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Union Européenne-Algérie: L'inconséquent forcing de l'UE

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

L'UE renoue ces jours-ci avec ses critiques habituelles contre l'Algérie en lui attribuant l'entière responsabilité dans les échecs de l'échange économique. L'UE fait l'impasse sur ses responsabilités dans les bouleversements géostratégiques intervenus depuis dans la région Euromed.

Nul doute que la gestion du pays souffre de dysfonctionnements à tous les niveaux maintenant l'économie nationale dans un sous-développement structurel chronique. Que le pays soit miné par mille et un maux dont celui de la corruption est, hélas, une réalité douloureuse. En revanche, prendre le diagnostic et les conseils des bureaucrates de la Commission européenne de l'UE sur la situation algérienne comme une sentence «sacrée» indiscutable est un raccourci politique naïf, si ce n'est une vision victimaire, voire néocoloniale. En effet, que les Européens estiment que l'application des termes de l'Accord d'association qui lie l'Algérie et l'UE soit «bon» pour notre pays est compréhensible au point de vue des conditions du marché mondial, conçu par eux, les Européens et Occidentaux de manière générale. Qu'ils souhaitent (exigent) que l'Algérie s'inscrive dans cette logique de mondialisation est encore compréhensible. Mais vouloir imposer vite leurs conditions de coopération économique sans tenir compte des dégâts inévitables sur le pays est une autre histoire. Parce que, faut-il rappeler que l'Algérie avait émis des réserves dès la fin de la première année (en 2006) de l'entrée en application de l'Accord d'association (en septembre 2005) tant le déficit de sa balance commerciale s'est creusé dangereusement et que l'Accord prévoit des réserves au cas par cas et secteur par secteur en cas de besoin de l'une ou l'autre partie de l'Accord. Autrement dit, l'Algérie avait signalé que dans le cas où des secteurs de son économie subiraient des coups insupportables avec des conséquences sociales difficiles pour les Algériens, elle aurait le droit de revoir les secteurs en question et même d'avoir droit à des compensations financières.

Par ailleurs, la première phase d'application de l'Accord d'échange comprenait une importante aide financière aux réformes et la formation en Algérie. Dix ans plus tard, l'aide en question ne dépassait pas les 500 millions d'euros, tous secteurs confondus. Ridicule. En revanche, les Européens ont inondé le marché algérien de flots de leurs produits exonérés des taxes douanières de base. Une énorme perte pour le Trésor public algérien. S'en est suivie une autre phase de négociations et «révision» des termes de l'Accord, dont celle du report de son application intégrale aux années 2017-2020. Nous y sommes sans que les choses s'améliorent pour la partie algérienne. Bruxelles revient avec les mêmes reproches à l'Algérie: la rigidité de son marché, la clause des 49/51%, les réformes qui traînent, etc. sans oublier les reproches au plan politique: droit des humains, vie démocratique, etc. Ce qui au demeurant est vrai et les citoyens algériens sont les premiers à le dénoncer.

Cependant, même si la situation algérienne est de la responsabilité des seuls Algériens, il est aussi juste de rappeler que des changements tant politiques que géostratégiques sont intervenus durant ces dix dernières années dans la région euro-méditerranéenne et qui ont mis à mal tous les Accords d'association UE-sud Méditerranée: révoltes ou «printemps arabes», invasion et destruction de la Libye et de la Syrie, aggravation des flux migratoires Sud-Nord, déstabilisation des pays du Sahel, etc.

Autant de facteurs géopolitiques nouveaux qui ont bouleversé l'échange économique jusque-là contenu dans les accords traditionnels de coopération économique Nord-Sud. L'UE a subi elle aussi des bouleversements importants: crise financière majeure, Brexit, montée des extrêmes droites, crise de certaines régions (en Espagne, Italie notamment). Enfin, toute la politique de voisinage euro-méditerranéenne a été remise en cause par les Européens eux-mêmes. Dans ces conditions, exiger de l'Algérie de s'en tenir à la seule conception du marché européen est un non-sens, sinon un mépris pour les spécificités du marché algérien en transition vers une économie libérale.

Car, l'Algérie a, oui, ses spécificités: un filet social important, comme la gratuité de l'éducation de la maternelle au supérieur, l'accès aux soins (avec ce qu'ils valent) gratuit à tous, de l'habitat (logement) soutenu et gratuit pour les plus démunis, un système de retraite (avec ses faiblesses) avantageux (à partir de 50 ans), etc. Non pas que le tableau est reluisant, mais il répond à la situation, certes difficile, mais héritée d'une histoire sociale et économique et qu'il faut, certainement, réformer en profondeur mais, encore une fois, avec précaution et par étape. Suivre à la lettre les conseils «amicaux» de l'UE et bouleverser l'ordre social du pays au profit des seules lois du marché libéral en imputant le Trésor algérien des taxes douanières est non seulement impossible dans l'immédiat mais suicidaire sur le moyen terme. Dire que les logiques économiques de l'Algérie obéissent aux seules logiques électorales est une ineptie politique, une «affection» de type néocolonial pernicieuse. Comme si en Europe, les élections, quelles qu'elles soient, ne se jouent pas sur des promesses et engagements de type économique et social.