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Le doctorat LMD : deux décrets qui font polémique(1) (1ère partie)

par Amar Aïssani

Il aura fallu 12 ans de pratique du LMD (que je préfère appeler 3-5-8) dans sa partie D (ou 8 le doctorat) pour qu'enfin s'instaure un débat sur l'opportunité ou non d'exiger la publication dans une revue pour cette catégorie de doctorants, mais cela, semble-t-il, crée toujours matière à débat. En effet, selon l'article [1], 02 décrets seraient en voie de publication proposés par M. le ministre de l'Enseignement supérieur et appuyés par M. le Premier ministre; le premier pour supprimer cette exigence pour les doctorants LMD, le second pour supprimer la soutenance d'habilitation universitaire pour la confier à une commission. Si j'abonde dans le sens de ces 02 textes, pour les objectifs annoncés dans [1], en revanche, je suis sceptique sur la démarche qui serait d'imposer ces textes sans consultation de la communauté universitaire. On a vu, en effet, sortir des lois sans consultation des concernés (ou sans travail pédagogique préalable) qui ont dû être retirées par la suite (cf. NB3). Pour confirmer mon scepticisme quant à la démarche, je renvoie au démenti du MESRS d'El Watan du 15 novembre 2017 (Rubrique Etudiant) : « ?la publication reste une condition sine qua non dans les nouveaux projets de décret. Et les nouvelles mesures visent à consolider la démarche de renforcement des connaissances, d'accompagnement, d'évaluation continue des enseignements et de production scientifique concrétisée par la publication dans des revues indexées ». La réponse de la rédaction a été assez sévère puisqu'elle concernait également des soupçons de tricherie dans les concours de doctorat.

Dans ce qui suit, nous montrons le bien-fondé de ce type de textes (s'ils existent) et même plus, que si le système LMD (qui, rappelons-le, est venu suite aux critiques de l'ancien système qui était arrivé à saturation) semble ne pas marcher, c'est plus parce qu'on l'applique avec l'esprit de l'ancien système. Il y a eu un rapport [9] sur l'évaluation du système LMD après 10 années de fonctionnement, commandé par le MESRS et qui montre les aspects positifs (on ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure), mais qui conclut : « Ceci nous incite à inscrire, comme priorité nationale, la généralisation de la culture de l'évaluation interne et externe, seule à même de garantir la qualité de nos formations. L'auto-évaluation (interne) en cours par divers établissements dont l'USTHB [2] confirme une certaine réussite du système (ou plutôt du modèle cf. NB1), même si tout n'est pas parfait.

Cette contribution est un plaidoyer pour la suppression de la publication dans une revue, pas de la publication des résultats pour les doctorants LMD qui ne sont pas salariés. En revanche, elle peut et doit rester pour les doctorants ancien régime qui sont enseignants donc salariés. C'est la moindre des choses pour un enseignant universitaire que de publier et il a toute la vie pour le faire, contrairement au doctorant LMD qu'il faut libérer dans un délai raisonnable 03-04 ans afin qu'il se consacre à ses projets dans la vie à l'université ou ailleurs. De toute façon, la publication, même dans une revue indexée, ne prémunit en aucun cas du plagiat ou pire du « trafic » des résultats. Si dans les disciplines dites « dures » (mathématiques ou physique théorique), on peut plus ou moins vérifier les résultats et même « sentir » les résultats erronés, il n'en est pas de même dans les disciplines expérimentales où la vérification des résultats est plus difficile car il faudrait pour cela reproduire les mêmes conditions d'expérimentation. Il est de notoriété publique que des chercheurs « roulent » pour des lobbies, en commandant des publications sur la base de résultats expérimentaux « trafiqués ». Pour cette catégorie de doctorants qui veulent faire de la pratique (plutôt que l'académique), la solution est plus le brevet que la publication. Mais l'article d'El Watan [8] (et le MESRS lui-même) rappelle que l'université ne produit que très peu de brevets par rapport aux objectifs pratiques, pas théoriques. Alors, en philosophie ou sciences humaines?

Il y a d'autres moyens garantissant un compromis entre la qualité et la durée raisonnable d'une thèse (03-04 ans) et c'est la solution proposée dans la section 3, en vigueur presque partout dans le monde !

1. Le système LMD (3-5-8) : réussites et échecs

Pour comprendre mon point de vue par rapport à ces 02 décrets (dont on n'a toujours pas vu le contenu), il faut revenir à l'histoire du doctorat dans notre pays et même plus : sur les réformes structurelles apportées depuis 2000 au secteur de l'Enseignement supérieur. C'est un processus initié à la fin des années 1980 et inspiré du processus de Bologne (PB) (cf. NB2), il n'y a pas d'engagement de l'Etat comme il me semble l'avoir dit précédemment, mais juste une adhésion à son esprit sans contrainte, et sans obligation de « copier» ce qui se fait en Europe) avec la collaboration d'experts (dont des nationaux) de la Banque mondiale. Cette réforme consistait en un pack : organisation en facultés et écoles supérieures, abandon du système annuel pour revenir au système semestriel (plus connu sous le nom LMD), réorganisation de la recherche avec un Fonds national de la recherche (FNR), des agences (cf. NB3) de gestion des appels d'offres et des projets, et une agence de valorisation (ANDREVETS) des produits mûrs (issus des brevets [8] et pas forcément des publications dans des revues) et pouvant faire l'objet de production.

