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LE ROSE ET LE NOIR

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Le fils à maman ou La voix du sang. Roman de Nadjib Stambouli. Casbah Editions, Alger 2017, 650 dinars, 220 pages



L'histoire est simple et, en même temps, compliquée. «Tirée par les cheveux» ? Peut-être, mais elle vient combler un vide dans la nouvelle littérature algérienne. Une histoire d'amour ! Notre jeunesse en a tellement besoin... pour se sortir des romans «noirs», racontant, sous toutes ses coutures, la «Tragédie nationale», la «Révolution armée» et la «Décennie noire».

Une histoire simple : celle d'une femme cadre (enseignante), H'lima, divorcée (abandonnée pour une jeune pousse !), ayant élevé seule son enfant, une fille, Dina. Elle est victime d'un AVC et doit donc se rendre dans son village natal, Tala Romane (la Source des Romains), un douar devenu au fil des ans bourgade.

Une autre histoire simple mais parallèle : celle d'un jeune enfant adopté, Aliouet (car «abandonné») qui, renvoyé de l'école, file du mauvais coton en ville (Alger) où il devient pickpocket professionnel et qui se voit envoyer, par une intermédiaire mystérieuse, vivre... à Tala Romane. Vous avez déjà deviné. Surtout lorsque vous saurez que, ancien masseur de hammam, il pratique bien mieux le massage qu'un kinésithérapeute diplômé.

Les parallèles vont donc se rencontrer. Une histoire d'amour va naître sur la base de la jalousie... mais, une histoire qui verra un autre dénouement (surprenant) que celui attendu. Car, il y avait une autre histoire d'amour... Entre qui et qui ? Slim Baroud, l'artiste du village et... Encore une parallèle ! Vous le saurez en lisant le roman.

L'Auteur : Journaliste, écrivain, auteur de trois ouvrages : un recueil de chroniques, «Impacts», un recueil de portraits, «Ma piste aux étoiles» et un roman «Le comédien».

Extrait : «Dans les villages autant que dans les grandes villes, on a l'importance qu'on peut, mais la plus belle estime est celle que l'on se donne» (p 118).

Avis : Encore une histoire d'amour... (heureusement) inaccompli entre un frère et une sœur (ignorants de la parenté) ! Un ouvrage qui traîne un peu en longueur, surtout lors des descriptions des lieux : d'abord la Casbah, la vie en bande... puis la vie au village... Un défaut bien de «chez nous» ou, bien plutôt, qui se retrouve chez nos journalistes-écrivains, le «reportage» prenant le pas sur l'intrigue.

Citations : «La misère est un état très romantique pour ceux qui ne l'ont pas vécue» (p 10). «Un métier de plus n'est jamais un métier de trop» (p 84). «Garder un secret est pour celui en qui est placée la confiance, une marque d'honneur d'incomparable valeur» (p 97). «L'amour, le vrai, l'unique, est réfractaire aux pièces de rechange... On peut être généreux sans offrir, mais en recevant» (p 214).



Clandestine. Roman de Hamid Grine. Casbah Editions, Alger 2017, 850 dinars, 274 pages



Une rescapée du massacre de Bentalha... qui, pour échapper au cauchemar qui la poursuit (le souvenir du massacre de toute sa famille sous ses yeux d'adolescente (douze ans), le harcèlement sexuel, la présence désormais admise par la justice de terroristes repentis...), se déguise en garçon et, pour «vivre en paix», cherche auprès d'un médecin la solution : se faire couper les seins.

Le médecin, lui, ne sait même pas où se trouve Bentalha (il n'a pas regardé la télé algérienne depuis plus de dix ans !) et ce qui s'y est passé, car vivant en vase clos entre ses consultations à la chaîne (pour faire face au crédit accordé pour payer sa belle villa encore inhabitée), les beuveries entre amis dans les bars et restaurants de luxe de la capitale et les coups de fil à sa belle et jeune épouse française qui... s'est réfugiée, avec leur fille... à Paris. Seul lien, le téléphone... pour demander de l'argent.

