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Résoudre ou gérer la crise ? (Suite et fin)

par Amar Tou*

Autrement, c'est un appauvrissement ruineux, venant d'une sous-traitance basique d'assemblage par l'importation qui frapperait sévèrement notre économie, en dépit des efforts méritoires déployés à ce jour dans l'assemblage de véhicules et qui sont projetés dans le futur proche.

A cet effet, le cadre juridique mis en place et amélioré progressivement depuis 1999, s'y prête impeccablement ; cadre qu'on peine, malheureusement, à noircir (à remplir), par hésitations et /ou par insuffisance de perspicacité chez ceux qui sont en charge de la mise en œuvre à tous les maillons décisionnels ; quand bien même la volonté d'y parvenir existe bel et bien.

6- Ce noircissement (inter-branches et inter-secteurs) devra constituer la mission principale dans le domaine économique durant le plan quinquennal en cours ; mission devant garantir une production industrialo-industrielle et agro-industrielle, à même d'assurer une intégration économique satisfaisante et un niveau d'indépendance raisonnable en la matière. Autrement, l'Algérie serait responsable de la consécration, à ses dépens, de la division de travail qui avance à grands pas au Maghreb, où l'Algérie semble, à défaut d'un sursaut percutant, condamnée à se contenter d'y jouer des rôles de second plan ; notamment, à titre d'exemple, en industrie automobile où, en s'y prenant relativement en retard, elle s'y orienterait vers une sorte d'autarcie, en la matière. Ses projets, dans le domaine, déjà mis en production ou en cours de réalisation ou en négociation, sont dimensionnés pour répondre, tout juste, à la demande interne ou, marginalement, à l'exportation dans une seconde phase, encore imprécise dans ses contours.

Plus préoccupantes sont les caractéristiques des produits automobiles qui seraient insuffisamment adaptées à la demande sur d'autres marchés. Contrairement aux produits d'un pays de comparabilité raisonnable, où, à titre d'illustration, la marque Renault est exportée en 2016, à 76% de la production totale, soit 250.000 véhicules sur les 288.000 assemblés en «zones franches». La marque Peugeot dont l'usine y est, également, en construction, une production de 90.000 véhicules est annoncée au démarrage de la production projetée pour 2019 avec un taux d'intégration affiché de 60%.

Chiffres qui devraient passer, deux années plus tard, respectivement, à 200.000 véhicules et à 80-85% d'intégration ; même si ces formules sont loin d'assurer un quelconque transfert technologique décisif. Fait que «le brillant» des effets d'annonce a du mal à cacher.

Toutefois, rien ne s'opposerait, demain, au placement de ces véhicules sur le marché algérien, en vertu des règles de l'OMC que l'Algérie serait appelée, tôt ou tard, à rejoindre. Le projet Peugeot-Algérie dont le contrat novateur vient d'être conclu en Partenariat Public, Privé, Etranger ou (PPPE), pourrait bien être poussé, dans la dynamique de ce partenariat, à s'élever au niveau des enjeux régionaux stratégiques et géopolitiques, comme l'usine d'assemblage Volkswagen mise en production à Ghelizane en 2017, créa l'espoir de réorientation en direction de la prise en charge des précédentes préoccupations. Puisse, également, le nouveau cahier des charges pour l'industrie automobile en Algérie (n°17/2017), offrir le cadre juridique convenable.

7- Comme pendant influent, le marché informel de change (des devises) s'est installé durablement dans le pays. Il interpelle les pouvoirs publics pour un traitement au fond ; si c'est nécessaire, d'une manière spécifique, courageuse, mesurée toutefois. Alors, ne serait-il pas opportun, à la faveur de la conjoncture, dans une première phase, de transformer par la loi, le réseau de change informel irrégulier, actuellement florissant, en marché «informel autorisé» pour être utilement apprécié et suivi et dont il faudrait, à cet effet, définir les règles de fonctionnement ?

La dépénalisation de la détention, sur soi, des billets de banque en devises, devrait être, dans cette optique, explicitement consacrée.

