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Le doctorat LMD : deux décrets qui font polémique(1) (Suite et fin)

par Amar Aïssani

L'autre inconvénient de l'exigence de la publication est que le doctorant cherche à rédiger une publication, mais ne cherche pas à « construire » une thèse. Nous rappelons qu'une thèse est un « point de vue » sur une question et qui peut ne pas s'avérer juste, mais qui va contribuer à faire avancer la science. Juste un petit exemple. On étudie en 1ère (ou 2ème) année en chimie la théorie de Böhr pendant 01 mois, et ensuite on nous dit que toute cette théorie est fausse. Même si le « point de vue » (la théorie) s'est avéré faux, il a permis à Mendeleïev de mieux comprendre le problème et d'établir sa classification périodique des éléments chimiques en plus d'ouvrir de nouvelles pistes de recherche. Un autre exemple provient de l'électronique. Lorsqu'il a fallu, pour avancer, adopter une convention sur le sens du courant électrique, les scientifiques se sont entendus pour que ce soit le sens indiqué par le bonhomme d'Ampère. Il s'est avéré plus tard que c'était faux, et on enseigne actuellement que le sens du courant est celui « contraire » à celui indiqué par le bonhomme d'Ampère.

Dans les pays anglo-saxons et même de l'ex-Europe de l'Est, le doctorat s'appelle Ph.D. (Philosophical doctorate) et la thèse s'appelle parfois dissertation. On développe un point de vue et ensuite on reste critique (et modeste) vis-à-vis de la portée des résultats (on philosophe !). Il y a parfois 03 examens à passer avant la soutenance de thèse : un de spécialité, un de philosophie et un de langue. C'est mieux que ce qui s'est fait avec l'introduction d'une année théorique (ce qui porte la durée à 04 ans au lieu des 03 réglementaires) où le doctorant écoute des séminaires souvent sur des sujets qui ne lui seront pas utiles (ou qui ne l'intéresse pas) pour la thèse. Ceci va également à l'encontre d'un des principes du LMD qui est « moins de présentiel et plus de travail personnel » qui est la véritable clé de la réussite. Lorsqu'il y avait des pressions pour inclure un joueur qui ne s'était pas entraîné, l'entraîneur d'une équipe de football répondait : « Je préfère mettre une pierre plutôt que ce joueur ».

Il y a une autre réalité qui est qu'il y a 02 principales populations de doctorants. Ceux qui se destinent à l'enseignement ou la recherche et pour ceux-là, on peut exiger la publication, mais au recrutement (Universités ou centres de recherche). Mais ceux qui se destinent à être recrutés par une entreprise ou ceux qui se destinent à l'entreprenariat, à quoi leur servira la publication?

Enfin, le problème est également financier pour le Trésor public. Combien coûte un doctorant s'il reste longtemps dans le système (i.e. le « pipe ») ? Quoique le pays est habitué à consacrer des sommes considérables à des chantiers beaucoup plus importants et qui n'en finissent toujours pas. Si on peut apprécier la qualité d'une réalisation physique, il est plus difficile en matière de formation de l'apprécier pour un individu (un être humain). Une thèse ne doit pas être une réalisation « fermée » ou « finale » concrétisée par une publication. Elle doit être un début et l'ouverture vers de nouvelles perspectives de recherche qui auront des répercussions sur de nouveaux doctorants. De toute façon, si un doctorant ne s'est pas suffisamment formé « lui-même » (le travail personnel), il ne pourra pas publier et n'aura aucune perspective en matière de recherche s'il rejoint l'université. Il aura eu le diplôme (le « papier »), mais pas le « savoir », ce qui est différent et deviendra une « pierre ».

