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Un pétrole à 120 dollars et plus, une guerre nucléaire potentielle entre les USA et la Corée du Nord ? (3ème partie)

par Medjdoub Hamed *

Précisément, cet assouplissement monétaire quantitatif s'est opéré en trois phases. Un premier programme QE1 est parti de 2008 à 2010, il s'est soldé par des rachats de titres publics et privés pour un montant de 1.750 milliards de dollars, dont 500 milliards de bons du Trésor américain et 1.250 milliards de crédits hypothécaires. Compte tenu de l'affaiblissement de l'économie américaine et du fort taux de chômage à 9,7 % de la population active (3), la Fed procède à un deuxième programme (QE2) de rachat de bons de Trésor américains pour un montant de 600 milliards de dollars. Il débute en novembre 2010 et s'achève en juin 2011. D'autre part, la Fed réinvestit, en achats de bons du Trésor, les liquidités qui lui sont versées, au fur et à mesure, que les créances hypothécaires qu'elle détenait sont reprises sur les marchés. Des créances immobilières qui ont repris de la valeur avec la remontée de l'économie.

Après le Q1 et QE2, la Fed américaine lance, en septembre 2011, l'opération ?Twist'. Semblable au QE2 sauf que les liquidités injectées sont stérilisées, i.e. sans création monétaire, il n'augmente pas la base monétaire. Ce programme, d'une ampleur initiale de 400 milliards de dollars, et qui devait se terminer, fin juin 2012, a été prolongé jusqu'à fin de 2012. L'opération ?Twist' n'a pas augmenté le bilan de la Fed. Le troisième programme (QE3) est lancé en septembre 2012. Au départ sans limitation de durée, il consistait, comme les précédents, au rachat des mêmes actifs financiers, i.e. les titres obligataires émis par le Trésor américain et des titres hypothécaires. Une analyse de CNN MONEY indique : « In implementing QE3, the central bank does not use taxpayer money to buy bonds. Rather, it expands the U.S. money supply and electronically credits banks with more funds. » Traduit en français : Dans la mise en œuvre du QE3, la banque centrale n'utilise pas l'argent des contribuables pour acheter des obligations. Au contraire, elle augmente la masse monétaire américaine et crédite, électroniquement, les banques avec plus de fonds. (4) Ce point est essentiel dans la suite de l'analyse pour comprendre l'impact des « quantitatives easing » sur les pays émergents et exportateurs de pétrole, dans l'explication de la chute de leurs réserves de change et des cours du prix de pétrole.

Ce qu'on doit aussi souligner, c'est que, durant toute cette période, les QE ont permis de maintenir les taux d'intérêt sur les titres publics américains très bas. La raison est que la Fed, devenu premier acheteur des bons de Trésor par ces programmes d'assouplissement monétaire non conventionnel, concurrençait les investisseurs potentiels, i.e. les fonds de pensions, les compagnies d'assurance, les pays étrangers...

Ce processus de QE aux États-Unis a duré 7 années avec 3 programmes (QE1, QE1, QE3). Les liquidités injectées massives, créées ex nihilo dans le cadre des QE, qui devaient procéder au sauvetage des banques et à la relance de l'économie américaine, avaient besoin de contreparties physiques productives réelles sinon elles allaient créer une forte inflation, ce qui serait néfaste pour l'économie américaine et le reste du monde. Précisément, pour que le surplus massif de monnaie créé par les QE soit absorbé, il y avait une nécessité absolue de les adosser aux transactions pétrolières et même à l'or. Sinon les quantitatives easing ne fonctionneraient pas. C'est ainsi que les prix du pétrole et de l'or ont été dopés, artificiellement. Ils ont, fortement, augmenté au cours des sept années allant de 2007 à 2014. Avec un intermède entre l'automne 2008 et juin 2009 ? l'économie américaine était très affaiblie avec la crise financière, le taux de chômage qui frisait les 10 %. Les prix du pétrole ayant, fortement, augmenté, le prix de l'or a suivi. En 2011, l'once d'or explose, il atteint 1.900 dollars. Mais les hausses du prix du pétrole et du prix de l'or n'ont pas suffi. Les injections monétaires étaient tellement massives que les hausses des prix pétroliers et de l'or pour les absorber, et donc pour pondérer la dépréciation du dollar sur les marchés étaient insuffisantes. Le dollar s'est, fortement, déprécié par rapport autres monnaies, en particulier avec l'euro.

Le dernier programme de quantitative easing, aux Etats-Unis, s'achève au deuxième semestre 2014. Sans injections monétaires dans le cadre des QE, les prix du pétrole ont fortement chuté. Fin 2014, le prix du pétrole était à 56 dollars. Le prix moyen du pétrole pour la période juin 2014- juin 2017 a pratiquement été divisé par deux.

