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Opinion - Football de demain, évolution ou révolution ?

par Bachir Zoudji*

  En 1863 à Londres est créée «Football Association» regroupant les clubs de Londres et sa région. Cette association est considérée par les historiens comme l'acte de naissance du football moderne. Depuis cette date le football connaît une mutation permanente. Les grandes compétitions internationales (coupe du monde, coupes continentales : Europe, Afrique, Asie, Amérique du sud), restent des rendez-vous incontournables pour découvrir les nouvelles tendances de jeu sur le plan mondial et/ou régional.

Ces grands tournois permettent aux techniciens (DTN, sélectionneurs et entraineurs) du monde entier d'observer les nouveautés et récupérer les informations qui leur semblent utiles pour construire le football de demain.

Ces bases de données auront également à court terme des répercussions sur: (I) les méthodes et les contenus d'entraînement, (II) la formation des entraîneurs, (III) la constitution et le renforcement des staffs et enfin et surtout (IV) la formation des futurs footballeurs.

L'entraînement moderne s'est davantage orienté vers des séances de travail mixtes (méthode systémique) intégrant les aspects physique, technique, tactique et mental au détriment de la méthode analytique. Le volume et la qualité du contenu du jeu sont devenus des armes prépondérantes pour toute équipe et/ou joueur cherchant à émerger dans le football de haut niveau. Aujourd'hui, les entraîneurs cherchent à former et/ou à recruter des joueurs plus explosifs dans l'effort, plus puissants dans les duels, plus rapides, plus intelligents, plus habiles techniquement et plus costauds mentalement. Ces six principales qualités sont le socle de la pratique du football d'aujourd'hui. Leur amélioration influence incontestablement sur l'évolution de la pratique du football de demain.

De plus, les plans et les animations de jeu n'ont évidemment pas échappé à la mutation globale du football. Historiquement, les évolutions des dispositifs tactiques sont liées à deux principaux facteurs : (I) du passage de la « culture du dribble plus axé sur un jeu individuel» à la « culture de faire des passes axées plus sur le jeu collectif» et (II) à la mise en place du règlement du hors-jeu et son évolution.

Au début des années 1870, une équipe est en très grande partie composée d'attaquants. Le plan de jeu (organisation et animation de jeu) était rudimentaire : le jeu consistait surtout à dribbler en solitaire les adversaires qui se présentaient, tandis qu'ensuite on comprend qu'une bonne passe peut mettre en difficulté toute une équipe et permet à l'équipe de marquer des buts avec le moins d'effort.

Devant cette révolution (découverte), l'utilisation des passes entre partenaires dans le jeu, le législateur répliqua par la règle du hors-jeu qui empêchait les joueurs de « camper » devant le but adverse. L'introduction de la règle du hors-jeu en 1872 et après la réforme du hors-jeu de 1925 (2 joueurs pour le hors-jeu, et non plus 3), les données du problème changent et la première chorégraphie du dispositif tactique est née: le «WM». De nouveaux dispositifs sont apparus : 4-2-4, 4-4-2, 3-5-2, 4-5-1, 4-3-3... Mais le changement le plus mémorable a trait au « football total» qui s'est enrichi au fil des années en améliorant les qualités techniques des joueurs (joueurs très habiles avec le ballon) et le volume et le rythme de jeu plus importants. En effet, le jeu des grandes équipes comme la Hollande dès 1970, le Brésil 1982 et surtout le FC Barcelone et Espagne 2008-2012, se situe aux antipodes des géniteurs du football stéréotypé et préprogrammé sans adaptation au contexte. Malheureusement, depuis la naissance du football (plus d'un siècle) à l'exception de quelques entraîneurs ²penseurs² qui ont modifié les chorégraphies de jeu et proposé un jeu associant efficacité et spectacle, les autres ont proposé un football physique avec peu d'imagination dans l'animation : « jeux stéréotypés ». Pour pallier ce manque d'imagination, les tendances actuelles de formation des futurs joueurs ciblent les questions « d'intelligence collective ». L'acquisition de cette « intelligence collective » va permettre à l'équipe d'avoir beaucoup de degrés de liberté pour s'adapter et/ou muter en changeant de comportement en fonction des contraintes du contexte pour gagner le match. En effet, cette adaptation et/ou mutation englobe : (I) le positionnement assez varié et fluctuant des joueurs les uns par rapport aux autres (réseaux de jeu), (II) la synchronisation et la cohérence de leurs actions dans les différentes phases de jeu : attaques placées, contre-attaques, replis défensifs, défense et les transitions, ainsi que (III) la capacité de lecture et d'anticipation du jeu adverse et (IV) la gestion de l'effort et le timing du match. Cette piste qui consiste à développer « l'intelligence collective » est très intéressante à condition que les techniciens (sélectionneurs, entraîneurs et éducateurs) arrivent à comprendre comment fonctionne le système cognitif «cerveau» du joueur et plus particulièrement le fonctionnement de sa mémoire. Si dans le domaine du football les avancées dans le domaine de la physiologie et de la préparation physique ont bien marqué l'évolution et intensité de jeu, en revanche, la compréhension du fonctionnement du cerveau est encore à explorer.

Cette compréhension va permettre à l'entraineur d'apprendre à ses joueurs une grande culture tactique et stratégique, garante d'une vraie force d'adaptation incontournable au très haut niveau d'aujourd'hui et de demain.

Enfin, d'autres facteurs joueront et influenceront certainement de manière directe ou indirecte sur le football de demain. Exemples la modification des règles de jeu, la commercialisation du football (football spectacle) sans oublier l'apport des sciences et des nouvelles technologies. Les sciences et les nouvelles technologies seront de plus en plus présentes dans la pratique du football de demain pour permettre: (I) de garder le joueur toujours en forme et en bonne santé, (II) d'améliorer la compréhension de la dynamique du groupe, (III) de développer la capacité de compréhension, de mémorisation et de décision, « intelligence collective et individuelle », (IV) de permettre la gestion du stress et de l'émotion dans les compétitions de grand enjeu, (V) d'analyser le comportement de son équipe et/ou équipe adverse, etc.

Je termine cette contribution par cette question: « Le football de demain sera-t-il une évolution ou une révolution » ? J'invite les spécialistes du football à apporter leur contribution et leur critique à cet article et à cette grande question.

* Docteur en Sciences du Sport. Actuellement Professeur à l'Université de Valenciennes (France). Expert en Football du Haut Niveau. Président de l'International - Society for Sports Sciences in the Arab World (I3SAW).