L'objectif de cette réforme était principalement d'assurer un meilleur débit, tous cycles confondus (on prévoyait un million d'étudiants en 2012, chiffre atteint en 2008, actuellement, un million 600 mille), minimiser les échecs (certains étudiants passaient jusqu'à 10 ans dans un cycle d'ingénieur de 05 ans) et fournir de meilleures conditions d'enseignement et de gestion. De plus, il fallait une meilleure lisibilité pour les recruteurs par rapport au diplôme. Il y avait une foison de diplômes : maîtrise, licence en 03 ans, licence en 04 ans, masters, mastairs, mastères, mastaires, magstair, magistaire, magistèr, magistère, DESS, DES, DEA, DUEA, etc. Il n'y a plus maintenant que des diplômes en 03 ans (licences), en 3+2=05 ans (mastères) et en 3+5+3=8 ans. On ne peut redoubler qu'une seule fois dans un cycle. Tous les diplômes d'un cycle sont « équivalents », mais on parle plutôt de reconnaissance. Cela doit faciliter la « mobilité » d'un établissement à un autre ou d'un pays à un autre, que ce soit pour les études ou le recrutement.

L'un des points qui fait que l'on a mal appliqué le LMD dans son esprit est d'avoir voulu faire la distinction entre les filières professionnelles et académiques, alors que seul le nombre d'années (03, 05 ou 08) discrimine les différents types de diplômes face au recrutement (la reconnaissance, pas l'équivalence). D'abord, un diplôme « professionnel » ne garantit pas un emploi et il vaut mieux parler de diplôme « qualifiant ». Les formations académiques étaient destinées à ceux qui veulent faire carrière dans l'enseignement et la recherche, donc une « profession ». D'autres problèmes sont apparus. On a lancé des licences professionnelles, donc pour diplômés qui sont censés aller travailler et quitter le système. Or, une spécialisation trop poussée est souvent problématique. On a vu des cas où les diplômés sont revenus pour faire un master, soit parce qu'ils n'ont pu être recrutés (cela risque de s'aggraver avec la situation économique actuelle du pays, ou pas selon les points de vue des articles contradictoires [5,6] évoquant l'entreprenariat ANSEJ ou la dualité public/privé), soit tout simplement parce qu'ils souhaitaient approfondir leurs connaissances. Cela est souvent compliqué de les satisfaire lorsqu'il n'y a pas de master correspondant à leur « professionnalisation ». Et s'ils veulent faire un autre master (académique ou même professionnel), cela nécessite une mise à niveau pas toujours facile à mettre en œuvre.

Un autre point d'échec de l'implémentation du système LMD a été le tutorat. Il consistait à affecter un enseignant (tuteur) à un groupe d'étudiants. Il est connu que le plus fort taux d'échec se situe en première année d'université. Passé ce cap, cela va mieux. Ce n'est pas uniquement dû à la difficulté des matières enseignées (une grosse partie sont des notions déjà vues au lycée), ni à la langue (le français en science et en technologie, alors que c'est l'arabe au primaire et secondaire, mais plutôt aux difficultés d'adaptation à la vie et au régime universitaire). Le tuteur était donc censé orienter l'étudiant lorsqu'il était en difficulté : pas seulement pour les questions de formation, mais aussi pour ce qui est des questions administratives ou de la vie estudiantine. Mais cela n'a pas marché, car en cas de difficulté, les étudiants préfèrent avoir recours à leurs parents ou connaissances, souvent lorsqu'il est trop tard (en fin d'année). Cela a conduit à la suppression du tutorat qui conduisait à payer des enseignants à ne rien faire.

Un autre échec est celui de la centralisation excessive au niveau du ministère des décisions d'habilitation de formation. Le système LMD voulait dans son esprit qu'il y ait 02 types de formation L, M ou D). Des filières « nationales », les mêmes dans tous les établissements et des filières « spécifiques » propres à chaque établissement qui tiennent compte de l'environnement. On a peut-être plus besoin de formations dans le secteur pétrochimique dans le Sud, dans l'agroalimentaire dans la Mitidja et du secteur des pêches dans les régions côtières. L'objectif était donc de décentraliser sur les établissements et les équipes pédagogiques. Mais cela a conduit à des dérives où le ministère s'est retrouvé à devoir gérer près de 500 offres de formations de licence, souvent redondantes dans un même établissement. Ce nombre a été considérablement réduit récemment mais cela soulève d'autres questions. C'est l'épineux problème : quand faut-il centraliser et quand décentraliser? Une question qui s'invite également dans les élections locales à venir : quelles seront les prérogatives des élus ?

