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La cause juste et la cause injuste dans la prolifération nucléaire - L'inconscience des États-Unis en tant que premier agent proliférateur (Suite et fin)

par Medjdoub Hamed *

Nous avons des deux côtés un totalitarisme qui exercice un poids sur les peuples, l'impérialisme occidental d'un côté qui cherche à dominer le reste du monde, et une dictature d'État de l'autre, où le citoyen embrigadé dans un communisme totalitaire n'est qu'un élément sans voix dont le droit est pensé pour lui. Par ces guerres, on retrouve un double endiguement et pas seulement occidental. Si les États-Unis ont perdu au Vietnam, la cause était injuste, le peuple vietnamien payait de son sang l'agression américaine, comme cela est aussi valable pour l'URSS qui a attaqué l'Afghanistan dans une perspective de déboucler la ceinture verte qui l'enserrait et que les États-Unis ont suscitée, et cela est aussi une cause injuste. En clair se confirme que le monde, à cette époque, était divisé en deux totalitarismes, un capitalistique se drapant de démocratie, de l'autre un communisme où les libertés confisquées au profit d'un parti unique se drapait de socialisme.

A partir du milieu des années 1970, après les échecs américains au Vietnam, les conflits armés vont se déplacer en Asie centrale et au Moyen-Orient. Les guerres qui suivirent dans le monde arabe et au Moyen-Orient ouvrirent une nouvelle page de l'histoire. La première avancée majeure qui suivit est la fin du premier totalitarisme communiste en Asie, l'URSS en décembre 1991 finit d'exister. La dispersion des quinze républiques et la réorganisation de la nouvelle Russie change définitivement l'ordre géostratégique du monde. Le contrepoids que fut l'URSS au totalitarisme capitalistique américain n'existant plus, les États-Unis crurent que leur heure est arrivée pour imposer au monde un ordre unipolaire. Reprenant de nouveau un cycle de violence et de guerres pratiquement ininterrompues, ponctué seulement par des embargos sur des pays faibles, l'objectif stratégique de la superpuissance était à la fois d'endiguer les velléités des grandes puissances affaiblies -la Russie disloquée se cherchant à s'adapter aux nouvelles forces de l'histoire et la Chine appliquant la devise du faible au fort de Deng Xiaoping qui est : «Cachez vos forces, attendez votre temps»- et de mettre au pas les pays réfractaires à son hégémonie, comme l'Irak et l'Iran. Il était vital pour l'Amérique de regagner la mainmise sur les gisements de pétrole irakien et iranien qu'ils ont perdus durant la période de la Guerre froide.

Ainsi se comprend l'engagement des États-Unis qui, drapés par une justification moralisante de droit international, et à la tête d'une coalition internationale, se lança en guerre contre l'Irak, en 1991. Tous les moyens étaient bons pour la superpuissance, la justification moralisante en fait était tronquée. Pour cause, «le 25 juillet 1990, l'ambassadeur des Etats-Unis à Bagdad, April Glaspie, est reçu par Saddam Hussein. Le président irakien masse depuis plusieurs semaines des troupes à sa frontière sud avec le Koweït, dont Bagdad n'a jamais vraiment accepté l'indépendance. Or que lui aurait dit l'ambassadeur des Etats-Unis lors de cette audience ? «Mon pays n'a pas d'opinion sur les conflits entre pays arabes, tel votre différend de frontière avec le Koweït» (2)

Les enjeux géostratégiques pour la superpuissance obligent. Poussant l'Irak à envahir le Koweït, l'Amérique trouve là un prétexte idoine pour ouvrir les hostilités contre les pays arabes réfractaires à sa domination. Cependant, malgré une guerre extrêmement destructrice et meurtrière suivie d'un embargo de 12 années tout autant destructeur et meurtrier -la seule différence est que l'extrême affaiblissement de l'Irak s'est opéré dans un temps plus long-, ce qui n'a pas empêché l'Irak de rester debout, faussant tous les objectifs géostratégiques de la première puissance du monde.

