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Le secteur privé: ambitions et inquiétudes (5ème partie)

par Amar Tou*

Pour le secteur privé, ces constats vont, également, pour la période postérieure à 1998. La typologie très fragile des entreprises constituant le secteur privé industriel, sus diagnostiqué à fin 2016 et composé dans sa grande majorité de TPE créées dans le cadre de l'ENSEJ, est un aboutissement logique de cette inappropriée démarche.

Alors, à quel apport, à l'objectif de diversification économique ardemment recherchée par l'industrialisation, pourrait-on, s'attendre quand on sait que la valeur ajoutée industrielle du secteur privé ne représentait, même en 2016, que 5% de la valeur ajoutée globale de ce secteur ? le restant étant constitué, à plus de 84%, de services spéculatifs ou peu spécialisés et de BTPH fragilisés par leur très forte dépendance des finances publiques constamment en déficit. Comme dans la majorité des pays.

Ceci n'a pas empêché, toutefois, les BTPH privés, volet habitat, de mériter l'insigne honneur historique d'avoir pris part, à environ 60-70%, dans la réalisation de l'ambitieux programme de 3 600 000 logements mis en chantier et livrés entre 2000 et 2017 ; s'y ajoutant les 960 000 logements qui sont actuellement en cours de réalisation.

Dans cette logique, les BTPH privés, volet habitat, y trouverait tous les ressorts nécessaires pour le maintien de ses activités, en admettant, naturellement, un renchérissement maitrisé des coûts et des prix.           D'autant que l'essentiel des matériaux de construction, rentrant dans la production du logement, est de plus en plus d'origine nationale. Secteur dont il faut, impérativement, assurer la survie, économiquement et socialement parlant.

Le Bâtiments, Travaux Publics et Habitat du secteur public devraient recevoir le même traitement, dans le cadre des projets de grande envergure (grands travaux), essentiellement. Par ailleurs, Il importe de rappeler que toute l'industrie algérienne, victime des réformes, mal préparées, qui furent exécutées entre I988 et 1994 et du Programme d'Ajustement Structurel (PAS) qui fut mis en exécution entre 1995 et 1998, ne représentait en 2016, que, tout juste, environ 5% du PIB. Séquelles profondes des estocades qu'elle reçut, l'une après l'autre, de la part de l'équipe, en charge du dossier économique, portée aux postes de commande entre 1979 et 1989 et du traitement «dicté» par les IFI entre 1989 et 1995.

Les pouvoirs publics sont, à cet effet, sérieusement interpellés pour aider à sortir de cette impasse: poursuivre, en plus fort, dynamiquement et rigoureusement, le programme des réformes mis au point depuis 1999, au profit du secteur public marchand industriel. Les avancées constatées sont porteuses de grands espoirs de réussite au bout du chemin en dépit des grandes et objectives difficultés.

La privatisation partielle par la poursuite de l'ouverture du capital public aux partenariats avec le capital étranger et le capital privé national, tous azimuts, parait inévitable, à l'image de ces avancées, chacun selon ses compétences distinctives.

Le partenariat avec le capital étranger ne semble pas poser de problèmes objectifs autres que les questions liées au climat des affaires, de plus en plus insaisissable pour ses éléments constitutifs, en dépit de l'objectivité avérée de certains aspects quantifiables.

L'adhésion à ce partenariat, aux delà des avantages respectifs que poursuivent les parties au contrat, demeure une résultante de la rencontre de ces avantages. Ceux-ci peuvent, toutefois, déborder les seuls avantages classiques d'une association de capitaux nationaux et étrangers. C'est ce qui explique, peut-être, le peu d'empressement des IDE à venir s'investir en Algérie sous toute forme que ce soit ; ceci se situant hors du champ d'intérêt du présent essai, toutefois.

Le partenariat entre le capital public détenu par les EPE et le capital privé algérien que détiennent les opérateurs privés nationaux, quant à lui, est au centre d'un débat mettant en prise, d'un côté, «Industrialistes Idéologistes» nostalgiques du «secteur public stratégique» servant au maximum l'intérêt général et pouvant, néanmoins, cacher l'attachement dogmatique et/ou à des rentes individuelles ou de groupes, et, de l'autre, «Financiers»mettant en avant, leur attachement à la maximisation des retombées économiques et sociales que seule, à leurs yeux, l'efficience de gestion du capital peut garantir à la collectivité nationale, en même temps que la garantie d'une croissance économique diversifiée et auto-entretenue en taisant, par pudeur, les soucis d'intérêts personnels étroits. Cet «affrontement» remonte en surface actuellement, à la faveur du nouveau modèle de croissance qu'a adopté l'Algérie en 2015, en même temps que d'autres pays, connaissant ou ayant connu, également, les mêmes difficultés financières et économiques.

