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AU FIL? DES JOURS - COMMUNICATION POLITIQUE : NOUVELLES DU FRONT (Suite et fin)

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Mardi 19 décembre 2018 :

La chaîne d'info RT France (Russia Today), agréée par le Csa français, est accusée d'être «la voix du Kremlin» par les autres chaînes ayant bien plus peur de la concurrence... et par les Etats-Unis. Elle a commencé sa diffusion lundi soir sur le canal 259 du bouquet Free, ainsi que sur son site internet. A 19 heures, la chaîne a diffusé son premier JT. D'une durée de trente minutes, les journaux télévisés de la version française de l'ex-Russia Today doivent être diffusés toutes les heures. Financée par l'Etat russe, la chaîne émettait déjà en anglais, en espagnol et en arabe. Elle était déjà présente en France depuis 2015, mais seulement sur internet. Lancée avec un budget de 20 millions d'euros et 150 salariés, cette chaîne d'information veut «apporter à la France et au monde francophone des perspectives nouvelles et accessibles à tous». Elle est considérée, notamment par les Etats-Unis, comme un instrument de communication du Kremlin. Les locaux de la chaîne se trouvent à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), près de Paris, entre les bâtiments de Canal+ et de TF1. Stéphanie de Muru, la présentatrice du JT, n'est pas une débutante. A 44 ans, elle a déjà participé au lancement, en 2005, de BFMTV. Elle y est restée pendant douze ans, jusqu'en juillet dernier. «C'est dans ma personnalité de prendre des risques. Et être au lancement d'une chaîne, c'est magique», explique-t-elle. Stéphanie de Muru quitte en effet une chaîne en pleine forme, qui se targue d'être la première chaîne d'information quant aux audiences, pour lancer un média controversé. «Je n'ai de leçon d'intégrité à recevoir de personne», rétorque-t-elle au quotidien. Outre Stéphanie de Muru, RT France bénéficie de la participation de plusieurs personnalités médiatiques. RT France met en avant la Russie dans l'actualité, et l'assume. Lors d'une visite en France de Vladimir Poutine, en mai, RT et Sputnik, autre média russe considéré comme proche du Kremlin, avaient été accusés par le président Emmanuel Macron d'être des «organes d'influence» et de «propagande mensongère». Des accusations dont se défend la présidente de RT France, Xenia Fedorova. «Nous sommes accusés mais il n'y a aucune preuve», a-t-elle déclaré à l'AFP, lundi, avant d'ajouter qu'il n'y aura «pas d'attention particulière à l'actualité russe : nous faisons nos choix en fonction de l'actualité». A noter que les accusations étaient absentes lors de la création de la chaîne de télévision israélo-française I24 news par Patrick Drahi... qui est, aussi, co-propriétaire de BFMTV (par le biais de Sfr Group).

Jeudi 21 décembre 2017 :

Maroc : importante sortie (au campus de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Casablanca) du Centre international de recherches et d'études en sciences de la communication politique (Cirescop) et de l'Équipe de recherche en communication politique (Ercop). Organisation du premier colloque international de la communication politique pour analyser et décortiquer la notion du «pouvoir».

La question a été abordée de manière à savoir si l'on peut conquérir le pouvoir via les émotions de l'électeur ou à travers la nouvelle terminologie de la «peopolisation» des hommes politiques marocains. Les débats ont également permis de débattre de la politique dans sa relation avec les médias et l'opinion publique à travers une approche sociolinguistique ou l'impact de l'image médiatique des hommes politiques marocains sur les téléspectateurs, ainsi que le pouvoir à travers la mise en scène des faits (cas des faits divers au Maroc)?