La «parité nucléaire» entre les grandes puissances comme gage pour la sécurité mondiale. Le cas d'Israël

On dit que la «La Nature a horreur du vide». Cet adage a été maintes fois vérifié. L'URSS a disparu et surtout la guerre de 1990-1991 contre l'Irak a créé un séisme dans le monde. Si les États-Unis ont vu leur puissance décuplée par le seul fait que la seule puissance, l'URSS, qui leur faisait de l'ombre, a disparu, cette situation va engendrer une situation extrêmement dangereuse pour la paix du monde. En effet, du fait que la superpuissance est désormais libre de ses agissements subversifs et qu'aucune grande puissance n'est plus là pour la contrer -l'URSS démantelée et affaiblie comme la Chine sont tous deux arrimés économiquement et financièrement à l'Amérique-, il devient nécessaire pour ces pays, pour prémunir leur souveraineté, de compter sur leurs forces pour parer à toute agression extérieure. Et comme cette agression est ciblée et provient de l'Amérique, et que le rapport de forces est sans commune mesure, la seule alternative qui reste à ces nations est de trouver un «moyen de défense suffisant pour empêcher la première puissance du monde de les attaquer»

Et le seul moyen, on le devine, c'est l'«arme nucléaire, l'arme absolue qui ne pardonne pas» Les deux bombes A qui se sont abattues sur Hiroshima et Nagasaki en 1945 sont suffisamment éclairants, et qui ont fait plus de 150.000 morts en quelques secondes ou quelques minutes pour ceux qui n'ont pas fondu sur le coup, ou quelques heures ou quelques jours ou condamnés à vie pour ceux qui ont été touchés par la chaleur, la radioactivité et le souffle, autant de symptômes que produit cette bombe inhumaine. Pour dire que depuis la découverte de la fission nucléaire et la fusion thermonucléaire, une épée de Damoclès pèse désormais sur l'humanité.

C'est ainsi que déjà «le vide commença à se combler», en 1998, deux puissances, l'Inde et le Pakistan, ont franchi le seuil nucléaire en 1998. L'Inde réalise ses premiers essais nucléaires le 11 et 13 mai 1998. Quelques jours après, le Pakistan procède aussi à ses premiers essais nucléaires, le 28 mai et 30 mai 1998. La Chine est accusée d'avoir fourni la technologie de l'arme nucléaire au Pakistan pour contrer l'Inde. Nous ne devons pas oublier que le soutien technologique de la Chine, si soutien il y a eu, n'est pas propre au Pakistan.

La Chine a aussi bénéficié, en son temps, de la technologie nucléaire soviétique dans son programme d'armement comme celui des vecteurs balistiques. Et cela n'est pas propre aux seuls pays de l'Est. La France et le Royaume-Uni ont aussi été aidés par les États-Unis, pour franchir le seuil nucléaire et se doter d'un arsenal nucléaire proportionné à leurs puissances respectives.

«Alliance oblige», devrons-nous dire. L'objectif n'étant pas d'aider pour aider, i.e. gratuitement, mais d'assurer une «parité nucléaire» entre le bloc Ouest avec le bloc Est. Tels sont les enjeux qui tout compte fait sont naturels pour assurer l'équilibre géostratégique du monde et, ce faisant, la «paix armée mondiale». C'est cet équilibre qui primait pour éviter une apocalypse qui détruirait le monde humain.

Cependant, si pour le Pakistan et pour l'Inde, et des sanctions économiques américaines peu soutenues, n'ont pas posé de grands problèmes à l'ordre de puissance mondiale dominée par les États-Unis, et donc à la sécurité mondiale qui était préservée, d'autant plus que, sur la question du Cachemire, territoire qui les opposait, une guerre nucléaire qui surviendrait par le nombre d'ogives qu'ils détiennent suffirait à détruire toutes les villes et bases militaires de l'Inde et du Pakistan. «Donc une destruction mutuelle assurée, et seule la présence de ces arsenaux nucléaires sont suffisants pour dissuader leurs gouvernants de pousser à une guerre apocalyptique qui durerait tout au plus peut-être moins d'une semaine». C'est dire l'extrême importance du péril nucléaire qui pèse sur le monde. Et que tout litige même le plus extrême entre ces deux grands pays doit se régler diplomatiquement. Il apparaît clairement que, quel que soit le contexte de crise entre les puissances dotées d'arsenaux nucléaires, de niveau mondial ou régional, une parité nucléaire, ou se rapprochant non par le nombre d'ogives, mais par le nombre d'ogives suffisant pour créer l'apocalypse au plus fort (qui a le plus d'ogives) est un gage pour la sécurité régionale et mondiale.

