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Un trafic de drogue peut en cacher un autre

par M. Nadir

Les procès portant sur le trafic de stupéfiants continuent de se succéder au tribunal criminel d'appel d'Oran à un rythme effréné. Et chaque dossier confirme que les barons, les têtes pensantes des différents réseaux démantelés sont ailleurs que sur le banc des accusés que, de manière générale, seuls les deuxièmes couteaux occupent.

L'ombre incertaine de Houari Ey-Ey

Ainsi, ce jeudi 1er février, le tribunal a examiné un dossier impliquant cinq personnes dans le trafic de 51 kg de kif traité et quatre grammes de cocaïne, trouvés dans l'armoire de la chambre à coucher de l'un deux. Cette affaire aurait pu passer inaperçue dans le flot de dossiers portant sur des quantités plus importantes de kif, si le nom d'un certain Houari Ey-Ey n'y avait été mêlé. Baron reconnu du trafic de stupéfiants produits par le Maroc, cet Algérien -qui se trouverait aujourd'hui dans une prison de Rabat, selon ce qui est apparu à l'audience- était cité dans le cadre de plusieurs dossiers lourds de trafic de drogue. En 2014, Ey-Ey était notamment mêlé à une affaire d'importation de deux tonnes de résine de cannabis sur laquelle les services de la police d'Oran enquêtaient depuis quelques temps. A mesure que les investigations progressaient, de nouveaux noms et visages apparaissaient, et lorsque des interpellations furent opérées (Houari Ey-Ey, lui, a naturellement réussi à disparaître), l'un des suspects cita le nom d'un certain F.B. Ghalem, habitant à haï Nedjma, comme étant un trafiquant de drogue.

Kif et cocaïne

Une seconde enquête est alors ouverte dans le sillage de la première et en août 2015, la police interpellera le dénommé F.B. Ghalem, chauffeur de taxi de 28 ans, à proximité di siège de la sûreté de wilaya d'Oran. La perquisition effectuée à son domicile de haï Nedjma permettra la découverte de 51 kilogrammes de kif et un sachet contenant quatre grammes de cocaïne, dissimulés dans l'armoire de la chambre à coucher. Sur la base des déclarations de Ghalem et des appels téléphoniques relevés sur son mobile, les enquêteurs interpelleront quatre autres personnes : H. Khaled, dit Rokho, 22 ans, qui a l'habitude de solliciter les services du chauffeur de taxi ; N. Sofiane, dit Zinou, 32 ans, O. Sofiane, 34 ans, et B. Abderrahmane, 35 ans. A l'issue de l'enquête et de l'instruction, le magistrat instructeur estimera que l'accusation comporte des éléments de preuves accablants contre les accusés, et les inculpera pour des faits de trafic de stupéfiants allant de l'importation (article 2 de la loi 04-18 relative à la prévention et à la répression de l'usage et du trafic illicites de stupéfiants et de substances psychotropes) à la détention, le transport et la mise en vente en bande organisée, suivant l'article 17, alinéas 1 et 3, de la même loi. Ils risquent jusqu'à la réclusion à perpétuité s'ils sont reconnus coupables des charges ainsi retenues.

Le 3 octobre 2017, les cinq accusés comparaissent devant le tribunal criminel d'Oran qui, à l'issue du procès, leur infligera des condamnations variant entre 15 et 20 ans de réclusion criminelle. Un seul accusé bénéficiera de l'acquittement.

Un Maghnaoui nommé Abderrahmane

Contestant le verdict, la défense des quatre accusés ainsi condamnés et le ministère public introduiront un recours en appel pour un nouveau procès dont la date sera fixée pour début février.

Comparaissant pour la deuxième fois, le principal accusé, F.B. Ghalem, jurera qu'il ignorait que le colis contenait de la drogue : «Khaled m'a demandé de me rendre auprès d'un certain Abderrahmane el Maghnaoui pour récupérer un colis. Cet homme a jeté un sac dans la malle et je suis reparti. En arrivant à la maison, j'ai découvert qu'il s'agissait en fait de kif, j'ai alors appelé Khaled pour l'avertir qu'il devait m'en débarrasser. J'ai été piégé dans cette histoire», affirme-t-il à la présidente qui lui fait remarquer que ces déclarations étaient en contradiction avec «les aveux» qu'il avait faits lors de l'enquête préliminaire : «J'aurais avoué n'importe quoi ! La police a menacé de jeter en prison ma femme qui était enceinte !», répond-il en implorant le tribunal de le croire. D'ailleurs, jurera-t-il encore, «je me suis rendu de mon plein gré à la police et les ai informés que la drogue était chez moi.»

