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Relations algéro-françaises: Entre les désirs et le bon vouloir des uns et des autres

par Ali Djaaboub

En abordant de nouveau la question de la mémoire, d'aucuns trouveront peut-être que cela devient une idée fixe ; mais comme dit l'adage de chez nous : «ma yhas el djamra ghir li ya3fas a3liha», ou si vous préférez «ne ressent la braise que celui qui a le pied dessus».

Ah cette question mémorielle que chaque partie voit sous un angle différent !

La France d'aujourd'hui à travers les propos qu'à bien voulu nous adresser lors de sa visite officielle de 24 heures en notre pays (nous n'avions pas connaissance de ce qu'ont pu se dire les deux chefs d'Etat une fois en tête à tête) son président Emmanuel Macron estime qu'il faut regarder l'avenir sans se retourner. L'Algérie pour sa part estime que le pays qui l'a colonisée, a martyrisé son peuple, squatté ses richesses culturelles et matérielles et séquestré sa mémoire et jusqu'aux crânes de ses martyrs exposés dans des cartons tels de vulgaires chaussures au pays de la Gaule, lui doit réparation morale et matérielle.

Aucune relation fiable et viable ne peut s'établir entre deux entités alors qu'une partie regarde l'autre avec un regard supérieur du maître d'hier et certainement des pensées pleines de nostalgie et que l'autre cultive en son for intérieur un sentiment de rancœur et porte une blessure profonde que ne saura effacer et guérir que l'expression d'un regret sincère pour les actes commis et des excuses solennellement et formellement exprimées.

Or, il a fallu attendre plus d'un demi-siècle pour qu'un président de l'ancienne puissance coloniale définisse l'acte de ses aïeux par des termes idoines et ose déclarer que non seulement son pays doit des excuses aux peuples qui ont été envahis, oppressés et réduits en esclaves, mais également tous les pays européens qui se sont adonnés à ces pratiques.

A ce stade, les paroles ne suffisent pas à elles seules pour établir un climat de confiance entre les dirigeants et les peuples si, dans les faits, il se passe le contraire de ce qui est dit. La réalité du terrain qui se caractérise par l'agression des pays d'autrui ou l'association à cette agression, la poursuite de l'exploitation des richesses des autres et la privation des peuples propriétaires de la jouissance de ces richesses et les prises de positions qui maintiennent les peuples sous le joug des autres ou la menace que peut constituer la présence à ses frontières de forces armées non désirées qui menace la stabilité d'autres Etats, ne permet pas de construire un avenir radieux et des rapports mutuellement avantageux et bénéfiques pour tous.

Ses prédécesseurs ont bien tenté de fonder des relations d'exception avec notre pays, mais parce que la sincérité était absente de leur part ou que les forces obscurantistes qui allaient à contre-courant étaient trop fortes pour eux, cette œuvre n'a pas abouti et ne pouvait pas aboutir. En effet, pendant qu'un chef d'Etat et son gouvernement travaillent à ce rapprochement historique et que la majorité parlementaire à laquelle ils appartiennent tous promulgue des lois racistes qui positivent le fait colonial et vont jusqu'à vouloir l'introduire dans le cursus scolaire de leur progéniture comme pour les inspirer, ça ne pouvait pas se faire et un tel projet ne pouvait au final qu'échouer, sans quoi nous aurions été traités de dupes ou de dindons de la farce ou ce que vous voulez comme qualificatifs du genre.

Et il est à craindre qu'à chaque démarche visant un rapprochement entre les deux pays, des interférences soient orchestrées par des parties outre Méditerranée qui ne veulent pas de cette normalisation. La preuve en est que, non seulement les nostalgiques s'agitent de l'autre côté pour annihiler toute action allant dans le sens d'un apaisement entre les deux peuples mais également des personnalités en charge des biens matériels et historiques de l'ancien occupé que nous sommes élèvent déjà la voix pour tenter de se dérober de la parole donnée par le Premier magistrat de leur pays.

C'est ainsi qu'en réponse à la déclaration d'Emmanuel Macron de donner des instructions pour que se fasse la restitution des restes mortuaires de nos héros exposés au Muséum de Paris, des voix se font entendre pour saborder ce projet.

