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Le négationnisme : par le marteau, le crachat, l’ego ou la dégradation

par Kamel DAOUD

On s’en souvient : un hirsute barbu prend un marteau et un burin pour détruire la statue de Aïn-Fouara. L’image a fait mal comme. A rappelé de mauvais souvenir, passés et à venir même. Au-delà du cas clinique de ce vandale, il y avait la grande famille des médias, prêcheurs, idéologues, agents de l’Arabie fantasmés et négationniste de l’identité algérienne qui l’ont fabriqué. Cet appareil du vide a fabriqué cet homme mais pas seulement. Voir Daech et les Djihadistes s’attaquer aux monuments du monde, vestiges, palais, mausolées et arts n’est pas un spectacle étranger. Cela se passe chez nous, en nous. Le vandale ne tombe pas du ciel: il a une histoire qui est une négation de l’histoire. Lu hier un reportage sur les dégradations de gravures de 5000 ans d’âge à Taghit. Graffitis, initiales, peintures, saletés. Les photos accompagnant l’article publié sur un journal électronique, font terriblement souffrir. Renvoi d’image de ce qu’est le pays et de ce qu’il peut devenir. On parlera alors d’irrespect, de manque de protection, de peu de valeur accordée à la longue histoire de notre terre. Et cela est vrai, mais cela ne suffit pas. Ce qu’il faut chercher c’est à s’expliquer comment un pays qui a le culte fétichiste de l’Histoire qu’il ne cesse de remâcher, manger, dévorer, en parler, vendre et s’y agiter en bocal, accorde si peu d’attention à sa part humaine, universelle, aux vestiges de son «immémorialité».

Réponse première : l’histoire commence avec le FLN, pas avec la préhistoire. Tout ce qui est avant l’épopée de la guerre de libération n’est que racines mortes, détails, anecdotes, le cheval d’un émir, la carte d’un royaume. Rien d’utile au récit politique de légitimation. Les jeunes algériens ne sont pas éduqué à respecter en eux-mêmes les racines, mais seulement les stèles et les minarets. Ce qu’il y a avant Novembre ou avant «Errissala» n’est pas important. Nous n’avons pas conscience de notre profondeur historique, condamnée à être refoulée au nom de l’impératif idéologique présent. Le passé a été tellement surpolitisé qu’il n’en reste rien qu’un refoulement et une exaltation. Il n’est pas continuation mais acclamation. Alors, on comprendra, qu’au bout de la malédiction naissent des enfants qui iront dégrader des dessins rupestres appartenant à l’humanité, parce que convaincu qu’ils n’en font pas partie eux-mêmes. Parce que éduqué à ne voir dans le passé qu’un parti unique. Le passé c’est le FLN ou, quand on remonte plus haut, l’Arabie Saoudite imaginaire, ses épopée, déserts, visions, théologies et mythe de villes maudites et détruite. Le passé est impie (on peut le détruite), il est un récit de villes détruites pour leur désobéissances et impiété, donc les traces anciennes ne sont pas importantes, le passé est comme l’avenir : clos sur une vision religieuse appauvrie. L’algérien jeune, quand il ne crache pas sur ses racines, les détruit. Le passé n’a pas été encore inventé chez nous pour nous apaiser et nous enrichir. Il nous détruit, on le détruit à notre tour. Etrangement, le vandale, fabrique la «jahilya» à main nues, l’ère sombre qui, par contraste lui donnera l’impression de revivre un mythe théologique.

Qu’est-ce qu’un dessin rupestre dans la tête d’un jeune qui croit que Chemsseddine est une lumière et pas un clown, que ses ancêtres sont nés dans la péninsule arabique, que rien n’a d’importance que de s’asseoir pour attendre le paradis, que la notion de patrimoine universel est un concept de l’occident impie ? Comment demander à un jeune algérien de ne pas vandaliser notre patrimoine quand ce patrimoine est reclus derrière le catalogue des martyrs et réduit à un espace «étranger» à l’identité et au récit collectif ? Comment expliquer à un enfant que ces vestiges sont des trésors quand il est gouverné par des obsédés de la «légitimité» et de la domination, incultes quant à leur propre algériannité, peureux devant l’archive et donc en méfiance face à la mémoire ?

On en devient pas une nation forte avec un drapeau, une loi de finances et un parti, mais avec un but et une mémoire. Et cette mémoire doit être libérée, transmise sainement, partagée, ouverte sur l’universelle, relativisant les certitudes présentes sous la lumière d’antiques processions, lieu de fierté et d’apaisement, de dialogue avec les ancêtres mais d’appuie sur soi au présent. Et cela veut dire une école libérée, une mise en valeur de nos diversités anciennes et notre longue naissance au monde, de nos patrimoines et langues, un lien sain à la représentation de soi, de nos richesses, vestiges romains, espagnols, architectures coloniales, mausolées et chants des montagnes. Tout ce qui est né de nos mains ou de nos blessures face aux conquérants qui sont repartis, vaincus. Enseigner cette histoire est nécessaire, elle guérira le malaise d’être algérien et sauvera les signes de Taghit. Car c’est lié. Quand on dit à enfant que le passé est une péninsule, il considéra sa terre comme étrangère, un terrain vague. Et quand on remplace le passé par son égoïsme politique, sa peur et des mascarades théologiques, il en naitra des monstres au burin, des vandales à Taghit, des négationnistes de l’identité fiers de cracher sur leurs propres mères au nom d’une généalogie «pure», colériques et violents.

Être une nation ce n’est pas de dire que je suis né hier, mais que je suis né il y a très, très longtemps. Et que je continue à renaitre. Et que je préserve la preuve que je suis dix mille fois centenaire.