Il prend la forme d'un débat autour du Partenariat Public Privé (PPP) qui peut intégrer le capital étranger pour devenir un Partenariat à trois : Public, Privé, Etranger (PPPE). Celui-ci est, stratégiquement, un atout majeur, sur le principe, apportant le liant qui fait défaut actuellement, à la réussite, dans une large mesure, de la privatisation et de la restructuration du secteur public marchand industriel, programmées, et tirant le secteur privé national vers le haut pour l'extirper au pataugeage à un niveau bas de dimensions.

Les recommandations de 2015 du collège des experts du Conseil National Economique et Social et l'introduction de ce partenariat parmi les actions qui permettent d'atteindre les objectifs ciblés par «la transformation structurelle de l'économie», l'approbation par le Conseil des ministre du 26 juillet 2016 du document «l'évolution requise du régime d'investissement dans le but d'améliorer non seulement l'investissement privé mais également l'investissement des administrations publiques», reflète bien une démarche doctrinale qui traduit bien une facette moins avancée que le relai du SPMI par le secteur privé, programmé, en 1999.

L'antagonisme entre «Industrialistes» et «financiers» ne seraitÉ alors, qu'un combat d'arrière garde CAD, pour une question déjà tranchée en 2015, sur le plan du principe.

Les questions liées aux activités et aux EPE concernées en priorité par ce partenariat et aux procédures de mise en œuvre, au sujet du choix à faire entre une loi et un cahier des charges, renvoient à une question de confiance à faire ou non à l'exécutif, quant au respect du PPP, dans le fond et dans la forme.

De même que, holding ou consortium, pour gérer le PPP, la question deviendrait secondaire, dès lors qu'on sait que la référence politique a été tranchée en 1999.

Par ailleurs, en vertu de quels pouvoirs les opérateurs publics, holdings et filiales concernés par cette opération, peuvent-ils s'y opposer ou en régler les horloges devant le contenu d'un programme politique cautionné par la volonté populaire ?

C'est, plutôt, d'un respect des engagements pris vis-à-vis de cette volonté qu'il s'agit, pour en finir avec des questions pendantes déterminantes, à l'effet de dépasser, fondamentalement et durablement, la crise économique récurrente.

Par contre, l'intérêt qu'il faudrait servir à l'occasion de cette ouverture antidogmatique, est celui d'intéresser, favorablement, les liquidités en circulation en dehors du circuit bancaire à s'investir ans les PPP, au lieu de puiser dans des emprunts auprès des banques publiques en difficultés de liquidités. Autrement, ce sont d'autres formes de rentes qui apparaitraient.

S'agissant de la restructuration du SPMI, alors qu'elle est, réellement engagée, la réussite pleine doit surmonter beaucoup de lenteurs qui frôlent les limites des hésitations successives, affectant une fois et retirant une autre, par souci d'une meilleure efficacité, les mêmes attributions à l'organisme en charge de la gestion des participations de l'Etat : Fonds de Participation ; Holdings ; Sociétés de Gestion des Participations de l'Etat ; Groupes Industriels. Une révision dans le sens d'un courage exceptionnel, réduisant le rôle du Conseil des Participations de l'Etat, à de simples droits de regard à postériori, laissant la pleine autonomie aux holdings et leurs filiales, pour agir selon les principes de la libre entreprise. Les mécanismes de contrôle à postériori, devront être, à cet effet, nécessairement, définis.

L'aboutissement de ces réformes, sur un autre plan, auraient pu mieux aboutir si le secteur privé industriel avait, dans l'intervalle, réussi à se débarrasser, dans la quasi-totalité des cas, de son caractère artisanal, «vivrier», d'aversion à l'informel et au mercantilisme, au profit d'ambitions plus nobles.

L'acuité du recours à l'étranger aurait pu, également, être atténuée en attendant de meilleures prédispositions pour l'amélioration de notre climat des affaires qui ne semble pas connaitre de notable amélioration si l'on en jugeait par rapport au dernier classement des pays dans le monde, démenti, toutefois, par une autre appréciation émanant, celle-ci, d'institut spécialisé d'»Oxford Business», tout au début de novembre 2017.

