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Que nous réserve-t-elle l'année 2018 ?

par Mohammed Beghdad

Comme à chaque fin d'année, et comme le veut une tradition post-indépendance, les uns s'activent à préparer et à passer Noël, culturellement parlant, pour une certaine catégorie au pays ou à l'étranger, le soir du 24 décembre, avec une table décorée d'un repas à la dinde et qui sait, magnifié d'un plat de foie gras sans oublier la présence inévitable de la bûche qui grignote de plus en plus de notre espace en cette période hivernale, d'autres s'emploient à programmer de réveillonner en cette ultime journée de l'année autour d'un dîner spécial, chacun selon son goût et sa tendance, et à se souhaiter une bonne année lorsque les trois coups de minuit auront retenti.

Enfin, la majorité des familles ne se sentiront guère le besoin de fêter l'année grégorienne, mais attendront patiemment le 12 janvier pour célébrer leur ancestrale année de Yennaer (avec comme diminutif nayer) durant deux journées, la première agrémentée d'un repas froid avec au menu du cherchem (*), des beignets, et de terminer la soirée autour d'un thé à la menthe avec la consommation de fruits secs oléagineux et des bonbons, suivie par une seconde soirée rehaussée d'un dîner de couscous royal au poulet fermier farci, selon des variantes locales spécifiques à chaque région du pays.

En ces périodes de vaches maigres, c'est donc avec la peur au ventre qu'on appréhende la nouvelle année. On ne sait pas quels vœux doit-on souhaiter à notre prochain, ni à quel saint se vouer ? En effet, on n'a d'yeux fixés que sur la loi de finances qui, d'année en année, n'arrête pas de nous serrer davantage la ceinture surtout pour les fonctionnaires qui n'ont pas vu leurs salaires revalorisés depuis 2008, alors que leur pouvoir d'achat ne cesse linéairement de dégringoler. N'évoquons même pas les couches défavorisées de la société qui vivent au jour le jour et qui ne pensent même pas de quoi sera fait le lendemain. Une fois qu'ils seront frappés en pleine gueule par l'application des nouvelles lois sur le terrain qu'ils se réveilleront K.-O. debout. Les dégâts incommensurables qu'engendreront les nouveaux textes de plus en plus terribles et ne pourront être estimés qu'une fois le choc et ses secousses secondaires auront laissé tel un rouleur compresseur leurs incurables séquelles.

Revenons à ces presque mille produits qui vont être interdits à l'importation à partir du 1er janvier. Ce qui choque le plus, ce sont pratiquement le même système et les mêmes politiques qui ont encouragé la politique de l'importation à outrance qui, aujourd'hui, nous chante les vertus d'une politique totalement contradictoire et radicale. Qu'est-ce qui nous a incités, publicité aidante, à préférer l'achat de produits étrangers ? Si ce n'est cette importation tous azimuts qui ne reflète absolument pas notre niveau de développement. Qu'est-ce qui a favorisé le produit de là-bas au point où les Algériens lui vouent une admiration sans limite et qu'ils sont même devenus allergiques en ironisant sur la marchandise locale ? Combien de fois a-t-on vu des responsables ne se souciant guère du gaspillage débordant qui s'étalait au vu et au su de tout le monde sans qu'ils daignent bouger le petit doigt ? Qu'est-ce qui nous a mis alors dans cette situation irréversible d'addiction ? Pourquoi n'avons-nous pas eu la crainte que cette aventure virtuelle ne peut-elle pas durer face à la réalité ? Et que jusqu'ici, on nous a fait miroiter lors des campagnes électorales que le pays est totalement immunisé par la politique de sagesse prônée ? Il ne faut pas leur en vouloir car ils n'ont pas des exemples à prendre sur nos gouvernants qui, les premiers, font leurs commandes chez les grands couturiers de Paris et de Rome. Et que l'on ne vienne pas nous dire maintenant l'inverse comme si de rien n'était.

Nos jeunes que nous avons habitués aux téléphones portables de marques Iphone, Samsung et Oppo, vont-ils maintenant se contenter d'un Condor ou d'un made in Enie ? Nos jeunes qui assaisonnent leurs pizzas au ketchup et à la moutarde de Dijon puissent-ils survivre au sevrage après le 1er janvier ? Nos jeunes qui ont adopté les vêtements en vogue puissent-ils trouver un pantalon à leur goût lorsqu'on sait que la production made in Algeria a été écrasée tout au long des années de vaches grasses par celle des containers qui s'arrachait et se vendait avant même d'embarquer d'un port chinois ?

Seuls leurs parents pourraient peutêtre survivre, eux qui ont connu les privations et résisté aux pénuries chroniques des années Sonitex, aux longues queues des Souks El Fellah pour déposer une demande d'acquisition d'un frigo, et reste à savoir si vous aurez la chance de l'acquérir dans 6 mois, et les ex-points de vente de l'Ofla avec des étalages presque vides et ensuite une amélioration relative grâce au fameux PAP sous l'ère de Chadli mais qui nous avait mené tout droit vers le mur. Quoiqu'en ces temps-là, on vivait au moins selon nos moyens et malgré cela, la crise de 1986 nous avait frappés de plein fouet. Tout le monde connaît la suite et les conséquences qui s'ensuivaient.