3. Solution proposée

Pourtant, il y a des solutions dans le monde entier pour assurer le compromis entre la qualité d'une thèse et le respect du délai de 03-04 ans (ce dernier est également financier pour le Trésor public). Cette solution me semble la mieux adéquate pour concilier les partisans et adversaires du décret en voie de publication, mais dont nous n'avons toujours pas vu le contenu. Il faut rappeler que le doctorat est une « formation » où le principal concerné « apprend » (par rapport aux compétences qu'il souhaite acquérir) avant tout à rédiger une thèse (un point de vue) avec la rigueur scientifique requise. Il faut donc réunir avant tout les « conditions » de cette formation et qui impliquent plusieurs acteurs. Le doctorant lui-même, son directeur de thèse et l'administration (les moyens). Cela peut être réalisé avant tout à travers une « charte » (dans certains pays, on parle même de contrat) qui délimite les droits et les devoirs de chacun des acteurs.

Le doctorant apprend aussi à rédiger des articles comme dans une revue ou une conférence. On n'exige pas que l'(ou les) article(s) soient publiés dans une revue (comme disent certains professeurs, si c'est le cas, c'est mieux), mais pré-publiés, par exemple, par des organismes comme le CERIST (Centre de recherche en information scientifique et technique) qui répertorie déjà les sujets et mémoires de thèse. L'équivalent en France est l'INIST et dans l'ex-URSS le VINIITI. Ça peut être des associations savantes comme l'American Mathematical Association (IEEE ou ACM ?) ou tout simplement sur le site du laboratoire. L'avantage est d'abord que c'est un garde-fou qui incite le doctorant à ne pas faire n'importe quoi. De plus, il assure la paternité de son travail et est autorisé plus tard à le publier dans une revue s'il décide de rejoindre l'enseignement supérieur. On peut pendre pour exemple les pré-publications de certains centres de recherche tels que l'INRIA, l'IRISA ou IRMA (cf. NB7). Il est facile de retirer la publication du site pour un doctorat LMD s'il y a malversation avérée, ce qui n'est pas possible d'une publication « indexée ».

On voit à travers les développements ci-dessus qu'il y a une manière (implémentée dans le monde entier) qui permet d'assurer un équilibre (comme en théorie des jeux) pour résoudre le compromis qualité/débit qu'on peut attendre de notre système d'enseignement supérieur (NB1). On oublie souvent que lorsque l'on parle de « système », cela fait référence à 02 points : un système est forcément « complexe », de plus, il est dynamique (il évolue dans le temps). Il est vrai que l'on entend parler parfois de « système simple ». En réalité, c'est un abus de langage. On entend par là « Modèle » simple (il en existe de plus complexes) de « système » qui, lui, reste complexe.

(NB2). C'est un processus de réformes visant à créer un Espace européen de l'enseignement supérieur (EEES), inhabituel au sens où il est peu structuré et dirigé par 46 pays qui y participent, en coopération avec des organisations internationales, dont le Conseil de l'Europe. Objectifs : (i) facilité d'aller d'un pays à l'autre (au sein de l'EEES), pour y poursuivre des études ou y travailler; (ii) attractivité de l'enseignement supérieur européen pour des non Européens pour étudier et/ou travailler; (iii) doter l'Europe d'une assise solide de connaissances de pointe de grande qualité, et veiller à ce que l'Europe se développe en tant que communauté pacifique et tolérante. Ce processus ne repose pas sur un traité intergouvernemental et tente juste de jeter des ponts pour faciliter la mobilité des personnes qui souhaitent passer d'un système éducatif à un autre ou d'un pays à un autre. Il convient de préserver la spécificité de chaque système d'enseignement supérieur. Sinon, à quoi servirait d'aller étudier ailleurs si c'est pour y étudier ce que l'on peut étudier chez soi? Les réalisations dans le cadre du PB devraient servir à faciliter la « translation » d'un système à un autre et donc contribuer à accroître la mobilité des étudiants et des universitaires ainsi que l'employabilité dans toute l'Europe.

(NB3). ATRST (Agence thématique pour la recherche en science et technologie, El Harrach), ATRS (Agence thématique de recherche en santé, Oran), ATRSSH (Agence thématique de recherche en sciences sociales, Blida), ATRSNV (Agence thématique de recherche en sciences de la nature et de la vie, Béjaïa), ATRBSA (Agence de recherche en biotechnologies et en sciences agroalimentaires, Constantine), ASAL (Agence spatiale algérienne).