Si cette situation pour ces deux pays est maîtrisée sur le plan nucléaire, il en va autrement pour Israël, l'Iran et la Corée du Nord. Israël, en tant que puissance nucléaire non déclarée non seulement n'est pas inquiétée, mais «est dépendante de l'Amérique dont le soutien lui est indéfectible». On sait très bien qu'un petit pays, Israël ou un autre pays, y compris la Corée du Nord et même l'Iran, pourtant un grand pays, ne pèseront pas lourd si les grandes puissances nucléaires se ligueront contre eux. Le seul inconvénient dans l'ordre de puissance mondiale est que les grandes puissances sont désunies. Et Israël ayant le soutien total de la première puissance mondiale et aligné à l'hégémonie américaine, son arsenal nucléaire ne poserait pas de problèmes à la sécurité mondiale sauf en cas de guerre nucléaire restreinte, à l'échelle régionale. Et comme sa superficie territoriale (hors les zones occupées de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et du plateau du Golan) est de 20.770 km2, une guerre au Moyen-Orient serait apocalyptique pour Israël. Aussi peut-on dire que l'arsenal nucléaire d'Israël, même s'il est défensif, hormis évidemment les guerres psychologiques dans les velléités de guerre nucléaire, ne peut en aucun cas être offensif. Si cela surviendrait, cela provoquerait inévitablement une guerre apocalyptique où Israël serait le plus vulnérable. La détention de l'atome par Israël ne pourrait poser de grands risques à la sécurité régionale et mondiale d'autant plus qu'elle n'est pas menacée d'une guerre nucléaire par les grandes puissances.

Ce qui n'est pas le cas pour l'Iran et la Corée du Nord qui sont menacés de surcroît par la première puissance mondiale.

Les États-Unis, par leur politique d'agression, sont le premier pays proliférateur nucléaire du monde

En effet, le problème de prolifération nucléaire se pose pour ces deux pays. Comment l'Iran et la Corée du Nord se sont-ils trouvés à mener des programmes nucléaires clandestins et balistiques ? L'un ne va pas sans l'autre. Qui en est la cause ? D'emblée peut-on dire la crainte d'être envahi ? Et c'est la guerre lancée par l'Amérique, à la tête d'une formidable coalition internationale, contre l'Irak en janvier 1991. La coalition internationale constituée de 39 pays dont 21 pays occidentaux entre l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Australie, 5 pays du Moyen-Orient, 5 pays d'Asie, 6 pays d'Afrique et 2 pays d'Amérique du Sud, n'a été formée que pour légitimer l'action moralisante des relations internationales, i.e. le respect du droit international. Alors que l'objectif visé par les États-Unis était d'imposer un ordre unipolaire mondial, transformant les États-Unis en une nouvelle «Rome moderne».

Deux questions se posent à cette situation nouvelle de l'ordre de puissance mondial, surtout que le péril nucléaire est réellement présent pour l'humanité. La première question : «Est-ce que l'Histoire, après 1500 ans, depuis la fin de l'Empire romain en 476 après J.-C., pourrait-elle revenir en arrière ?» Si c'est le cas, c'est faire fi des immenses avancées de l'humanité dans tous les domaines scientifiques, technologiques, culturelles, humanistes, économiques, militaires, urbanistiques..., et surtout le monde est constitué de trois grandes puissances nucléaires. Donc un monde unipolaire est une vue de l'esprit loin de la réalité du monde. Deuxièmement ce projet d'un monde unipolaire par les néo-conservateurs américains qui cherchent à remodeler le monde arabe en Grand Moyen-Orient (GMO), un projet utopique, en y exportant la démocratie par la force comme si la démocratie est une marchandise, n'est pas seulement un facteur utopique, déstabilisateur et perturbateur de la paix mondiale, mais surtout proliférateur nucléaire.

Dès lors que la feuille de route des États-Unis, après l'invasion de l'Irak qui, plus grave, a reçu le soutien du Japon, ce qui est compréhensible, en tant que pays faisant partie du camp occidental, mais ce qui n'est pas compréhensible, le soutien de l'Union soviétique qui n'a rien fait pour s'opposer à la guerre contre l'Irak ou qu'elle ait dissuadé l'Irak d'envahir le Koweït compte tenu du piège que lui tendait l'Amérique, et c'est cela qui fut l'élément déclenchant de la prolifération nucléaire. Ce qui signifie que les programmes nucléaires clandestins de l'Iran et de la Corée du Nord relevait d'un processus causal non seulement légitime mais aussi moral. On peut assimiler la situation inédite du monde à une équation du deuxième degré où initialement les coefficients qui étaient stables et évoluaient naturellement en donnant des racines déterminées se trouve, par l'entrée d'un paramètre m, complètement bouleversée selon la valeur positive ou négative affectée à ce paramètre. Donc, par des racines nouvelles, l'équation du monde change complètement. Et ces deux racines nouvelles, solutions à l'équation du monde, peuvent, par analogie, être assimilées à l'Iran et à la Corée du Nord.