Le chercheur universitaire Abderrahim Outass, expliquant la relation entre le pouvoir et les élections, a estimé qu'en général, «tous les moyens sont bons pour conquérir le pouvoir. Dans les démocraties, où la conquête du pouvoir et sa légitimation passent par les élections, les politiques usent de tous les arguments qui peuvent les aider à persuader l'électeur. D'où l'intérêt de l'étude du comportement de l'électeur qui est un acteur principal dans le processus de la conquête du pouvoir». Ainsi, dans ce cadre, il a mis en avant les changements qui ont touché l'électeur marocain. Selon lui, la dimension émotionnelle commence à devenir déterminante dans l'explication de la tendance des votes. Par ailleurs, une place de choix a été accordée à l'Afrique lors des travaux de ce colloque. À travers trois volets, au moins, il était question de montrer, globalement, comment les décideurs au Maroc ont pris conscience de l'importance de la communication politique, et aussi du marketing politique afin de se faire vendre au niveau international.

D'un autre côté, l'universitaire Siham Benfaïda a braqué les projecteurs sur le rôle des médias s'agissant de l'image du Maroc en Afrique. Pour elle, la coopération Sud-Sud en direction de l'Afrique nécessite une mise à contribution effective et efficace des multiples médias. Admettant que le Maroc cherche à s'attribuer l'image de locomotive du changement dans le continent, Siham Benfaïda considère que «cela doit être accompagné par le déploiement d'importants efforts diplomatiques et communicationnels en vue de conforter l'image du Royaume en Afrique et de vaincre la concurrence des autres États partageant ces mêmes ambitions de positionnement stratégique, rivalisant avec lui ou déjà en place dans les régions qu'il convoite». A bon entendeur... !

Vendredi 22 décembre 2017 :

Propos -à méditer- d'un «veilleur sur la haute tour», le vétéran de la presse maghrébine et africaine, BBY, journaliste : «Le doute n'est pas permis : qu'ils aient un train de vie modeste ou qu'ils se soient enrichis, ceux qui détiennent le pouvoir politique prennent le pas sur les milliardaires, fussent-ils immensément fortunés. Souvenez-vous de Vladimir Poutine. Il n'a pas hésité, au début de son règne, à faire arrêter Mikhaïl Khodorkovski, l'oligarque le plus riche de Russie, et à le maintenir dix ans en détention. Sont-ils mieux protégés dans les pays démocratiques, où la loi et les droits de l'homme sont davantage respectés ? Oui, mais ils ne sont pas pour autant invulnérables, raison pour laquelle ils veillent à être «du côté du manche», c'est-à-dire en bons termes avec les pouvoirs politiques»... Ce qui n'est pas une garantie totale, avec le contre-pouvoir, encore quasi indépendant, de la presse électronique et des réseaux sociaux.

Samedi 23 décembre 2017 :

Ahmed Ouyahia a réagi à la banderole, dans laquelle le souverain saoudien est brocardé (en compagnie de Trump) par des supporters du club de Aïn M'lila, exprimant, à leur façon, leur solidarité avec le peuple palestinien, et manquant de provoquer un incident diplomatique.

Pour lui, les lois algériennes «imposent le respect du président de la République et des autres chefs d'Etat». Donc, l'incident du stade était «inadmissible». D'où des excuses présentées..., car «nous ne sommes pas un peuple de bandits».

A noter que le ministre de la Justice, garde des Sceaux, avait fait état auparavant de l'ouverture d'une enquête sur cet incident, précisant que les résultats préliminaires avaient montré qu' «il s'agit d'un acte individuel et isolé».

Une forme d'expression visuelle qui est quelque chose de normal -lorsqu'on connaît l'ambiance de nos stades- pour des jeunes qui n'ont pas la maîtrise des subtilités de la diplomatie. Ce qui est moins normal, c'est la précipitation dans laquelle tous sont tombés dans le piège des «réseaux sociaux» et du discours de politiciens opportunistes (chez nous comme chez les autres) donnant, ainsi, à un incident (sic !) très local, la dimension d'une affaire d'Etat menaçant «les relations fraternelles». Il eut fallu, tout simplement, laisser la justice suivre son cours... si, bien sûr, il y a plainte déposée. On se souvient de l'affaire Gueddafi -Bouakba... qui avait été bien mieux traitée.