Car, rares sont les opérateurs privés à avoir diversifié profondément leurs activités de départ, dans le sens d'une plus large gamme de produits et une meilleure élaboration en plus fort contenu de technologie et de travail. Par conséquent, la préoccupation est fondamentale et la problématique est inextricable. Nous en discuterons, plus loin, pour aller dans le sens de son inévitable dépassement.

La fin des hésitations

Mais le secteur public marchand industriel ne jouit, malheureusement pas, de son côté, de ressorts nécessaires, pour rebondir seul. Plombé par un choix doctrinal depuis 1989, il n'a pu bénéficier de l'apport partenarial avec le capital étranger, pourtant vivement prescrit, par les IFI dès le début des années 1990 et programmé dans la vision révisée, en mieux, et affichée en 1999.

Il n'a pu, non plus, être relayé par le secteur privé industriel comme tracé, également en 1999, pour les raisons que nous avons suffisamment circonscrites, ci- haut.

Dans ces conditions, la mutation symbiotique salutaire entre les deux secteurs dans le sens du relai stratégique programmé, ne pouvait se produire, de sitôt, malgré la longue attente, déjà comptabilisée. La touche magique pour réussir, sur le plan pratique, cette mutation, fait encore, cruellement, grand défaut.

La réussite de la formulation combinatoire magique, de ces trois dimensions, serait-elle impossible ? Ou s'agit-il d'un nœud gordien, pour être superstitieux ?

Nous nous y intéresserons, malgré tout, très particulièrement, plus loin, dans le cadre de la recherche de la sortie de ce goulot d'étranglement. Le ministre en charge de l'industrie, annonça, naïvement, mais, certainement, de bonne foi, en décembre 2016, que: « Aujourd'hui, les Entreprises Publiques Economiques (EPE) sont totalement assainies et des plans d'investissement ont été consentis pour chacune d'elles, et qui seront financés sur crédits bancaires remboursables à date échue».(7)

L'autonomie totale, affichée au profit des douze groupes publics industriels, mis en place en 2016-2017, semble, à première vue, plutôt, sérieusement sacrifiée, alors qu'elle constitue l'aspect de blocage-déblocage du processus décisionnel dans les EPE et qui explique beaucoup de leur inefficience. C'est pourquoi nous porterons, également, par ailleurs, notre intérêt, dans notre progression analytique, sur cette préoccupation et dont nous avons énoncé, ci-haut, la pétition de principe. Ceci vient en complément des grands projets stratégiques, déjà mis en production, ou en cours de réalisations ou prévus au lancement en réalisation, ou, encore, au stade d'idée de projets, voulus tous, en partenariats industriels et technologiques, dans le cadre des IDE.

Le ministre tenta de trouver des incidences heureuses, attendues de ces actions, sous forme d'appui aux PME, de couverture de la demande nationale, de conquête de parts de marché à l'export, notamment.

Comme il tenta de convaincre que la restructuration du Secteur Public Marchand Industriel (SPMI) en 12 groupes, mettra, en plus, le savoir-faire et l'innovation au centre du développement de l'entreprise publique, en vu de la création de la richesse, en leur qualité d'entreprises industrielles et commerciales, jouissant, prétendait-il, de l'autonomie totale mais qui demeure toujours, à nos jours, imprécise de contours, poings et mains liés par les attributions du CPE que notre proposition, exprimée plus haut, est de nature à surmonter. Mais le mode opératoire, comme par le passé, continue à faire défaut, pour pouvoir réaliser la mise en œuvre de l'autonomie des EPE relevant de ces groupes publics, de manière pratique et pragmatique, ainsi que pour réussir le basculement des EPE privatisables vers le secteur privé, si l'option est, toujours, maintenue. Sinon, les vœux pieux perdureront et le statuquo, aussi.

La recherche de meilleures relations au sein du conseil de participations de l'Etat (CPE), dans le sens de lever ses pesanteurs décisionnelles sur les Groupes et sur leurs filiales, est d'une importance décisive.

Nous excluons, dans la recherche des explications de cet état de fait, la volonté délibérée quant à la persistance de cette incapacité à sortir du gué. Le sous-développement finit, toujours, par sacraliser l'immobilisme, auquel il brode les plus fascinants «exposés des motifs». Pourtant, les volontés de s'en sortir, sont, en théorie, nettement exprimées dans les visions et dans les programmes de leur mise en œuvre.

A suivre

*Economiste, ancien ministre

Note

6- Industries Sidérurgiques, Métallurgiques, Mécaniques et Electroniques.

7- Ministre en charge de l'industrie. S.web du ministère de l'industrie et des mines. C. le 19-7-2017.