Oui, il y a un certain mathématisme dans le développement du monde. Rien ne vient sans cause. On a beau imposé des traités internationaux pour dissuader la prolifération nucléaire (TPN), mais les postures agressives des grandes puissances viennent battre en brèche ces traités qui ne deviennent plus crédibles. Le plus grave par les guerres du fort au faible se pose le principe de la cause juste et de la cause injuste dans la prolifération nucléaire. Et par ces agressions répétées, la prolifération nucléaire non seulement se légitime mais devient un moyen défensif, surtout que ce moyen est apocalyptique, qui ne pardonne pas en termes de destructions massives et de vies humaines.

Et c'est un peu ce qui se passe, le paramètre m est cette politique agressive de la première puissance du monde contre tout ce qui bouge, i.e. contre tout pays qui remet en cause son hégémonie sur le monde. Et pour l'Iran et l'Irak, cette remise en cause porte sur la mainmise américaine sur les gisements de pétrole du Moyen-Orient. Alors que ces pays, pour leurs gisements de pétrole, sont souverains. D'où le projet américain de remodeler le Moyen-Orient, ce qui signifie mettre au pas les régimes irakien et iranien, qui passe par un changement de régime politique de ces pays, assurant en même temps la sécurité d'Israël, voire même l'aider à construire son mythique Grand Israël.

Si les États-Unis triomphaient dans ces deux entreprises, changer les régimes politiques irakien et iranien, rien ne les empêcherait de passer à la phase trois : s'attaquer à la Corée du Nord. Mais ces plans géostratégiques de la première puissance mondiale, surtout que l'absence du contrepoids que fut l'Union soviétique qui se trouve alignée aux vues de l'Amérique, en échange certainement d'une contrepartie financière -l'URSS étant en dérive économique et sur le point d'éclater-, ne pouvait que pousser l'Iran et la Corée du Nord à compter sur soi.

D'autre part, ce qu'il faut souligner pour le cas de l'Iran et de la Corée du Nord, c'est que les Américains ne visaient pas des révolutions colorées montées de l'intérieur comme le furent les pays en Europe de l'Est qui ont fait tomber le «Mur de Berlin», en 1989, mais à leur faire la guerre, ce qui est complètement différent. Quel pays ou quel peuple du monde accepterait d'être attaqué, bombardé avec des pertes par milliers de victimes civiles, d'innocents dans les villes et dans les zones rurales pour le seul objectif «envahir ce pays et changer de force le régime politique» Aucun peuple n'accepterait cette situation de se faire tuer gratuitement pour les objectifs stratégiques des grandes puissances. Tout peuple cherchera à se défendre par tous les moyens, y compris nucléaires.

Ce qui nous fait dire que le premier agent proliférant de l'armement nucléaire est bien l'Amérique dans sa guerre contre ce qu'elle a appelé l'«Axe du Mal», i. e. l'Iran, la Corée du Nord et l'Irak. Et les attentats du 11 septembre 2001 sont venus à point nommé conforter sa politique d'agression tous azimuts, pour instaurer la «pax americana, un ordre unipolaire dominé par les États-Unis»

Cette deuxième partie se termine. L'auteur tient souligner cependant que les enjeux qui se posent aujourd'hui et vont en se compliquant dans les années à venir, que nous aurons à développer, vont amener l'Amérique, paradoxalement, à jouer un rôle positif majeur à la fois dans l'équilibre de puissance mondiale et dans la limitation de la détérioration de la paix sur le plan nucléaire dans le monde. Certes, avec un prix à payer. Et c'est ce qui est en train de ressortir dans les frictions sur le plan géostratégique aujourd'hui entre les puissances nucléaires.

*Auteur et chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective. Officier supérieur de l'ANP/FN en retraite

Notes :

1. «Incertitudes du rapprochement entre les deux Corées.» Le monde diplomatique. 01/2006

https://www.monde-diplomatique.fr/2001/01/HARRISON/

2. «April Glaspie, «détonateur» de la guerre du Golfe», Par Le Point. Le 22/04/1995, modifié le 16/01/2007

http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2007-01-16/april-glaspie-detonateur-de-la-guerre-du-golfe/924/0/6629