L'article de Abdelkader Khelil «Marchandage obscène autour de notre patrimoine mémoriel incessible et inaliénable» qui reprend et commente d'une bien belle façon les déclarations de Pierre Dubreuil, directeur général du Musée national d'histoire naturelle à Paris, et ex-directeur général de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) au quotidien national Liberté, par lesquelles il prétend de manière tendancieuse : « On est en mesure de dire qu'il y a au plus, sept crânes de résistants algériens dans les collections du muséum national d'Histoire naturelle de Paris », est l'exemple de ce à quoi nous allons être confrontés au sujet de la question mémorielle.

Sur cette question du nombre de crânes détenus dans les musées français, nos chercheurs qui ont pu accéder aux lieux de leur séquestration sont formels pour affirmer sans aucun brin d'hésitation que le nombre réel de ces crânes est supérieur à 37 et avoisinerait les 40. Et si l'on devait croire la parole de quelqu'un, ce ne sera sûrement pas celle de Monsieur Pierre Dubreuil dont la mauvaise foi semble manifeste, mais plutôt celle de Ali Farid Belkadi et Brahim Senouci qui n'est motivée que par le souci de rendre leur honneur à nos valeureux martyrs.

Maintenant qu'enfin le président de la République a donné des instructions aux institutions idoines de l'Etat pour formuler la demande de la restitution des restes mortuaires de nos valeureux chouhada pour qu'ils puissent avoir une sépulture décente et reposer en paix dans le pays pour lequel ils ont donné leurs vies, il n'y aura plus personne pour claironner que les hautes autorités du pays n'ont pas fait de demande officielle d'un air de vouloir dire qu'en Algérie l'on se fiche des crânes de nos résistants, de notre mémoire et de nos autres trésors culturels et matériels encore aux mains de la France.

La demande, comme stipulé par les instructions de notre président, englobera aussi les archives relatives à la période allant de 1830 à 1962 (soit la durée de la présence de la France coloniale en notre pays) qui constituent un pan de notre mémoire. Par ailleurs et vu que les cartes représentant les emplacements des mines que l'armée occupante a placées à travers le territoire algérien (et ont fait des ravages longtemps après le recouvrement de notre indépendance) ont été remises aux autorités de notre pays dans un passé récent, il reste à récupérer celles des emplacements des charniers où sont enterrés les milliers de nos martyrs exécutés par l'envahisseur durant la guerre de libération et les indemnisations des victimes des essais nucléaires.

Cette démarche vient, selon certaines indiscrétions et autres déclarations, suite aux entretiens qui ont eu lieu entre le président Abdelaziz Bouteflika et son homologue français Emmanuel Macron lors de la visite du 06 décembre 2017 au terme de laquelle le président français avait, alors, déclaré qu'il allait donner des instructions pour la restitution des crânes de nos résistants sans toutefois rendre publics les autres volets en rapport avec cette question mémorielle.

Il est un fait que l'évolution de ces dossiers, une fois clos, ne manquera pas d'apaiser les esprits, renforcer la confiance et consolider les relations entre les deux pays pour peu que les adeptes de la non normalisation entre les deux Etats, dont les prémices commencent à apparaître, ne mettent pas leur grain de sel pour saborder les actions entreprises.

Sur ce volet précis, il incombe à Emmanuel Macron, ce président de la nouvelle génération qui dit ne pas avoir de complexe par rapport à l'histoire expansionniste de son pays et qui commence à nous faire croire qu'il a suffisamment de force de caractère et de volonté pour faire obstacle à ce genre d'entreprise, de poser les jalons d'un nouveau pont non seulement avec notre pays et le sien mais également avec le sien et ceux des autres peuples, de faire en sorte que cette œuvre qui grandit son auteur qui ne manquera pas de donner à réfléchir aux autres pays se trouvant dans la même situation que le sien et de faire en sorte que cette démarche ne soit pas sabordée.

Quant à nous, nous oserons croire alors que les paroles qu'il a adressées à la jeunesse africaine, dont la nôtre, n'avaient pas d'arrière-pensées et que son comportement certes répréhensible vis-à-vis de ses pairs africains pourra être mis sur le compte la fougue de la jeunesse et considéré comme exempt de relent raciste.