Aujourd'hui, les choses ont également pris des tournures alarmantes et on ne mesure pas les suites qui peuvent en découler de cette politique dangereuse qui hypothèque même l'avenir du pays. Qu'est-ce qui peut prédire de ce qui va se passer dans une ou deux années ? On navigue presque aveuglément vers l'inconnu. De nombreux observateurs s'inquiétaient de cette importation disproportionnée par rapport aux exportations de produits hors hydrocarbures, mais les hautes autorités ne tenaient qu'à leurs avis en n'écoutant que leurs courtisans, que ceux qui applaudissent à tout va, que ceux qui caressent dans le sens du poil et dont seuls les intérêts occultes priment avant l'Algérie. Aux moments cruciaux, ils s'évanouiront tous dans la nature après avoir asséché le pays de sa dernière goutte. Ne resteront face au péril que les amoureux de cette terre qui n'ont pas hélas un autre pays de rechange. Ils devront rester ici pour se battre jusqu'au bout de leur peine.

Maintenant que le matelas financier s'amenuise de jour en jour, on assiste à une course effrénée contre la montre pour parer au plus vite à toute mauvaise éventualité, surtout que l'on va directement aller dans la gueule du loup et que l'année 2018 sera décisive et cruciale pour les élections présidentielles d'avril 2019, seule échéance électorale en ligne de mire. Il n'était prévu au cours de cette année que « quelque » 30 milliards de dollars de produits à importer, mais on se retrouve avec 15 milliards de dollars supplémentaires qui se sont envolés vers d'autres cieux à cause des prédateurs, de la surfacturation et de la loi trop clémente à leurs égards, sans omettre de souligner les complicités de l'intérieur.

Le fait de ne compter que sur l'impor-tation est en soi une menace même pour l'indépendance du pays, surtout lorsque les habitudes prennent d'autres penchants. Quand on consulte la liste des 851 produits qui sont interdits d'importer, on n'en revient pas. Si, à titre d'exemple, le ver de terre, les grenouilles, les dattes « Deglet Nor », les carottes, les navets, le concombre, la laitue, les figues de Barbarie, le yogourt ou l'eau minérale sont bannis, cela démontre que ces produits ont été bel et bien importés par des personnes qui ne reculent devant aucun scrupule. Je soupçonne fortement que la Deglet Nor ait d'abord passé la frontière pour être de nouveau importée sous un autre emballage avec à la clé de gros transferts de devises vers les îles Vierges britanniques.

Encore que je me pose la question si la nourriture pour chiens et chats serait toujours admise et je me fais également des soucis si les abats, le foie, la farine et la poudre de l'espèce porcine étaient auparavant autorisés. Quant aux amateurs des cuisses de grenouilles, je pense à eux pour le sevrage qu'ils vont subir, les msakine (**) ! Une autre interdiction qui me réjouit, ce sont les sacs, les verres et tasses et plein d'accessoires en matière plastique et les couches-culottes qui polluent notre environnement et nos plages, vont enfin connaître une vraie abolition malgré que je sois adepte de l'éducation civique par rapport à l'éradication.

Néanmoins, cette prohibition aléatoire, surtout si elle n'a pas été convenablement analysée et étudiée sous tous les angles, va sans aucun doute engendrer des faillites pour certains importateurs, toutefois, je suis tenté de dire : echah fihoum (***), les véreux. Elle constitue sans doute une aubaine inouïe sans la fourniture du moindre effort pour les spéculateurs avides du gain facile et disposant toujours de stocks de marchandise qu'ils vont liquider petitement pour amasser le plus d'oseille possible et s'évanouir ensuite dans la nature, en attendant d'éventuelles résurrections ou d'être appelés par leurs parrains à d'autres missions sous l'aile de la rente, peut-être cette fois-ci de la probable exploitation du gaz de schiste. Par contre, ce sont toujours les petits commerces qui vont subir le grand choc et vont baisser les rideaux. Désormais, de nombreux commerçants vont devoir réfléchir à changer de métier après le 1er janvier, à moins qu'ils soient sauvés par le cabas qui reprendrait de plus belle ses incessants allers et retours et l'on retourne ainsi au point zéro.

D'autre part, ces restrictions vont aussi provoquer, par cet effet domino, la perte de nombreux emplois dans les pays exportateurs de ces produits vers notre pays. Faisons en sorte que l'argent épargné servira directement à un transfert de ces emplois vers des entreprises nationales à créer ou à renforcer. Si 10 ou 20 milliards de dollars tombent annuellement entre les mains d'une bonne et éclairée gouvernance à l'instar de certains pays, elle pourrait alors créer des miracles.

Ces interdictions ne seraient-elles d'aucun sens que si tous les Algériens se les partagent équitablement en ces moments de crise et que l'on n'assiste pas amèrement, comme autrefois, à des avions spéciaux faire Alger-Paris-Alger pour faire des emplettes pour les enfants gâtés de la république. Toujours est-il que je ne pourrai jamais admettre et concevoir que ceux qui ont enfanté la crise puissent la solutionner à moins qu'ils disposent de toutes les clés de la maison. Enfin, je ne peux, mes chers lecteurs, échapper à la tradition de vous souhaiter bonne et heureuse année, d'abord pour l'Algérie et, ensuite, pour vous individuellement.

Notes :

(*) cherchem : est un mets à base de blé dur, de fèves sèches et de pois chiche,

(**) msakin : les pauvres,

(***) echah fihoum : bien fait pour eux.