2. Le doctorat (3+2+3=08)

Mais revenons maintenant au doctorat. On comprendra mieux son esprit en consultant un article du premier ministre de l'Enseignement supérieur, feu Mohammed Seddik Benyahia, publié dans un bulletin du ministère (OPU)7. Il y avait deux paliers : (i) le magister en 02 ans (une année théorique et une année de mémoire). Objectif : maîtrise d'une thématique (l'originalité n'était pas exigée). Même s'il y a eu des dérives, certains promoteurs voulant en faire l'équivalent du doctorat 3ème cycle (qui a disparu en France pour faire place au doctorat d'Université). Ce diplôme permettait d'être recruté à l'université en tant que maître-assistant et d'accéder plus tard au grade de chargé de cours; (ii) le doctorat d'Etat destiné à des enseignants, donc salariés. Objectif : travail original « POUVANT » conduire à une publication dans une revue de renommée établie. On constate que la publication dans une revue n'était pas exigée « avant » la soutenance. Cette exigence a été imposée suite aux difficultés de l'époque d'organiser les soutenances. D'abord, il n'y avait pas assez de spécialistes et de plus, certains jurys étaient contestés et qualifiés de « jury maison ». La décision d'imposer la publication dans une revue était un moyen de protéger tout le monde : l'administration, le jury et le thésard lui-même. Cette exigence ne posait pas de problème pour les doctorants d'Etat (ou les doctorants 1998) car ils étaient (ou sont) enseignants donc salariés. Ce qui n'est pas le cas des doctorants LMD qui ne perçoivent qu'une bourse insignifiante de 12.000,00 DA. Or, ce sont des adultes qui cherchent à juste titre une certaine indépendance financière vis-à-vis de leurs familles. Ils travaillent donc en parallèle pour augmenter leurs ressources et cela au détriment de la thèse qui voit sa durée augmenter (certains en sont à leur 9ème année au lieu des 3-4 années réglementaires). De plus, il y a un nombre important d'abandons, ce qui va à l'encontre du principal objectif du système LMD et qui est d'augmenter le débit et de minimiser les pertes. Mais, disons que cela relève du choix (et donc de la responsabilité) du doctorant, pas de l'administration.

En revanche, ce qui relève de la responsabilité de l'administration (ici, je n'englobe pas seulement les responsables administratifs, mais également les académiques i.e. les enseignants eux-mêmes) dans le faible débit, c'est cette exigence de la publication. En effet, le délai moyen entre la soumission et l'acceptation de l'article varie de 06 mois à 03-04 ans en moyenne. De plus, le nombre d'échecs (soumissions) avant un succès (acceptation par la revue) est une variable aléatoire de loi de probabilité géométrique qui va encore allonger la durée de publication et donc de la thèse elle-même. Cela signifie que le doctorant a « son résultat » dès l'inscription en thèse en première année et qu'il va passer les années 03-04 années réglementaires suivantes à « attendre » la publication de son article (ce qui est aléatoire). On conviendra, d'une part, que c'est aberrant et que, d'autre part, cela va à l'encontre de l'un des principes du LMD qui voulait qu'il y ait moins d'exigences au doctorat (par rapport à l'ancien doctorat d'Etat), mais plus d'exigences au recrutement où on peut, là, exiger la (des) publication(s).

A suivre...

Références

1. Ghania Oukazi, Enseignement supérieur: deux décrets qui font polémique. In : Le Quotidien d'Oran, 30 octobre 2017.

2. Ahmed Guessoum (président du comité), Rapport d'auto-évaluation en Assurance/Qualité de l'Université des sciences et de la technologie Houari Boumediene (USTHB), 06 juillet 2017.

3. Amar Aïssani, Les mathématiques et les sciences ne sont pas en voie d'extinction. El Watan, 25 avril 2012.

4. Amar Aïssani, l'Université ne forme pas que des chômeurs ou la magie des nombres. Le Quotidien d'Oran, 10 octobre 2015.

5. K. Medjdoub, ANSEJ de Béjaïa : l'entreprenariat en déclin, El Watan 14 novembre 2017.

6. APS, Activité industrielle en 2017 : baisse de l'activité industrielle dans le secteur public et hausse dans le privé (source ONS), Le Soir d'Algérie 14 novembre 2017.

7. Mohamed Seddik Benyahia, Post-graduation, Bulletin de l'enseignement supérieur, OPU.

8. Naïma Djekhar, Les universités ne déposent que cinq brevets par an, El Watan (Rubrique étudiant), 15 novembre 2015.

9. N. Ghouali, A. Ababou, A. Bentellis, Y. Djouadi, D. Boukezatta, Rapport de synthèse sur l'évaluation de la mise en œuvre du système LMD.