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Contre la caporalisation de l'Université (1ère partie)

par Mourad Merdaci*

J'observe dans différents médias : ?El Watan-Étudiant', 8 et 15 novembre 2017, ?Le Quotidien d'Oran', 2 novembre 2017, ?Le Soir d'Algérie', 8 octobre 2017, le signalement du paradoxe systémique de la pensée, des modes de gestion et des atermoiements concernant l'institution universitaire et le semblant d'indignation de quelques membres du gouvernement et d'universitaires -chercheurs, à propos des nouveaux décrets du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique relatifs à la modification des critères de validation du doctorat et de l'Habilitation universitaire.

En l'espèce, y a-t-il matière à débat ? Probablement, de forme et de fond, à propos des objets de l'irrépressible dépréciation du système universitaire algérien et de l'à-valoir accordé aux nouveaux propriétaires de l'institution. De l'ineptie des règles de gouvernance de l'université où les médiocres sont félicités et les enseignants intègres mis à la sanction. Et pour contourner une culture de l'acquiescement et de l'attente qui aura prévalu sur ces questions de l'Université comme sur d'autres qui ont concerné les politiques de pouvoir, la protection des libertés, la qualification des injustices institutionnelles, les passe-droits maffieux, l'indignité et les abus d'autorité flagrants.

Sur le protocole du doctorat

Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique souhaite affranchir les candidats au doctorat de la publication préalable, dans une revue à notoriété établie. Il s'agit d'un levier politique. Mais cette mesure pourrait-être lue comme une insulte de l'engagement de centaines d'enseignants-chercheurs candidats au titre de docteur qui auront consacré, pour les plus sincères, de soutenus efforts de travail, d'humilité et de patience. Car en abrogeant le dispositif de la publication en appoint au travail de la thèse, en raison notamment des difficultés qui l'encadrent (d'expertise, de temps, de qualification et de renommée des supports de publication), l'institution ministérielle renie ses engagements éthiques et piétine sa propre réglementation. Elle engage, également, un processus réducteur du principe académique universel de la production et du renouvellement des savoirs par la recherche. C'est ce même ministère qui surine, depuis des années, l'obligation, préalable à la soutenance d'un doctorat ou d'un passage de grade, de publier dans des revues de référence, alors même que le travail du chercheur, sans plus-value académique en Algérie, n'est ni reconnu ni considéré, en dehors des structures de recherche lourdes. Sur ce point précis, il convient de souligner la résurgence préjudiciable d'une geste symptomatique du colonisé où les décideurs de l'Université participent du dénigrement et de la négation de l'effort intellectuel des universitaires en Algérie en ne valorisant que la patente des institutions et des entreprises éditoriales étrangères. Cette tendance est entérinée avec l'introduction du vecteur de sélection et d'indexation fourni par une entreprise de presse canado-anglaise de droit privé (Thomson-Reuters) pour dénigrer davantage l'effort de production national. En clair, tous les supports de publication algériens sont devenus caduques. Soit. Pourquoi alors, revenir, aujourd'hui, sur le principe de la publication et l'élaborer comme un écueil ? Pour permettre à des milliers de candidats d'accéder aux postes de l'enseignement, selon la source ministérielle. La justification étant, en définitive, que l'enseignant pourrait faire l'économie de la recherche parce que le champ universitaire algérien ne pourrait ni encadrer ni accompagner un travail de production intellectuelle. La perspective contenue dans cette démarche, son idéologie même, ne constitue pas un vœu inquiétant pour l'Université mais une réalité déjà ancrée. Car combien d'enseignants - chercheurs, de rang magistral, publient des études, des articles ou des ouvrages, initient leurs candidats à la réflexion, à la synthèse et à la publication ? Ils ne sont pas nombreux, malheureusement, en raison même du formatage improductif du travail de la recherche aux seules limites du doctorat, de facture scolaire dans la conception du LMD, et d'étapes formelles dans la carrière. Le défaut de stratégie est patent dans le fait d'avoir cristallisé, longtemps, la pratique de la recherche autour des conjonctures convenues et provisoires du doctorat.

Un audit doit être réalisé pour fixer une vision critique du fonctionnement de la recherche, en Algérie, des bilans et des coûts qui lui sont attachés, notamment, dans le financement abusif de laboratoires onéreux et inefficients.