C'est, alors, le grand réveil. Voulant apporter son aide à la jeune désespérée qu'il avait mal (ou pas bien) reçue, il remonte le temps et l'espace. Il se rend à Bentalha... et là, sa vie va, pour ainsi dire, basculer. Adieu Laurence ! ... Ne vous en faites pas, tout est bien qui finit bien. Comme dans tous les romans d'amour du «bon vieux temps»!

L'Auteur : Né en 1954, auteur de plusieurs ouvrages (essais et romans). Ancien journaliste, longtemps responsable de la communication chez Djezzy (premier opérateur privé de téléphonie mobile) puis ministre de la Communication (mai 2014-mai 2017) dans le gouvernement de A. Sellal.

Extrait : «...profil psychologique de la population algérienne. D'un côté, les hommes semblant porter toute la misère du monde sur leurs épaules et le laissant voir, et de l'autre, sur une autre planète, les femmes portant ces hommes et toutes leurs misères en essayant de faire contre mauvaise fortune bon cœur» (p 103).

«Ajoutez les terribles années Ben Bella et les non moins terribles années Boumediene et vous comprendrez que le peuple algérien n'a vraiment pas de chance ! Il est passé du colonialisme à la sujétion et à l'idolâtrie... On ne finit pas de payer le prix de ces années-là, couronnées par la gabegie chadlienne...» (p 169).

Avis : Encore une histoire d'amour. Un ouvrage qui traîne un peu en longueur. Trop de descriptions, d'explications et de réflexions critiques (sur la société, sur les citoyens «aux visages crispés et hagards», sur les hôpitaux, sur la vie quotidienne, sur la télé publique, sur le pouvoir, sur le système, sur la famille, sur le mariage mixte, sur les bourgeois, sur la vigne arrachée par Boumediene, (...sur...) qui «étouffent» l'histoire de base... Un défaut bien de «chez nous» ou, bien plutôt, qui se retrouve chez nos journalistes-écrivains, le «reportage» prenant le pas sur l'intrigue.

Ah, page 204, on apprend que la jeune Hayat avait été faite prisonnière par les terroristes. Cela n'avait jamais été dit auparavant, lors de la première rencontre avec le médecin, pages 39 et 40 !

Citations : «A trop prier Dieu, on en vient souvent à oublier l'homme» (p 16). «Les Algériens sont des tendres qui expriment leur manque d'affection par la violence» (p 75). «Souvent, on ne sait pas pourquoi on aime, toujours on sait pourquoi on n'aime plus» (p 153).



Les faux héritiers. Roman de Amar Zentar. Casbah Editions, Alger 2017. 110 pages, 450 dinars



Une histoire somme toute assez banale de membres d'une famille qui, le père (un veuf) à l'agonie, victime d'un AVC, même pas décédé, commencent à se quereller. Des frères, une tante, une seconde épouse (??), une fille adoptive... et bien d'autres. Pour un «héritage» qui n'est même pas clair. De la terre, des immeubles, une usine, des comptes en banque, un commerce florissant, des économies cachées on ne sait où ? Rien. Tout juste une maison... mais on ne sait jamais. Peut-être un magot caché quelque part d'où une méfiance collective généralisée ...avec, bien sûr, tout un village (l'imam et le médecin y compris) à l'écoute.

Pourquoi donc la querelle, alors que la plupart sont déjà plus ou moins nantis ?

Hélas, l'être humain est ainsi fait qu'il est appelé à s'étriper pour un rien. L'héritage, un bien grand mot causant à la société (algérienne) mille et un malheurs et aux familles mille et un éclatements. Et, une bonne partie des biens nationaux en déshérence : des terres en jachère, des magasins fermés, des comptes bloqués, des avocats et des experts qui s'enrichissent dans des plaidoiries sans fin...

Fin de l'histoire : l'AVC n'est qu'un «coup monté» par le père qui voulait tout simplement «tester» l'amour et/ou la rapacité des uns et des autres... Dans la foulée, il informe qu'il n'y a rien à espérer car, tout simplement, il ne possède que la maison familiale. Pas d'argent, pas de terre, pas de seconde épouse... La plus égratignée par les neveux, c'est la tante (qui, je crois avoir compris) était dans la confidence, accusée par les neveux de volonté de détournement. Quoi ? On ne sait pas. L'appât du gain rend aveugle et crée de la haine !