Immoralité des quantitatives easing

Dans un article de Xerfi «Où sont passés les milliards du quantitative easing ?», un analyse s'interroge «Où sont passés les milliards d'euros dépensés par la Banque centrale européenne ?» Il écrit : «Entre le programme de rachat d'actifs publics et privés, et les opérations de refinancement de long terme, ce sont près de 4.000 milliards d'euros qui ont été injectés, en zone euro, depuis 2011. Cela représente plus d'un tiers du PIB de la zone ! La BCE espérait ainsi atteindre l'objectif d'une inflation de 2 % ... en vain. En fait, les milliards de la BCE se sont, en partie, égarés en route. [...]

Il faut dire que sans l'appui de la politique budgétaire, corsetée par les plans d'austérité des États, la politique monétaire a révélé ses limites en Europe, contrairement aux États-Unis qui ont actionné tous les leviers pour relancer leur économie. En outre, la BCE n'a pas été aidée par les banques qui n'ont pas suivi le mouvement : une grande partie de leurs liquidités glanées auprès de la BCE ont été épargnées auprès... de cette même BCE ! C'est donc retour à l'envoyeur ! Les dépôts des banques de la zone euro à la BCE sont ainsi passés d'un peu plus de 300 milliards d'euros, début 2011, à près de 2.000 milliards d'euros aujourd'hui !

Mais alors pourquoi ont-elles préféré stériliser leur cash plutôt que de le prêter à l'économie productive, comme c'est théoriquement leur rôle ? » (11)

La réponse va de soi. Tout d'abord, les politiques monétaires non conventionnelles n'étaient pas propres à l'Amérique. Toutes les puissances monétaires en ont usé parce que le système monétaire international est croisé. Une puissance monétaire ne peut créer seule les QE, sinon à faire déprécier sa monnaie et apprécier les autres grandes monnaies, ce qui impactent négativement le commerce extérieure de ces dernières. Donc les QE se généralisent entre les puissances monétaires et se croisent pour un optimum qu'elles se consentent mutuellement dans le but d'éviter des déséquilibres dans les changes dans le monde. Quant aux banques, elles ne pouvaient utiliser ce cash puisque un cash du même montant leur a été déjà versé par les pays du reste du monde pour l'achat d'une partie des bons de Trésor qu'elles détenaient. Achats qui ont permis aux pays étrangers de placer leurs excédents commerciaux dans les banques occidentales. Les Banques centrales américaine et européennes... qui ont racheté les passifs de leurs banques commerciales, et donc les dettes que celles-ci, avaient, envers les pays du reste du monde, imposé à leurs banques commerciales respectives à détenir ce cash dans leur compte auprès d'elles en vue de rembourser, ultérieurement, les fonds qu'ils avaient reçus des pays étrangers en échange des bons de Trésor.

C'est ainsi que le processus des QE s'étant enclenché, on avait d'un côté les pays émergeants et exportateurs de pétrole qui accumulaient massivement des excédents commerciaux, et donc des réserves de change, durant toute la période des injections monétaires américaines et européennes..., dans le cadre des QE jusqu'en 2014, et de l'autre, parallèlement, une partie de ces injections monétaires des QE était consacrée au rachat des titres publics américains, européens... que ces mêmes pays étrangers achetaient grâce à leurs excédents commerciaux qui s'accumulaient. Conséquence : « Une boucle fermée s'est constituée. » D'un côté des injections monétaires relevant des quantitatives easing et des émissions de bons de Trésor, de l'autre ces mêmes injections monétaires qui grossissaient les avoirs des pays excédentaires essentiellement étrangers, retournaient à l'envoyeur en échange des bons de Trésor, que les Banques centrales rachetaient à leur tour, sous forme de « passif » à leurs banques commerciales grâce au cash ex nihilo qu'elles ont créé dans le cadre du QE. Après 2014, avec la crise pétrolière qui est apparue, les excédents des balances commerciales s'étant transformés en déficits, les pays étrangers qui avaient besoin de cash pour financer leurs déficits commerciaux se faisaient rembourser, au fur et à mesure, leurs bons de Trésor. Ce qui en même temps faisait diminuer leurs réserves en dollars, en euros...

Et on comprend pourquoi ces capitaux détournés vers d'autres objectifs (les rachats bons de Trésor acquis par la Chine, la Russie, le Brésil...) ne profitent pas aux entreprises économiques et ne font qu'imposer « austérité et déflation » aux économies occidentales. On comprend, aussi, pourquoi la Fed américaine et la Banque centrale européenne comptent dans leurs bilans, respectivement, environ 4.000 milliards dollars et 4.000 milliards d'euros, en titres publics rachetés dont les contreparties monétaires créées ex nihilo et stockées dans les comptes de leurs banques commerciales servent à rembourser les placements en bons de Trésor des pays du reste du monde. Deux questions de fond se posent. La première a trait à l'accumulation des réserves de change des pays du reste du monde. Ces réserves de change que ces pays ont accumulées ont été « méritées » puisque l'Occident a bénéficié en échange des millions de tonnes de pétrole et de gaz et des milliers de milliards de dollars en équivalent en biens industriels, manufacturés et services. La deuxième question se rapporte aux « quantitatives easing » que les grandes puissances financières et monétaires ont utilisées pour rembourser les placements qu'ont effectués les pays du reste du monde auprès des banques commerciales occidentales. Le procédé utilisé a été la « planche à billets ». En effet, par simple création monétaire ex nihilo donc, basée sur rien, les Banques centrales ont racheté les passifs de leurs banques commerciales qui, à leur tour, ont remboursé leurs dettes auprès du reste du monde, i.e. les bons de Trésor américains, européens... détenus par le reste du monde. La question de fond sur les QE : « Est-il mérité ce pouvoir monétaire et financier dont use l'Occident, vis-à-vis du reste du monde ? » Il est évident qu'un problème moral se pose. Le reste du monde exporte des biens et services réels, l'Occident en rembourse une partie avec de la simple création monétaire. Une sorte de spoliation de richesses des autres peuples par le seul fait que l'Occident détient les monnaies de réserve et de compte internationales, donc du « droit de seigneuriage » qu'il a sur le reste du monde.

