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Ferhat Abbas : Homme d'état 1899 - 1985

par Ali Tablit*

Ferhat ABBAS a joué un rôle notable dans l'histoire de l'Algérie, du triomphe de la colonisation à la décolonisation. Mais il est moins facile d'apprécier le sens de son action que de retracer les étapes de sa carrière.

Ferhat ABBAS est né le 24 octobre 1899 au douar Béni-Sar, dans la commune mixte de Taher (près de Djidjel, département de Constantine). Fils de « l'adjoint indigène » Saïd ABBAS, il entra à 10 ans à l'école française, puis à 15 ans comme boursier au collège de Skikda. Il fit son service militaire de 1921 à 1924, et commença d'écrire sous des pseudonymes des articles dans L'ETENDARD de Annaba, Le TRAIT D'UNION de Victor SPEILMANN, puis ETTAKADOUM du docteur BENTHAMI. Etudiant à la faculté d'Alger de 1925 à 1933, il fut élu vice-président de 1926 à 1927, puis président de 1927 à 1933 de l'Amicale des Etudiants Musulmans de l'Afrique du Nord.      A ce titre, il fut élu en 1930 vice-président de L'U.N.E.F. à son congrès d'Alger, et membre de sa délégation à la conférence internationale estudiantine de Bruxelles. En 1931, il donna à l'A.E.M.A.N. le statut et le nom d'Association (sans rompre tous les liens avec l'Association Générale des Etudiants d'Alger), la dota d'une revue illustrée, ETTILMITH (1931 - 1933) et se fit remarquer en publiant à Paris ses principaux articles écrits entre 1922 et 1927, sous le titre symbolique : LE JEUNE ALGERIEN. En collaboration avec l'Association des Etudiants Musulmans Nord-Africains en France, il organisa trois Congrès des étudiants musulmans nord-africains (le premier à Tunis en 1931, le second à Alger en 1932, le troisième à Paris en 1933), et resta longtemps le mentor des étudiants algériens d'Alger et de Paris.

Pharmacien diplômé de 1ère classe, il s'installa en 1933 à Sétif, où il entama rapidement une brillante carrière politique : conseiller municipal en 1932, général en 1934. Membre de la Fédération des élus du département de Constantine, il devint très tôt l'un des lieutenants de son président le docteur Bendjelloul, puis le rédacteur en chef de son journal, L'entente franco-musulmane, en 1937. Mais, en désaccord avec la stratégie politique de celui-ci, il s'en sépara en 1938 pour fonder « L'Union populaire algérienne pour la conquête des droits de l'homme et du citoyen », dont il ne put faire un vrai parti de masse.

Engagé volontaire en 1939, démobilisé en 1940, il tenta vainement d'influencer la politique algérienne du régime de Vichy, notamment en adressant un « Rapport au maréchal Pétain » le 10 avril 1941.

Après le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942, en réponse aux mesures de mobilisation décrétées par l'amiral Darlan, il prit l'initiative de rédiger et de faire signer par les élus musulmans un « message aux autorités responsables » (décembre 1942), puis le « Manifeste du Peuple Algérien » (février 1943), enfin un « projet de réformes faisant suite au Manifeste » ( 26 mai 1943), qu'il soumet à la « commission des réformes économiques et sociales musulmanes » créée à cet effet par le gouverneur général Peyrouton. Mais son successeur, le général Catroux, ayant refusé de prendre en considération le Manifeste et son additif, Abbas fut assigné à résidence à In Salah de septembre à décembre 1943 par le général de Gaulle. Après avoir défendu ses idées devant la nouvelle « commission des réformes musulmanes », nommé par le C.F.L.N. en décembre 1943, ABBAS refusa d'accepter l'ordonnance du 7 mars 1944, et fonda l4 mars l'Association des Amis du Manifeste et de la Liberté (A.M.L.) en accord avec le cheikh Brahimi et avec Messali Hadj. Autorisé en septembre 1944 (grâce à Aziz KESSOUS) à publier l'hebdomadaire egalite des hommes, des races, des peuples, il perdit le contrôle des A.M.L., à leur conférence nationale de mars 1945, laquelle désigna Messali comme « Leader incontesté du peuple algérien ». Rendu responsable malgré ses appels au calme des émeutes du 8 mai 1945, il fut emprisonné jusqu'à l'amnistie de mars 1946. Avec ses amis, il fonda l'Union Démocratique du Manifeste Algérien (U.D.M.A.) qui remporta 11 sièges sur 13 du deuxième collège à la deuxième Assemblée nationale constituante, puis conseiller de la République (après avoir renoncé à présenter ses candidats à l'Assemblée nationale contre ceux du M.T.L.D.), il présenta en 1946 et 1947 deux projets de statut de l'Algérie qui ne furent pas pris en considération, et démissionna de son mandat parlementaire en septembre 1947. Avant les élections à l'Assemblée algérienne, il durcit ses positions en remplaçant egalite par la République Algérienne en mars 1948. S'il fut encore élu délégué à l'Assemblée algérienne en avril 1948 - 1949, il fut exclu de l'Assemblée nationale française par la pression administrative en juin 1951 et en juillet 1952.

Après le déclenchement de la révolution - qu'il avait annoncé dès 1953 - il se rapprocha du F.L.N., d'abord en secret (fin mai 1955), puis de plus en plus ouvertement, avant de s'y rallier publiquement au Caire le 25 avril 1956. Son ascension y fut rapide : coopté membre du C.N.R.A. par le congrès de la Soummam en août 1956, il fut désigné membre du C.C.E. par le C.N.R.A. un an plus tard, et président du premier G.P.R.A. proclamé le 19 septembre 1958 au Caire, puis président du deuxième G.P.R.A. élu par le C.N.R.A. de Tripoli en janvier 1960. Mais il fut écarté du troisième G.P.R.A. au profit de Ben Khadda par le C.N.R.A. d'août 1961 ; après avoir rédigé le premier tome de la première version de ses Mémoires guerre et révolution d'algérie, t.1 : la nuit coloniale, Paris, Julliard 1962, il tenta sa rentrée en soutenant pendant la crise de l'été 1962 le bureau politique du F.L.N. contre le G.P.R.A. de Ben Khadda. Nommé député de Sétif puis élu président de l'Assemblée nationale constituante en septembre 1962, il démissionna le 13 août 1963 pour protester contre la violation des prérogatives constituantes de l'Assemblée par le président Ben Bella. Exclu du parti du F.L.N., il fut de nouveau arrêté et assigné avec son ancien rival Ben Khadda, une déclaration condamnant le régime du colonel Boumedienne, qui lui valut une nouvelle période de liberté surveillée jusqu'en juin 1977. Il publia en 1980 à Paris aux Editions Garnier une nouvelle version de ses Mémoires autopsie d'une guerre, t.1 : l'aurore, puis en 1981 une réédition du jeune algerien suivie par le « Rapport au maréchal Pétain ».

En octobre 1984, il fut décoré de la médaille de la Résistance au nom du Président Chadli Bendjedid, peu après avoir publié chez Flammarion l'independance confisquée, réquisitoire contre le socialisme des présidents Ben Bella et Boumedienne. Il mourut à Alger le 25 décembre 1985.

*Université d'Alger 2