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Gouvernement, présidentielle et polémiques: La sortie de Ksentini brouille les cartes

par Ghania Oukazi

Déclaration, démenti, contre-démenti, Ksentini semble avoir été choisi pour ouvrir «officiellement » les marchandages autour de l'élection présidentielle de 2019.

Connu pour être très proche des Ouyahia, -Monsieur et Madame-, Maître Mustapha Farouk Ksentini a bien sûr, présidé pendant de longues années la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH) et élaboré des rapports jugés objectifs -ou presque- sur la situation des droits de l'homme et des libertés en Algérie. Il aura à subir les foudres des associations des familles des disparus pour avoir cautionné dans la forme et dans le fond la charte pour la réconciliation nationale, empêchant ainsi la justice de faire son travail. Il n'a donc pas fait plus, du moins publiquement, que ce que lui a concédé le pouvoir en place dans le cadre de l'exercice de ses fonctions.

Sa sortie médiatique de la fin de semaine a cependant brouillé des cartes. Ksentini en a étonné plus d'un en choisissant ou en acceptant de s'empêtrer dans une polémique de politique politicienne sans envergure. En déclarant qu'il a rencontré le président « quatre fois » et qu'il lui a affirmé qu'il va briguer un 5ème mandat, l'avocat savait qu'il allait provoquer le diable. Le démenti de la présidence de la République ne changera rien à l'affaire puisque Ksentini a rebondi hier pour démentir le démenti. Même la presse française s'en est saisie pour faire ses commentaires. Il est curieux que l'avocat ait été choisi lui, dont le nom et la personne se sont dilués dans le monde des affaires « juridiques» depuis que l'organisme qu'il avait présidé a carrément changé d'intitulé et a été remis à une nouvelle recrue sur l'échiquier politique. Ceux qui connaissent les Bouteflika, même sans les avoir approchés, savent qu'ils ne penseront jamais laisser entrer un Ksentini dans leur résidence de «repli.» Au-delà de chefs d'Etats et de responsables étrangers qui se comptent sur les doigts d'une seule mais, l'on sait que depuis sa maladie (et même avant), le président ne reçoit personne au titre «d'amis.»

Quand le chanteur ou l'avocat déclarent

A l'exception de Lakhdar Brahimi sur qui il peut compter pour la discrétion, la sagesse et l'honnêteté avec en prime sur les conseils et les vues en tant que diplomate internationalement reconnu. L'avocat rappellerait peut-être le chanteur Mami qui avait prétendu qu'il avait vu le président sur son lit de l'hôpital parisien. Mami avait bien été instrumenté pour le déclarer. Sans même du recul, l'on peut voir que sur ce qui a été dit ces derniers jours, trois choses sont sûres. La première est qu'il est impossible que Ksentini ait été reçu par le président. «Ksentini n'a jamais été proche des Bouteflika. Ils ne partagent rien avec eux, ni lieu de naissance, ni histoire, ni culture, ni intérêts, encore moins des prévisions en matière d'alternatives ou de perspectives, lui reçu à Zéralda relève de l'imaginaire,» nous disent des responsables. Les deux autres sont des probabilités de manipulation soit du clan des Bouteflika soit d'un clan adverse qui cherche à se placer en prévision de 2019. Une manipulation des proches du président, son frère Saïd peut-être, pour lâcher le ballon sonde d'un 5ème mandat ? Elle reste peu probable ou alors ceux qui l'ont fait manquent terriblement d'intelligence puisque le pays est à la veille d'élections locales, un rendez-vous justement crucial pour la présidentielle de 2019. Et si ça été le cas, on pourra constater que les Bouteflika commencent à manquer de personnel politique serviable et corvéable et qu'ils se seraient sentis obligés de puiser dans un nouvelle réserve pour occuper la scène. Ce qui ne peut convaincre non plus puisque le rappel des troupes de ce type se fait sans problèmes si l'on remarque le retour de Belkhadem sur le terrain de la campagne, lui qui a été malmené par un communiqué d'éviction d'une virulence sans précédent. Deuxième supposition, c'est un clan adverse qui a poussé l'avocat à diffuser ce genre de déclaration à la veille d'élections? Ceci pourrait être possible en admettant que les manipulateurs chercheraient à désintéresser les citoyens du vote en leur suggérant qu'il ne servira à rien de le faire puisque le président veut un 5ème mandat?

