d’accéder aux services de santé de toute sorte. Par exemple, une personne sur huit ayant répondu au questionnaire de l’Index de stigmatisation envers les personnes atteintes du VIH a déclaré s’être vu refuser des soins de santé en raison de préjugés.

Il est clair que pour que le SIDA disparaisse, il faudra des innovations médicales, mais aussi des percées sociales. Les autorités publiques doivent redoubler d’efforts pour protéger les personnes contre la discrimination et créer des mécanismes efficaces permettant aux gens d’exiger réparation lorsque des intervenants privés ou publics enfreignent leur droit à la santé. Nous invitons tous les prestataires et institutions de soins de santé à résister aux lois, aux politiques ou aux pratiques discriminatoires.

La protection du droit à la santé est la fondation nécessaire pour donner les moyens à tous de réaliser leur potentiel et leurs rêves. Nous ne devons exiger rien de moins.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
*Directeur administratif de ONUSIDA.
**Rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à la santé physique et mentale.