Si ce droit de seigneuriage continue, par le biais des quantitatives easing, ou par le simple fait d'injecter des liquidités ex nihilo comme le fait, aujourd'hui, la Fed américaine en rachetant les passifs des banques commerciales sans même déclarer qu'elle use des QE, ou comme le fait ouvertement la BCE depuis 2015, il est évident que les déséquilibres mondiaux vont se résorber dans quelques années. Les pays du reste du monde vont perdre systématiquement, année après année, leurs réserves de change. A l'inverse, l'Occident systématiquement se désendettant. Pire encore, à l'issue de ce processus, les pays du reste du monde, perdant leurs réserves de change, vont se trouver à s'endetter envers ce même Occident qui a fait fondre leurs réserves de change. Comment peut-on appeler ce processus pourtant légal ? Spoliation de réserves de change légale ? Ou colonisation du monde par la finance mondiale ? N'est-ce pas immoral pour le pouvoir financier mondial de travestir des politiques monétaires de spoliation par une sémantique financière technicisée détournée de son vrai sens. N'est-ce pas que les politiques monétaires qualifiées par l'appellation « non conventionnelle » ne cherchent qu'à masquer la réalité du système qui va contre l'intérêt des peuples.

Prenons deux pays la Chine et l'Algérie. En trois ans, de 2014 à 2017, la Chine a vu ses réserves de change passer de 4.000 milliards de dollars à environ 3100 milliards. Elle a perdu environ 900 milliards. L'Algérie qui avait environ 193 milliards de dollars n'a plus qu'environ 100 milliards de dollars. Pour l'Algérie, si le prix du pétrole ne se redresse pas, ses réserves de change vont fondre et va se trouver à s'endetter. Sans compter les risques d'explosion sociale. Aussi la question qui se pose : « Le monde va-t-il retourner à une situation qui rappelle les années 1980 où l'ensemble des pays hors-Occident se sont trouvés endettés, avec faut-il le rappeler des émeutes de la faim et la régression économique dans le monde ? L'histoire va-t-elle revenir en arrière ? Aux années sombres de l'endettement mondial ?» C'est dans cette situation complexe que se pose le problème des «quantitatives easing» et tenter de comprendre comment évoluera la situation économique mondiale en 2018 et dans les prochaines années. Les quantitatives easing lancés par la Banque centrale européenne depuis 2015 vont, comme l'a annoncé Mario Draghi, le président de la BCE, se terminer, normalement, cette année. Une question fondamentale néanmoins, dans cette décélération de l'économie mondiale, depuis la crise pétrolière, se pose. «Qui sera le moteur de l'économie mondiale ?»

Dès lors que l'on comprend que les politiques monétaires non conventionnelles ont pour objectif la spoliation des peuples d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie de leurs réserves de change, et si les quantitatives easing seront maintenues longtemps, il est évident qu'en faisant fondre leurs réserves, elles mettront à genoux les économies des pays du reste du monde. En termes d'effets, le pouvoir financier occidental n'aura fait que «créer l'austérité» et «l'austérité du reste du monde se conjuguant à l'austérité occidentale» déboucherait sur la stagnation mondiale, ou ce qu'appellent les économistes occidentaux, la «stagnation séculaire» créée par l'Occident.

A suivre

* Chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective. Officier supérieur de l'ANP/FN en retraite

Notes :

3. «Le taux de chômage aux Etats-Unis passe sous les 6 % », par Le Monde. Le 03 octobre 2014

http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/10/03/le-taux-de-chomage-aux-etats-unis-passe-sous-les-6

4. «Federal Reserve launches QE3 », par CNNMoney Le 13 septembre 2012

http://money.cnn.com/2012/09/13/news/economy/federal-reserve-qe3/index.html

11. «The Myth of the Limited Strike on North Korea», par Abraham M. Denmark. Foreign Relations Le 9 janvier 2018

Traduit en français : « Le mythe de la frappe limitée en Corée du Nord »

https://www.foreignaffairs.com/articles/north-korea/2018-01-09/myth-limited-strike-north-korea?cid=nlc-fa_twofa