Réitérons, ici, un questionnement : comment développer des pôles de compétence, de maîtrise des objets, des outils et des protocoles de la recherche, en regard d'intérêts multiples et importants (enseignement, santé, ressorts économiques et industriels, transformations sociales, legs anthropologiques, ingénieries, communication, etc.) ? Peut-on réellement faire l'économie, en Algérie, de la remise en cause de nos certitudes, envisager nos fragilités et admettre l'insuffisance de nos propositions sur les nombreuses situations d'urgence du pays ? Toute forme d'isolement du travail de la pensée, particulièrement dans la situation (toujours) actuelle de délitement de la vie universitaire, est préjudiciable à son développement.

Pour un ordre d'idée : un universitaire peut consacrer deux tiers de son existence à forger un esprit de synthèse qui ne sera pertinent que par les diverses passerelles de l'actualisation de l'information générale et scientifique, du développement de nouveaux à priori dans la confrontation avec d'autres communautés universitaires et d'autres opinions dans un contexte toujours reformulé, recherché et valorisé de compétition, d'échange et de partage. Car la qualification au savoir est, certes, une élaboration de solitude mais nécessairement excentrée ; elle est consacrée par une éthique impartiale, celle des pairs, sans référence à la volonté des régnants. Mais le système universitaire algérien actuel abhorre la compétence, la capacité de travail et l'autorité intellectuelle. Il s'est enkysté dans une médiocrité protégée et grassement rétribuée, notamment, dans le fonctionnement des laboratoires de recherche à tous les plans dommageable. Ainsi, la légitimité académique s'objective-t-elle essentiellement de ressorts claniques et de liens au pouvoir et à la puissance de l'argent. Il existe, indéniablement, une situation récessive du système universitaire algérien marquée par l'épuisement des programmes et de l'éthique de la formation, l'enlisement des valeurs humaines, la fermeture des processus démocratiques, l'obturation de la pensée et le renoncement à la dignité. Par ailleurs, la politique de l'Université, visible depuis une décennie, est celle d'une décantation humaine dans laquelle les institutions universitaires recrutent, à tour de bras, de très jeunes doctorants, souvent introduits et appuyés par leurs encadreurs, adoubés par l'administration, dès la première année de doctorat, au détriment des anciens devenus trop rétifs sur les questions de la formation, de la qualité des programmes, des modes d'évaluation et de l'assiduité particulièrement (cf. un taux partiel de l'assiduité observée sur une périodisation moyenne ? de cinq années universitaires ? s'établit autour de 25 à 30%, tandis que le reste de la population des étudiants déserte les salles de cours et les amphis). Ce travail de défiance entraîne un effet d'impasse dans de nombreuses facultés, aujourd'hui, où les nouvelles recrues, dociles et malléables, animent, sans le recul de l'expérience, la vie pédagogique avec pour seules finalités la production de chiffres et l'encrassement de la capacité d'intellection des étudiants, où les anciens se rétractent dans un mouvement de passivité et de désintérêt résolus.

Que des ministres en titre s'inquiètent de l'intégrité de l'Université et de ses marqueurs académiques semble ouvrir une voie d'espoir. Mais cette sollicitude est toute politique et conjoncturelle. Elle ne s'autorise pas des éléments de la réalité. Où étaient ces honorables membres du gouvernement (mais aussi les parlementaires) quand des acteurs de l'Université, souvent des enseignants-chercheurs, de rang magistral, reconnus aux plans national et international, ont subi d'intolérables vexations auprès de leurs universités et des agents de la tutelle ? C'est dans une situation de fragilité des libertés qu'une intercession politique signe la démocratie. Ailleurs, c'est vaine gesticulation. Ce pays serait, donc, trouble qui humilie ses serviteurs, ses enfants loyaux et parmi eux, en la circonstance, des centaines d'enseignants et de chercheurs profondément attachés à leur mission et à leurs institutions ? N'a-t-on pas vu des décideurs faire le rappel des Algériens qui se sont, volontairement, exilés dans les jours horribles du déchirement de ce pays ? Vilipender l'expertise nationale et exiger des avis étrangers à propos de multiples questions de la vie nationale ? Ne voit-on pas chaque jour le pouvoir honorer des binationaux ou des apostats de la nationalité algérienne ?

A suivre

*Professeur de psychologie clinique, psychologue clinicien, psychopathologue. Consultant pour l'enfance et de la famille. Directeur scientifique de la revue Champs. Membre de l'AIFREF, Bruxelles. Derniers ouvrages parus : «De l'épure au dessin. Génétique, clinique, psychopathologie», Médersa, 2017. «Adolescence algérienne. Liens et cliniques», L'Harmattan, 2016.