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Davos : économie mondiale en croissance mais hausse des inégalités

par Pierre Morville

Le Forum économique mondial, dit Forum de Davos, du nom d'une petite station montagnarde suisse, se réunit chaque année depuis 1971. Le Forum rassemble, au niveau international, des responsables politiques de premier plan dont de nombreux chefs d'état et en face d'eux des responsables et dirigeants de très grandes entreprises, afin de débattre des « problèmes les plus urgents » de la planète. Mais c'est aussi, voire surtout « un rendez-vous de « happy few » qui ont payé 52 000 euros chacun pour rencontrer leur « people » à eux et de journalistes qui cherchent le scoop », comme le pointe Sophie de Menthon dans Valeurs actuelles.

Pour sa 48ème édition, du 22 au 26 janvier dernier, l'accent a été mis sur la recherche d'une croissance inclusive et durable dans le monde mais où les inégalités sociales perdurent et même s'aggravent tant sur les plans nationaux qu'au niveau international. Pour cette édition 2018, le thème était inédit : parce que cela va mieux, les participants sont invités à réfléchir à « une vision partagée dans un monde fragmenté ».

Côté hausse du PIB, c'est en tous cas un « Davos de l'optimisme » qui a réuni quelques 3000 participants (malgré de fortes chutes de neige) : selon l'étude annuel Global CEO Survey réalisé par l'organisme PWC, 57% de dirigeants d'entreprises internationales interrogés estiment que la croissance économique mondiale devrait s'améliorer dans les 12 mois à venir, soit deux fois plus de chefs d'entreprises confiants (29% en 2017). 42% se déclarent « très confiants » de la croissance de leur propre entreprise contre 38% l'an dernier. Ils sont 52% aux USA.

Toujours côté prévisions, la croissance de la zone euro devrait atteindre 2,2%. De même, la croissance aux États-Unis se révèle plus vigoureuse que prévu ; la prévision de croissance a été rehaussée de 2,3% à 2,7% pour 3018, +2,5% pour les prévisions de 2019.

Quand on regarde de plus près ces bons chiffres pour l'économie mondiale, l'optimisme devient plus mesuré : le Fonds Monétaire International a certes revu à la hausse ses prévisions, la croissance mondiale devrait atteindre près de 4 % cette année et l'an prochain. Mais le FMI craint que ce rebond ne soit pas durable au-delà. Et il est fragile.

La patronne du FMI, la française Christine Lagarde a en tout cas calmé l'optimisme général quelques heures avant l'ouverture du Sommet de Davos. Elle a mis en garde contre « le risque de complaisance ». L'économie croît non pas parce que les pays ont développé leur potentiel de croissance grâce à des investissements dans le capital humain ou la technologie. Au contraire, les réformes entreprises sont évasives et la croissance n'a bénéficié qu'à une certaine élite. : « Nous ne sommes pas satisfaits », a-t-elle insisté, car « trop de personnes sont laissées pour compte de l'accélération de la croissance ».

Dans le contexte d'une croissance fragile et de défis de taille, comme un niveau de dette élevé, l'économiste en chef du FMI, Maurice Obstfeld, a soutenu que « la prochaine récession arrivera plus tôt que prévu et serait plus difficile à résoudre ».

Ce responsable a expliqué aux responsables politiques que la dynamique économique était due à des facteurs « peu durables », comme la stimulation monétaire et une politique budgétaire favorable.

L'incapacité des partis traditionnels à mieux distribuer les gains économiques a mené à la montée des partis populistes dans le monde entier. « L'essor de modèles de gouvernance encore plus nationalistes ou autoritaires pourrait toutefois déboucher sur le blocage des réformes économiques nationales et sur le retrait de l'intégration économique transfrontalière », a mis en garde le FMI quelques jours avant l'arrivée de Donald Trump à Davos.

« Pendant des dizaines d'années, nous avons mis l'accent sur la croissance économique au détriment de l'équité sociale, ce qui a mené à des niveaux sans précédent d'inégalité des salaires et des richesses. Les gouvernements sont passés à côté d'un cercle vertueux dans lequel le partage des richesses renforce la croissance, qui elle-même est créée sans causer trop de dommages à l'environnement et sans faire porter le fardeau aux générations futures », estiment les experts du Forum.

Dans un rapport publié lundi, le Forum économique mondial reproche également aux économistes et aux responsables politiques de « dépendre de manière excessive » du PIB. Ce chiffre a en effet des risques de mirages divers : il peut y avoir une croissance statistiques mais les bénéfices de cette croissance est loin d'être partagé par tous, tant au niveau de chaque nation, qu'entre les différents continents. Les différents organismes internationaux restent très inquiets quant à une possible nouvelle crise financière internationale à l'image de celle de 2007-2008. Certains rappellent que les pronostics de croissance les plus optimistes ont été publiés en 2006, juste avant la grande crise qui a secoué l'économie mondiale. Une nouvelle crise du même genre serait d'autant plus difficile à régler que les outils de résolution de l'époque, compensation du krach des banques par des apports budgétaires des états et austérité pour les salariés, ont déjà largement épuisé leurs possibilités, en cas de retour de crise.

Malgré l'amélioration des perspectives économiques, le FMI a également souligné que de nombreux facteurs non économiques pourraient peser sur la croissance économique mondiale. Le FMI explique ainsi que les perspectives à moyen terme pourraient être assombries par des tensions géopolitiques en Asie de l'Est et au Moyen-Orient.

Les facteurs climatiques pourraient également peser sur l'activité mondiale: les événements météorologiques extrêmes qui ont été observées récemment (ouragans dans l'Atlantique, sécheresse en Afrique subsaharienne et en Australie) mettent en évidence les coûts humains et économiques que ces catastrophes peuvent engendrer pour les régions touchées. Ces événements pourraient accentuer les flux migratoires susceptibles de fragiliser les pays d'accueil parfois vulnérables, rapporte le quotidien La Tribune.

Du côté des politiques et chefs d'état présents, Donald Trump a tenu un discours pour une fois un tout, tout petit peu plus consensuel. Il a promis au monde, le 26 janvier « l'amitié » et « la coopération » des Etats-Unis, dans son discours au Forum de Davos. Corrigeant un peu son slogan de campagne, il a assuré que « l'Amérique d'abord ne signifie pas l'Amérique seule » dans un discours souhaitant rassurer les partenaires commerciaux et diplomatiques des Etats-Unis.

Alors qu'Angela Merkel peine à constituer un nouveau gouvernement en Allemagne, le jeune et sémillant Emmanuel Macron a voulu s'imposer comme l'acteur européen international et le défenseur des couleurs de la France. Dans un long discours en anglais, il a clamé « France is back », la France est de retour. « Trump a fait du Trump, en essayant quand même de trumper son monde plus sereinement (?) Macron a fait du Macron en VO et en anglais, et la France a fait cocorico parce qu'il est satisfaisant, quoiqu'on en dise, que le Président français se pose en maitre du monde », comme le résume Sophie de Menthon.