Démentis et contestations

H. Khaled niera également avoir trempé dans un trafic de drogue : «J'avais l'habitude d'acheter auprès d'El Maghnaoui des vêtements pour femme mais jamais de drogue. C'est lui qui nous a piégés. Les 51 kg de kif ne m'appartiennent pas», jurera-t-il en reconnaissant, toutefois, que la cocaïne lui était effectivement destinée, pour sa consommation personnelle. Comme Ghalem, il reviendra sur ses précédentes déclarations faites sous la contrainte physique : «La police m'a battu !», dénoncera-t-il.

N. Sofiane, dit Zinou, niera tout en bloc. Il dira que les seuls liens qui l'unissent à Ghalem et Khaled sont l'achat d'une Seat Ibiza : «Les 40 millions de centimes que j'avais en ma possession lors de mon arrestation représentent le reliquat du prix de la voiture que j'avais achetée au marché des Castors. J'avais payé 115 millions et devais 40 millions au propriétaire auprès duquel Khaled, que je connaissais, s'était porté garant pour moi», affirme-t-il en niant catégoriquement que cet argent ait été destiné à financer l'achat de drogue comme le soutient l'accusation.

Faits établis, selon le ministère public

Les deux derniers accusés nieront également toute implication dans cette sombre affaire : B. Abderrahmane dira qu'il était en affaire avec Khaled pour l'achat d'un jet-ski appartenant au beau-frère de ce dernier, et O. Sofiane jurera que son seul lien avec ce dossier réside dans le fait que Abderrahmane est son voisin.

Sans aller jusqu'à exposer les éléments de preuves retenus contre les cinq accusés, ni déterminer le rôle et la responsabilité de chacun dans cette «bande organisée», le représentant du ministère public n'en estimera pas moins que les faits sont établis et que, par leurs rétractation, les accusés tentent de se dédouaner de leurs actes : «N'ayez aucune pitié envers eux !», lancera-t-il à l'adresse de la cour en réclamant 20 ans de réclusion contre F.B. Ghalem, H. Khaled, N. Sofiane et B. Abderrahmane, et 10 ans contre O. Sofiane. Le substitut du procureur assortira ces peines de 1 million de dinars d'amende contre chaque accusé.

Si chaque avocat de la défense a plaidé la cause de son mandant, tout le collectif s'est entendu pour rejeter la charge d'importation de stupéfiants et le caractère de «bande organisée» accolée aux accusations : «Où sont les éléments de preuves qui assoient l'accusation d'importation ? Par quel moyen ces présumés trafiquants ont-ils été en contact avec les Marocains ?», se sont demandés les avocats en demandant l'acquittement du chef d'accusation d'importation de stupéfiants.

«De quelle importation parlons-nous ?»

Ils s'interrogeront, dans foulée, sur l'identité d'Abderrahmane el Maghnaoui, «le véritable baron» et la raison pour laquelle il ne se trouve pas sur le banc des accusés.

Individuellement, l'avocat de M.B Ghalem plaidera les circonstances atténuantes pour son client qui a été leurré et amené à détenir une drogue sans connaissance de cause. Les autres avocats plaideront l'acquittement de leurs clients en ce qui concerne toutes les charges retenues : «La police a bâclé son enquête et l'instruction a été défaillante, sinon nous n'en serions pas là», affirmera l'un d'eux en se fendant d'un cinglant réquisitoire contre la police qui, «en dépit des moyens sophistiqués dont elle dispose, continue de recourir à la violence» pour boucler ses enquêtes.

Après délibérations, le tribunal criminel prononcera la peine de 12 ans de réclusion contre F.B. Ghalem, H. Khaled, N. Sofiane et l'acquittement de B. Abderahmane et O. Sofiane.