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Conflits sociaux : le péril de la surenchère

par M'hammedi Bouzina Med

Les alertes ont été nombreuses ces derniers mois : manifestations récurrentes, grèves, S.O.S. au travers des médias et réseaux sociaux, sans que le gouvernement daigne réagir. Face au risque sur la paix sociale, pas d'autre alternative que la table de négociations sans exclusive.

Les grèves, annonces de grèves et menaces de grèves qui marquent l'actualité depuis quelques jours traduisent, le moins que l'on puisse dire, un sérieux malaise social et un risque réel d'escalade qui met en péril la paix sociale, voire la sécurité du pays. Comment en est-on arrivé à une telle impasse sociale et politique alors que le pays dispose d'un nombre plus qu'appréciable de syndicats, d'organisations patronales, d'associations professionnelles, de partis politiques etc. ? Et le gouvernement n'a-t-il pour seule réponse que le silence ou le refus automatique de toute revendication émanant du monde du travail ? La voie est pourtant évidente en cas de conflit : la négociation sans préalable d'aucune des parties en conflit. Contourner un conflit, le fuir ou vouloir le résoudre par la violence institutionnelle ou physique ne le résout pas. Concevoir le conflit comme « une situation négative et seulement négative « est une ignorance philosophique et politique. Le conflit, contrairement à ce que l'on croit, peut être une occasion d'avancer, de progresser vers une situation meilleure pour toutes les parties concernées. En chinois, le conflit est composé par des caractères signifiant « danger et opportunité «. Autrement dit transformer la menace du conflit en une opportunité de lever les malentendus et avancer vers une situation meilleure pour tous. Mais pour cela il faut bien sûr se parler, s'écouter, échanger. Il faut mettre de côté ses propres certitudes, préjugés et a priori en entamant le dialogue. Aborder le conflit avec un esprit de compétition (moi seul j'ai raison) ou de repli sur soi (ignorer le conflit) l'aggrave et le fait perdurer. Inutile donc d'ignorer ou de nier que le pays vit une crise sociale qui risque, encore une fois, de mettre en danger la paix sociale acquise jusque là. Il va falloir y aller d'une manière ou d'une autre à la table des négociations. Poser un diagnostic sans concession sur la situation financière et économique du pays et décider, gouvernement et partenaires sociaux sans exception et ensemble, des meilleurs moyens et voies qui ne laissent aucune partie sur la carreau.

Les «alertes» ont été nombreuses ces derniers mois qui auraient pu servir au gouvernement d'anticiper le risque d'un blocage de la vie sociale et politique du pays. Il est quand même surprenant que le gouvernement n'ait pas vu les conséquences désastreuses de la loi de finances 2018 sur le pouvoir d'achat des Algériens, en particulier les classes moyennes et populaires. Pire, le gouvernement n'a pas trouvé mieux que la planche à billets pour parer aux urgences des besoins du pays, sans prévenir les risques réels de l'inflation. A y regarder de près, la gestion du pays ressemble à un suicide collectif tant la confusion, les contradictions, l'opacité et l'irrationalité brouillent toute volonté sincère de le sortir vite de cette dangereuse impasse sociale et politique. Ce qui se passe aujourd'hui n'est pas rien et pèse sérieusement sur la stabilité du pays. L'urgence exige de tous, gouvernement, partenaires sociaux sans exclusive, organisations professionnelles et, pourquoi pas, représentants de partis politiques, de négocier en tenant compte des moyens financiers du pays pour éviter, disons-le quitte à heurter les nationalistes chauvins et autres opportunistes véreux, sa faillite. Peut-on aujourd'hui nier que le pays a besoin de vraies réformes structurelles à tous les échelons de la vie nationale ? Ne pas le reconnaitre et surtout ne pas avoir le courage et la pédagogie d'expliquer aux gens la nécessité de ces réformes ne fera que reporter le pic de la crise à plus tard et avec des conséquences plus graves encore. Qui ne sait pas que des centaines d'entreprises publiques sont depuis des décennies sous perfusion financière du Trésor public ? Pourquoi le rythme de vie de l'Etat est si disproportionné et si coûteux pour le contribuable ? Pourquoi les banques sont-elles à l'âge de pierre à l'ère de la mondialisation financière et du digital tous azimuts ? Qui sait le montant de l'évasion fiscale ? Et le montant de la masse monétaire informelle ? etc. etc. Du coup, croire que de simples colmatages (s'ils existent d'ailleurs) ou des réponses «provisoires» aux demandes du monde du travail et des autres catégories sociales dans le besoin ou, pire encore, accélérer la fameuse planche à billet, suffiront à faire taire les revendications légitimes des citoyens et calmer les esprits, sera une autre erreur stratégique du gouvernement qui se paiera plus cher ultérieurement. Il y a dans la vie institutionnelle de ce pays un grand nombre de «niches» financières qui profitent de la gestion opaque et rudimentaire de l'économie nationale.

Rendre plus sobre le rythme de vie de l'Etat vu comme une humiliation par les citoyens, scanner les nombreuses failles dont profitent des milliers d'opportunistes et fraudeurs privés et publics, libérer la vie économiques des carcans administratifs et, bien évidemment, mener une lutte sans merci contre la corruption à tous les niveaux de pouvoirs peuvent annoncer un début de sérénité et de paix sociale. Mais pour cela il faut une réelle volonté politique et c'est au pouvoir actuel d'en montrer l'exemple en commençant par donner de la considération aux compétences qui existent et sont marginalisées, en faisant confiance à la jeunesse qui bouillonne d'impatience d'être sollicitée dans de vrais projets, en donnant plus d'autonomie et de liberté aux communes jusqu'à y compris externaliser certaines de leurs missions comme l'hygiène, les travaux de proximité, la gestion des espaces de loisirs et de détente etc.

Bref, en libérant l'Etat de tâches aussi simples et si prenantes, afin qu'il se consacre à prévenir l'avenir, anticiper les crises sociales cycliques, à penser stratégie, innovation, ambitions nationales et internationales. Cette volonté politique tant souhaitée se traduit aussi sur le plan sociétal par le renforcement des libertés collectives et individuelles, par une justice indépendante du pouvoir politique, par le souci de l'équité et de l'égalité des citoyens face au droit. Gouvernement et partenaires sociaux doivent aujourd'hui saisir la gravité de la situation et aller vers des négociations responsables et pragmatiques pour dénouer le risque d'une crise plus grave encore. A l'heure où la menace pèse sur des secteurs aussi sensibles que ceux de la santé et de l'éducation, point de calculs politiciens, de sentiments de revanche, de vanité corporatiste ou pire encore de pousser au pourrissement de la situation. En étant intransigeant de part et d'autre, gouvernement et partenaires sociaux porteront l'entière responsabilité de la crise nationale. Le peuple des travailleurs, lui, n'a d'autres moyens de se faire entendre que de manifester, comme la loi le permet, son indignation et sa colère y compris en recourant à la grève. Sinon, que les gestionnaires de ce pays laissent la place à d'autres compétences.