Des polémiques de bas étage

Si Ksentini affirme avoir été reçu « quatre fois » par le président, l'on se demande alors pourquoi n'a-t-il pas fait de déclaration dès la première fois.  Pour cette 4ème fois, l'avocat semble décidé à faire l'actualité puisqu'il dément le démenti de la présidence. Il l'a fait hier et persiste et signe de ce qu'il a fait et vu. Drôle de situation politique dans un pays qui a perdu de toute sa verve à force d'être malmené par des polémiques de bas étages. Une fois les élections locales tenues et leurs résultats conformes aux quotas déjà fixés, l'on pourra certainement observer des changements de rôles et de missions ou bien d'éviction pour un grand nombre de responsables. Trois noms circulent depuis quelques temps dans les arcanes du pouvoir pour mettre les choses sur les rails de la présidentielle. Chakib Khelil, Abdelmalek Sellal, Abdelaziz Belkhadem sont ceux qui se répètent le plus. L'on dit que le clan présidentiel regrette le ton de «plaisance» diffusé par Sellal alors 1er ministre. Belkhadem est ce bon politique fidèle, disponible et sincère pour encore servir le président malgré son éviction qu'il est prêt à oublier. Reste Khelil qui devait selon nos sources prendre le poste de directeur de cabinet de la présidence de la République. Aujourd'hui, on l'avance comme 1er ministre après les locales et au-delà même, comme alternative. Vu ces jours-ci à Alger, dans son appartement du Val d'Hydra, l'ex-ministre constitue avec l'actuel ministre de l'énergie et le PDG de Sonatrach un trio auquel les Bouteflika font entièrement confiance.

Bruno Le Maire et l'impôt sur la fortune

Mais si Khelil n'est pas encore apparu publiquement comme responsable officiel, c'est qu'il a dû poser ses conditions. L'on rappelle qu'il y a quelques années, le juge de Si M'Hamed a délivré contre lui un mandat d'arrêt international qui l'a mis à nu et l'a jeté en proie à toutes les accusations. Le juge, faut-il le rappeler, a été muté comme procureur adjoint à Blida et s'occuperait, selon ses détracteurs «des plannings des salles d'audience.» Khelil fait depuis, des va et vient entre l'Algérie et les pays étrangers sans soucis puisque le mandat a été levé. Son épouse et son fils ne peuvent le faire parce que le mandat d'arrêt international délivré contre eux la même année, est toujours en vigueur. Sa levée doit certainement être la principale exigence de l'ex-ministre de l'Energie et des Mines. Ceci, si on compte sans les Français qui auront sans doute, leur mot à dire à ce sujet et sur d'autres en prévision de 2019, Paris étant un hub de transition par excellence. A propos de la France, le discours que son ministre de l'Economie et des Finances a prononcé le dimanche 12 novembre à Alger à l'occasion de la tenue de la 4èmesession du COMEFA (Comité Economique Algéro-Français) a trouvé déjà preneurs du côté algérien. La décision de la commission des finances de l'APN de supprimer l'impôt sur la fortune inscrit dans la LF 2018 peut certes répondre «aux vœux» des hommes d'affaires-députés. Habitués cependant au copier-coller sur le système français pour l'élaboration de nombreux projets de lois, les décideurs algériens ont dû penser à reprendre tout de suite une des «suggestions» de Bruno Le Maire par laquelle il leur a fait savoir que «nous avons supprimé l'impôt sur la fortune qui était un symbole en France. » (Voir en page 4 du le Quotidien d'Oran du mardi 14 novembre 2017.) Le reste est à venir. Les changements à plusieurs niveaux de responsabilité, politique, diplomatique, économique ou partisan, qui devront être opérés après les élections locales ou au début de l'année prochaine emballent le microcosme algérois. Ksentini en a donné un aperçu de la cadence.