Les autorités saoudiennes ont-elles rendu la politesse à l'Algérie ? En effet, la photo montrant une banderole déployée par des supporters d'un club saoudien et insultant indécemment le président et le peuple, et qui serait le fruit d'une manipulation de facebookers et de twitos saoudiens, était infiniment plus insultante à l'égard de l'Algérie. La dernière visite en Algérie du président du Conseil saoudien de la Choura a, peut-être, réparé les dégâts.

Lundi 25 décembre 2017:

«Emission Impossible» de Beur Tv de Abdou Semmar (22 décembre). L'invité : Dr Saïd Djabelkhir, islamologue proche de (feu) Mohamed Arkoun. Il décortique, entre autres, le contenu des hadiths qui reprennent le parcours du prophète Mohammed QSSL. Le chercheur s'est exprimé également sur la période du prophète en mettant l'accent sur la corruption qui régnait à l'époque du Khalifat, dressant un portrait assez noir des conquêtes musulmanes, parlant notamment de la mise à feu par les hommes de Omar Ibn Khattab de la bibliothèque d'Alexandrie.

Et, surtout, il discute le bien-fondé de certains « hadiths» du prophète Mohamed rapportés dans « Sahih Al Boukhari» et il appelle à un renouvellement de la lecture de l'islam au regard des impératifs de notre époque. Tollé général sur les réseaux sociaux. On appelle même à fermer la chaîne de télévision (dont le siège est en France !) et à faire taire (sic !) la voix du chercheur de renom en sciences islamiques, spécialiste du soufisme, initiateur et animateur du Cercle des lumières pour la pensée libre, espace de débat et de réflexion progressiste qui traite des questions de fond dans la société algérienne.

D'autres personnes ont demandé à l'Arav d'intervenir et de placer les lignes rouges pour que ce genre d'émission et de dépassement ( ?!?!?!) ne se répète pas sur les plateaux de télévision.

Décidément, on n'arrête pas le progrès en c...es !

Mercredi 27 décembre 2017 :

M. Georges, nouveau président de la République du Libéria. M. Georges ? C'est le footballeur Georges Weah, 51 ans, premier africain Ballon d'or en 1995, ayant brillé dans plusieurs clubs comme l'O. Marseille, Monaco, le Milan Ac..., deux Coupes de France, un titre de champion, éclatant en Coupe d'Europe, international... Bien sûr, il y a d'autres sportifs de haut niveau qui sont devenus hommes politiques : maires, ministres, sénateurs (dont G. Weah), députés... mais jamais présidents ! Comme si, auparavant, les grands décideurs avaient programmé une exploitation mesurée des vedettes du sport ou du show business, les seuls ayant pu passer le cap pour devenir présidents étant les présidents de club (toujours hommes d'affaires ou affairistes très proches des premiers cercles du pouvoir politique : Berlusconi, Mauricio Macri...). Il est vrai que les niveaux d'instruction et culturels des grands sportifs a considérablement augmenté, ce qui a facilité leur compréhension des ressorts sociétaux et de la chose politique... et, pour bien d'entre eux, dont M. Georges, sont restés très proches non seulement de leurs fans mais aussi de leur société et de leur pays. Pas seulement sportifs, pas seulement stars... mais aussi et surtout des hommes engagés... Car, un homme déjà assez riche (honnêtement) voulant devenir président d'un pays parmi les plus pauvres et les plus instables d'Afrique (guerre civile de 1989 à 2003 avec 250.000 morts), ça ne court pas les rues... chez nous.

Samedi 30 décembre 2017 :

Du temps de Jacques Chirac, une théorie de la communication institutionnelle (élaborée par Jacques Pilhan, le conseiller en com' politique) s'était imposée en France... et ailleurs. Celle de la «rareté» de la parole.

François Hollande n'en a pas tenu compte (suivant en cela son prédécesseur, N. Sarkozy) et cela a donné un véritable embrouillamini communicationnel favorisant la presse et ses journalistes. Trop de bavardages et de confidences tuent la com' ! Surtout que les moyens de transmission ont beaucoup changé avec l'apparition d'Internet et des chaînes d'information en continu. Un autre monde.