Même si l'on n'en connaît encore avec exactitude ni le poids, ni les origines, ni tous les vrais acteurs, comme signalé plus haut, ce marché possède toutes les spécifications (ou presque) d'un marché formel qu'il faudrait étendre dans une deuxième phase et intégrer au marché formel dans une troisième phase. Il est, en effet, connu, par ses clients, par ses taux de change qui sont égaux, à une fraction décimale près, dans tous les bureaux de change (informels) essaimés dans beaucoup de villes algériennes, avec leurs prolongements à l'étranger.

Le passage, ainsi, à la transparence, permettra à terme, à coup sûr, de connaître les vrais acteurs sur le marché de change, de situer normalement le réseau, d'en mesurer le poids des affaires à fiscaliser, dans la logique des choses.

La détention, sur soi, des billets de banques étrangers qui ne serait, alors, plus interdite créant un climat de confiance qui encouragerait les détenteurs à loger, du moins en partie, ces billets dans des comptes bancaires propres en devises et qui deviendraient, progressivement, des comptes à usage courant réglementé pour les personnes physiques et les personnes morales.

L'ensemble de ces mesures serait de nature à éviter à l'Algérie de pratiquer la dévaluation «non déclarée» de sa monnaie qui, sûrement, ne lui profitera pas, en l'état actuel de son économie. Quant au flottement du dinar (hausse et baisse de sa parité par rapport aux devises couvrant les importations du pays en fonction de sa demande sur ces devises), il est chimérique et ne peut, également, être envisagé dans l'état actuel de l'économie. Celle-ci est encore trop dépendante des importations qui impliquent une forte demande en devises par rapport à leurs disponibilités. Le flottement, par conséquent, ne peut se faire que dans le sens de la baisse. CAD dans le sens de la dévaluation ou de la dépréciation. Car le pays n'est, encore, ni touristique, ni disposant de forts excédents en biens, quantitativement, qualitativement et compétitivement exportables, ni un pays dont les ressortissants résidant à l'étranger lui transfèrent régulièrement, comme d'autres pays, des fonds substantiels en devises, ni, enfin, un pays fortement attractif des Investissements Directs Etrangers (IDE) pour des raisons dont les appréciations diffèrent, étonnement, d'une source à une autre (la Banque Mondiale, l'Institut Oxford Business, Coface?). Mais l'écart qui s'est creusé entre le dinar «officiel» et le dinar «parallèle», entretient la coexistence de deux économies donnant à la gestion économique et sociale du pays, deux vérités, deux réalités, qui sont difficiles à superposer. La course permanente pour le rattrapage du dinar «informel» par le dinar «officiel» qui, certes, laisse, à tous les stades, beaucoup de « plumes » sur le plan social notamment, a l'avantage, en contrepartie, d'instaurer progressivement l'unicité de la parité du dinar. Situation qui s'est déjà réalisée en 1994/1995, mais, malheureusement, sur des bases purement «monétaristes» sous les pesanteurs des rééchelonnements de la dette extérieure du pays et leurs malheureux accompagnements. Mesures qui, trop fragiles, n'ont pu résister aux déstructurations profondes des facteurs de la sphère de production. Situation fort handicapante qui fut léguée à la postérité de 1998.

8- Depuis 2014, eu égard à la détérioration des cours de pétrole, les inquiétudes se sont vraiment corsées. Les situations économiques et financières se détériorèrent sans atteindre, comme nous l'avons précédemment décrit, les gravités des années 1986-1998. Ces situations ne suscitèrent de réactions sensibles qu'à partir du deuxième semestre de l'année 2017, parallèlement au redressement graduel notable des cours de pétrole, en agissant, à la baisse, sur le volume et sur la valeur des importations de biens. Faits trop récents qui n'ont pas encore eu leur traduction sur le terrain.

A la réduction drastique des importations que prescrivaient les économistes, les financiers et les technocrates, fut privilégiée la lente réduction (des importations) pour éviter la réapparition brutale de graves pénuries en tous biens de consommation et d'inputs de production similaires à celles qui marquèrent, profondément, les lendemains de la crise de 1986. Car les responsabilités du politique, dans ses relations avec le marché, ne peuvent être, objectivement alignées, en effet, sur la neutralité que peuvent adopter l'économiste, le financier et le technocrate, à l'égard de ce marché.