(NB4). On a vu une certaine année des décrets (qui ont d'ailleurs été retirés) qui ont voulu positionner les diplômes de master à une échelle plus importante que les diplômes d'ingénieur (alors qu'ils sont au même niveau 05). Ces 02 décrets ont été retirés. Est-ce un remake de cette farce?

(NB5). Nous avons dans notre pays (comme en France) un système universitaire à 02 vitesses : les universités (03+02=05) et les écoles supérieures (02+03=05). Ce n'est pas parce que le diplôme porte la mention « ingénieur » que le concerné sera accepté comme ingénieur (la profession). Dans les pays anglo-saxons, il y a un conseil de l'ordre qui décide si un diplôme (ingénieur ou équivalent) peut être « habilité » pour exercer la « profession » d'ingénieur.

(NB6). Il faut arrêter de dire que l'école ou l'université «forment». Ces dernières sont des lieux où (l'écolier ou) l'étudiant) vient acquérir les compétences qu'il souhaite avoir pour ses projets dans la vie. D'ailleurs, l'un des points forts du projet «LMD» (inspiré du modèle anglo-saxon) était que l'étudiant «construise» son propre parcours universitaire (et professionnel), peu importe l'établissement ou le pays. Bien entendu, ce n'est pas possible pour les pays (comme le nôtre ou la France) qui ont adopté une formation de masse où l'orientation est décidée par le logiciel automatique post-bac (remis en cause en France). Dans les systèmes anglo-saxons, les études sont payantes certes, mais, il y a à côté les banques qui ne posent pas de difficultés à accorder des crédits. L'étudiant est donc plus motivé pour ses études sachant qu'il doit rembourser; avant de demander un prêt, il va réfléchir à ce qu'il lui faut comme compétences pour réaliser son projet. Bien sûr, il y a des mécanismes permettant de gérer les projets n'ayant pas abouti.

(NB7). Les publications de l'Institut de recherche en mathématiques avancées de Lille (IRMA) ont pour but la diffusion dans la communauté scientifique des pré-publications des membres du département de mathématiques. Les articles sont publiés sous la seule responsabilité de leur(s) auteur(s) sans transfert de copyright et peuvent faire l'objet d'une parution ultérieure dans une revue au comité de lecture. La revue IRMA publie également d'autres textes en rapport avec la recherche : rapports techniques, publications internes, notes rédigées de conférences, séminaires, groupes de travail, cours de troisième cycle, etc. Les étudiants en thèse dans l'un des laboratoires du département peuvent déposer leurs manuscrits avec l'accord de leur directeur de thèse.

Références

1. Ghania Oukazi, Enseignement supérieur: deux décrets qui font polémique. In : Le Quotidien d'Oran, 30 octobre 2017.

2. Ahmed Guessoum (président du comité), Rapport d'auto-évaluation en Assurance/Qualité de l'Université des sciences et de la technologie Houari Boumediene (USTHB), 06 juillet 2017.

3. Amar Aïssani, Les mathématiques et les sciences ne sont pas en voie d'extinction. El Watan, 25 avril 2012.

4. Amar Aïssani, l'Université ne forme pas que des chômeurs ou la magie des nombres. Le Quotidien d'Oran, 10 octobre 2015.

5. K. Medjdoub, ANSEJ de Béjaïa : l'entreprenariat en déclin, El Watan 14 novembre 2017.

6. APS, Activité industrielle en 2017 : baisse de l'activité industrielle dans le secteur public et hausse dans le privé (source ONS), Le Soir d'Algérie 14 novembre 2017.

7. Mohamed Seddik Benyahia, Post-graduation, Bulletin de l'enseignement supérieur, OPU.

8. Naïma Djekhar, Les universités ne déposent que cinq brevets par an, El Watan (Rubrique étudiant), 15 novembre 2015.

9. N. Ghouali, A. Ababou, A. Bentellis, Y. Djouadi, D. Boukezatta, Rapport de synthèse sur l'évaluation de la mise en œuvre du système LMD.