L'Auteur : Né en 1950 à Ouadhia (Tizi Ouzou). Ecole normale et fac de droit. Ancien journaliste («Révolution Africaine», puis «Algérie Actualités»), écrivain et nouvelliste. Déjà auteur de trois romans dont le premier («Le But») en 1985.

Extraits : «Tout le monde ou presque vit dans le faux depuis quelque temps : cela peut aller de simples faux cils aux faux fossiles en passant par les faux sourcils. Eh oui, les temps modernes se nourissent davantage d'artifices que de naturel» (p 51). «On a la cité qu'on mérite, les responsables qu'on mérite et au final la vie qu'on mérite. D'ailleurs, il n'y a même plus de frontières entre la vie et la mort. Et comme on peut vivre de tout et de rien, on peut tout aussi bien crever de tout et de rien» (p 69). «Quand une famille réputée jusque-là unie comme les doigts d'une seule main en arrive aux insultes grossières, aux injures, aux coups de poing, aux coups de pied, aux crachats avant de franchir dans la mêlée un seuil intolérable de violence en recourant aux haches et aux fusils de chasse, le tout pour quelques arpents «volés», on se dit alors que la société va mal, très mal» (p 106).

Avis : Gentil roman. Sujet éminemment important et grave, mais on reste sur notre faim. Même pas un coup de poing ! Même pas une goutte de sang ! Tout juste des échanges verbaux pas très méchants.

Citations : «L'esprit de famille n'est plus ce qu'il était. Et si tu veux casser une société, commence par la famille» (p 37). «Rares en vérité sinon rarissimes les régimes de par le monde à aimer les penseurs, persuadés à tort qu'ils peuvent faire l'économie de leur intelligentsia» (p 81).

PS : - S'en prendre aujourd'hui à Sansal, à Khadra, à Daoud, à Bachi... comme hier à Djaout, à Fellag, à Benaïssa, à Agoumi, à Beyouna, à Djebar, à Arkoun... et, avant-hier, à Boudjedra, à Kateb, à Issiakhem, à Mammeri , à Dib... Il serait peut-être temps -pour nos intellectuels, écrivains et écrivants, artistes...- d'arrêter le «crêpage de chignon» autour des «complots», des «mains étrangères» ou «néocolonialistes» et des «chocs culturels» et d'arrêter d'accuser nos concitoyens, émigrés ou de passage (ainsi que leurs productions ou propos, textes «à l'eau de Cologne» ou pas) de (presque) harkis et d'«informateurs locaux» (un terme -que je trouve proprement injurieux, plus injurieux que «contrebandiers»- nouveau qui nous est proposé par un de nos écrivains... locaux, malheureux certainement de ne pas avoir été invités sur les plateaux de télés françaises). Voilà qui frise désormais le ridicule, cinquante ans après l'indépendance du pays. Ainsi, les éditeurs étrangers n'ont pas à venir à la rencontre des écrivains algériens dans leur pays, c'est aux écrivains algériens, grâce aux éditeurs algériens, d'aller forcer les portes de l'international... en produisant, en produisant, en produisant... Un tel discours, donc, agrippé au passé des «assistés», et loin des réalités (hélas, mais que faire ?) des marchés, ne peut que faire le jeu de ceux (dans d'autres pays maghrébins ou arabes) qui sont en train de bien profiter de nos «absences» en international, en général, et en francophonie, en particulier, pour se «placer» et placer leurs idées et leurs projets économiques, industriels, touristiques (ex : un «Louvre» à Dubaï ! ). Pour l'instant, nos seuls placements, ce sont nos capitaux détournés (parfois par ceux-là mêmes qui passent ou ont passé leur temps à dénoncer la «main étrangère» ou «la pensée néo-coloniale») ...C'est notre matière grise en état de «harga» permanente...