Ceci semble être compréhensible si les importations superfétatoires n'avaient pas continué à affluer au même rythme en 2015, 2016 et durant le premier semestre de 2017, et ce au détriment des grands travaux, des plans locaux de développement et des inputs de production. Les relatifs rattrapages opérés durant le deuxième semestre de 2017 et ceux prévus à partir de la loi de finances de 2018, constituent, à n'en point douter, le début de redressements salutaires qui demandent consolidation et constance.

A cet effet, le recours sélectif à de libres «importations sans paiement », (c'est-à-dire sans recours aux devises de la Banque d'Algérie), devrait, pragmatiquement, constituer dans l'immédiat, un pendant complémentaire digne d'intérêt; l'objectif demeurant la tendance serrée à compenser, par réduction sélective à l'importation, de tout dollar perdu à l'exportation, en attendant les résultats de la promotion attendue des exportations, à moyen et, objectivement, à long terme, plutôt.

La réduction du niveau des importations projeté à 43-40 milliards USD, entre 2017 et 2020, contre plus de 60 milliards USD par an avant, qui s'inscrit dans le cadre des mesures prudentielles qu'impose le comportement imprévisible du marché du pétrole, ne semble pas répondre, pleinement, à cette rigueur qui exige le nivellement du niveau de ces importations sur celui des exportations. Alors que celui-ci est, actuellement, inférieur à 35 milliards d'USD. L'intégration du net de la balance des services liée à l'import-export au débit de l'Algérie, qui se situe, bon an mal an, entre 5 et 7 milliards USD, rendrait, mieux maîtrisables, les perspectives financières extérieures du pays. Mais cette mesure de portée transitoire, ne devrait s'appliquer qu'à des biens ou services de nécessité secondaire.

L'importateur, dans ce cas, ferait appel à ses ressources en dinars pour se procurer ses besoins en moyens de paiement extérieurs propres, qu'il se procurerait sur le marché «informel autorisé», ci-dessus visé et/ou à ses économies placées à l'étranger, notamment par le produit du phénomène, maintenant largement avéré, de la surfacturation à l'importation. Une sorte de «blanchiment» utile à l'économie nationale, d'un argent illégalement «subtilisé» par subterfuges condamnables et, très imparfaitement, contrôlables.

Certainement, la valeur du dinar en pâtirait au début. Elle se redresserait lentement mais sûrement après; une fois relativement asséchées les liquidités informelles en dinars en circulation sur le marché algérien. Les prix de ces biens et de ces services en supporteront, à la hausse, inévitablement, les effets. C'est une sorte de dîme à relever sur un bien indûment acquis, pour redresser le mal qui en a résulté.

En contrepartie, la disponibilité des biens et des services sur le marché pour la production et pour la consommation, continuera à être permanente. Investisseurs-producteurs et consommateurs y seront satisfaits selon leurs besoins, leurs goûts et selon leurs bourses ; s'agissant de biens et de services répondant à des nécessités secondaires.

Le système bancaire, l'administration des douanes et le système fiscal, continueront à exercer leurs pleines prérogatives sur ces «importations sans paiement».

9- Quant au système de licences d'importations mis en vigueur, il importe de souligner qu'il est surchargé d'effets pervers très dangereux, à bien des égards. Il serait, à notre avis, remplacé par un listing exhaustif des biens et des services de première nécessité, autorisés également à la libre importation, mais avec paiement sur devises achetées à la Banque d'Algérie. Ce procédé n'est pas exempt, non plus, d'effets aussi pervers. Mais ceux-ci seraient de moindre mal par rapport aux effets pervers des licences d'importation dont les premiers dommages sont déjà sources de dérapages de grande gravité.

Toutefois, opérationnellement parlant, ces licences jouent, nécessairement, à titre transitoire, un rôle efficace. Mais, si elles devaient perdurer, elles constitueraient une remise en cause de l'option économique en vigueur, celle-ci ayant été confirmée par le programme gagnant lors des présidentielles de 1999, en matière «d'orientations de politique économique» .(J'ai eu déjà à faire, le 10/10/2015, les propositions formulées aux points 8 et 9 ci-dessus).

*économiste, ancien ministre