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Un échec nommé A380

par Akram Belkaïd, Paris

Airbus cesserait de produire l’A380 si jamais Emirates, la compagnie aérienne de Dubaï, ne passe pas une nouvelle commande. C’est, pour résumer, la situation dans laquelle se trouve l’avionneur européen dont on ne cesse d’ausculter la santé financière. Et dont il se dit qu’il est dans une position des plus délicates en raison à la fois d’affaires de corruption actuellement instruites par la justice mais aussi en raison, justement, de ses déboires dans la commercialisation de son gros porteur.
 
Peu d’appareils vendus
 
A son lancement au seuil des années 2000, l’A380 avait à la fois emballé les spécialistes du marché aérien mais il avait aussi suscité maintes interrogations. Comment un tel géant allait être accueilli par les compagnies aériennes ? Les aéroports allaient-ils consentir les modifications nécessaires pour accueillir un tel monstre ? Les réponses sont désormais connues. Si cet appareil a de nombreux fans, à commencer par les passagers qui apprécient sa stabilité et son confort, il faut bien convenir qu’il s’agit bien d’un échec commercial.
 
Sans l’apport déterminant d’Emirates, qui a acheté près de 100 Airbus A380 – et dont le fabricant espère une commande de 42 aéronefs supplémentaires – le programme aurait été un fiasco total. En effet, la compagnie du Golfe compte presque pour près de la moitié (44%) des achats fermes. Or, au début des années 2000, Airbus entendait en vendre 1200 sur vingt ans en profitant notamment du marché de remplacement des Boeing 747 (le fameux Jumbo Jet lancé dans les années 1960). Au final, seules 317 ventes fermes ont été réalisées. Pourquoi un tel échec alors que le programme promettait tant ?
 
Dans une analyse détaillée, le spécialiste du secteur aérien Fabrice Gliszczynski énumère toutes les raisons (*) : concurrence féroce du B777-ER de Boeing, lequel a raflé le marché du remplacement du B747, soucis industriels qui virent Airbus livrer avec beaucoup de retard ses premiers appareils (et donc à consentir des rabais importants) et multiples incidents exogènes ayant un effet direct sur le secteur aérien (attentats du 11 septembre 2001, crise financière de 2008, etc.).
 
On peut aussi relever que le fait d’avoir reposé toute sa stratégie de lancement sur une seule compagnie a finalement desservi Airbus. Certes, Emirates a permis au programme de se concrétiser et de bénéficier d’une vitrine séduisante. Mais, dans le même temps, on peut se demander si cela n’a pas encouragé nombre de compagnies à se différencier en préférant le B777-ER. De même, les tensions apparues entre la compagnie du Golfe et le constructeur au moment des retards de livraison a entretenu un feuilleton médiatique qui n’a fait que desservir l’appareil. Il y a eu des moments où Emirates aurait certainement pu faire preuve de plus de retenue dans l’expression de ses critiques et de ses impatiences et cela du fait de son statut de compagnie de lancement.
 
Soutien politique insuffisant
 
Enfin, on ne saura peut-être jamais quelle fut l’incidence de la structure polycéphale d’Airbus. Et cela notamment sur le plan de l’aide politique. Dans ses efforts commerciaux, Boeing a toujours bénéficié d’un soutien sans faille de la Maison-Blanche. Qu’il s’agisse de l’administration Bush ou celle d’Obama, la diplomatie américaine a toujours soutenu l’avionneur et pesé de tout son poids pour que tel ou tel pays incite sa compagnie publique à opter pour le B777. Airbus fait la fierté des Européens mais ses dirigeants ont souvent regretté le manque d’empressement des capitales du vieux continent sans compter celui de la Commission européenne.
 
(*) Airbus A380, les raisons d’un échec, Latribune.fr, 16 janvier 2018