Macron, jeune homme bien sous tous rapports et respectueux de ses aînés, n'en a pas tout de suite tenu compte d'autant que son ancien chef (F. Hollande) s'était brûlé les ailes. D'où une défiance certaine. Le nouveau président a d'abord procédé à une mise à distance radicale, imaginant se contenter des outils de campagne que sont les réseaux sociaux. Position intenable, comme on l'a constaté durant l'été, lorsque l'exécutif a été incapable de défendre devant le public ses coupes dans les aides publiques au logement. Il a finalement trouvé un point d'équilibre, utilisant les médias mais toujours dans le souci d'en garder le contrôle. De la défiance calculée et pas de confidences. Et, sans se priver d'initiatives décalées, telles que son intervention dans l'émission de Cyril Hanouna ou son entretien sur France 2 avec Delahousse.

Il a donc appris à se jouer des journalistes... et la foule (comme on l'a vu dernièrement à Alger, venu tâter le pouls de la rue) mais sans renoncer à une forme de séduction, de connivence, recourant aussi bien au rire qu'à la baguette. Pas de confidences ! Aux journalistes de savoir «tirer les vers du nez».

Dimanche 31 décembre 2017 :

Selon un quotidien d'informations en langue arabe édité Londres, le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, aurait «mis la main» sur le groupe MBC (Middle-East Broadcast Corporation) et sur la chaîne de télévision «Al-Arabiya», qui était auparavant une filiale du groupe MBC... l'un des plus grands empires médiatiques du monde arabe, sinon le plus important, et l'une des plateformes médiatiques les plus influentes sur l'opinion publique arabe, en particulier en Arabie Saoudite. A signaler seulement que cela fait, peut-être, suite à l'arrestation, début novembre dernier (sous l'accusation de corruption), du propriétaire, Cheikh Walid al-Ibrahim. Il aurait «accepté» de se dessaisir de l'ensemble des chaînes du groupe. Des licenciements en vue ? Déjà, en août, «Al-Arabiya» avait commencé de licencier... et on dit que le prince dirigerait directement la rédaction, supervisant les infos.

MBC est un groupe de médias saoudites panarabes (diffusion en clair) fondé à Londres le 18 septembre 1991 par Walid Ben Inbrahim al-Ibrahim. Siège : Dubai.

La société est propriétaire de 18 chaînes de télévision.

Question : Pourquoi cette reprise en mains ? Pour casser encore plus de tabous dans un monde arabo-musulman qui en a bien besoin... ou, tout simplement, pour se (ré) approprier et (ré) orienter un instrument d'influence.

Lundi 1er janvier 2018 :

Il a animé le premier gala de musique moderne dans l'histoire de l'Arabie Saoudite. Il vient d'animer (dimanche) un concert au Village mondial à Dubai. Il en a profité pour arborer le drapeau tunisien (ainsi que ceux du Maroc et de l'Algérie)..., une sorte d'appel à la fraternité et la réconciliation entre les Emirats arabes unis et la Tunisie, actuellement en froid suite à un refus de la compagnie aérienne émiratie d'interdire aux femmes tunisiennes de prendre le vol sur un de ses appareils; une décison très mal accueillie par Tunis.

Une initiative personnelle, sur instigation ou sur proposition d'une ou des deux protagonistes ou d'une tierce partie (l'Algérie ? on l'espère)..., peu importe. On conclut seulement que, dorénavant, lorsque les voies diplomatiques sont bouchées (et cela arrive de plus en plus tant les humeurs prennent le pas sur les valeurs), seules la musique, la chanson et la danse (par le passé, on a eu le ping-pong et le tennis et un peu le basket, avec des matches d'exhibition seulement..., le foot étant un très mauvais média) peuvent «adoucir» les mœurs; sociales entre les peuples assurément, politiques et diplomatiques entre les dirigeants, parfois.