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Doctorat : nivellement par le bas

par H. Benhaoua*

  Dans l'enseignement supérieur, le doctorat est le grade universitaire le plus élevé. Les doctorants reçoivent le titre de docteur après un travail de recherche de 3 à 5 ans après le master et une soutenance de thèse devant un jury académique.

Le doctorat, qui était un grade d'Etat, est devenu, après la réforme LMD, un grade d'établissement (doctorat d'universitaire).

La France réforme, l'Algérie hérite des problèmes d'équivalence !

L'enseignement supérieur français a connu une réforme au cours des années 1980, le doctorat d'Etat français devient doctorat d'université et la thèse de 3e cycle est supprimée, les étudiants algériens titulaires d'une thèse d'université française posaient problème ! Nous voilà confrontés à un problème d'équivalence ! Après une période de flottement, la commission de spécialistes exige que la thèse soit accompagnée de publications scientifiques dans des revues reconnues pour avoir l'équivalence du doctorat ès sciences. La publication scientifique devient un critère d'évaluation scientifique.

En 2002, la France adopte le système LMD qui est déjà généralisé à toute l'Europe, cette réforme permet l'harmonisation de l'enseignement supérieur européen. En Algérie, la réforme LMD appliquée à partir de 2004 a également généré des problèmes d'équivalence, nous avons glissé progressivement vers le grade d'université abandonnant le grade d'Etat. Dans nos universités, 2 doctorats coexistaient: le doctorat d'Etat (anciennes promotions) et le doctorat d'établissement (doctorat d'université, ou doctorat LMD). A cette époque, l'université algérienne traversait une situation perturbée, de nombreux chercheurs avaient accusé un retard de soutenance à tel point que la tutelle a fixé par décret une date limite de soutenance (décret exécutif n°09-89 du 17 février 2009) ce qui avait provoqué une vive polémique !

Actuellement, un problème similaire se pose, en effet, de nombreux doctorants (environ 3.000) sont actuellement confrontés à un problème de soutenance. Selon les textes réglementaires, la soutenance est soumise à la publication d'un article scientifique, comme il est précisé dans la «charte de thèse» [la thèse est obligatoirement accompagnée par une publication en relation avec le sujet traité dans une revue reconnue: décret exécutif n°10-231 du 02 oct. 2010]. Préoccupé par cette situation, le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a proposé récemment un décret permettant aux doctorants de soutenir leur thèse sans l'obligation de publier au préalable un travail de recherche. L'accueil est mitigé au sein de la communauté universitaire. Une vive polémique s'installe !

«Selon les dires de la tutelle, de nombreux doctorants sont bloqués à cause de cette exigence»; ils seraient 3.000 à travers les universités du pays à attendre ce moyen miracle, ce fameux sésame ! Encore une fois, ce sont les chiffres qui affolent, comment faire pour alléger cette longue file d'attente ! Evidemment, la solution la plus simple est de supprimer cette exigence.

Alors on entend ici et là des balivernes, l'article de Mme G. Oukazi du Quotidien d'Oran du 28/10/2017 (2 décrets qui font polémique) rapporte des propos surprenants de la part de responsables du secteur, la publication serait devenue une histoire de sectes, une histoire de copinage, je cite «il est rare qu'un doctorant qui n'est pas épaulé réussisse à se faire publier». Il faut savoir que publier un travail scientifique, c'est l'éditer dans une revue spécialisée, la publication dépend de l'éditeur, elle est soumise à l'évaluation critique du comité de lecture qui exige des résultats originaux. Loin d'être un blocage, la publication est la consécration et la reconnaissance nationale et internationale d'un travail scientifique, c'est une preuve de l'originalité du travail de recherche et le gage d'un bon niveau scientifique, c'est aussi l'exigence d'une discipline et d'une rigueur dans le travail. Signer un décret est facile mais la question qui se pose est de savoir pourquoi nos doctorants ne publient pas ou tardent à publier ? Pour publier, il faut avoir des résultats, pour avoir des résultats il faut travailler; pour travailler, il faut avoir des idées et des moyens ! Ce n'est ni une histoire de secte ni une histoire de copinage !

Prolifération de doctorats et de masters

Cette histoire de publication n'est qu'un aspect des très nombreux problèmes que connaît notre université. Dans chaque willaya, il y a une université (ou un centre universitaire), la tutelle a permis l'ouverture de la formation doctorale dans toutes les universités, cela est-il réaliste, surtout quand il s'agit de sciences expérimentales qui nécessitent un équipement spécifique lourd ? De nombreuses universités dont les moyens humains et matériels sont très réduits multiplient la création des laboratoires de recherche, l'ouverture de doctorats et de masters ! En 2016, la tutelle a mis fin à l'anarchie qui régnait dans les masters, une opération de restructuration, grâce aux Comités pédagogiques nationaux, a permis de réduire considérablement le nombre de masters et d'uniformiser les programmes pédagogiques. Chaque année, des concours d'accès à la formation doctorale sont organisés sachant pertinemment que les conditions ne sont pas toutes réunies, que les laboratoires sont saturés (problèmes d'espace, de matériels, d'encadrement). Pourquoi les encadreurs continuent de prendre des doctorants alors que la file d'attente est longue ? Même si beaucoup d'argent a été investi dans les laboratoires de recherche, quelques problèmes demeurent récurrents, le problème d'approvisionnement en produit pour les disciplines expérimentales, le problème de la maintenance technique du matériel de recherche, le problème de la mobilité des doctorants et des professeurs et surtout le nombre d'étudiants en constante hausse. (Ils seraient 1,7 million, selon les propos du ministre: Conférence régionale, novembre 2017)

Comme nous l'avons cité plus haut, notre université a été confrontée à des réformes imposées, il faut dire que le LMD n'était pas un choix ! Comme d'autres pays, nous étions obligés de nous aligner. Ces réformes successives outre-Méditerranée ont généré dans notre système d'enseignement des périodes d'adaptation et des situations transitoires souvent difficiles à gérer.

Supprimer la publication ne règle pas le problème

Monsieur le Ministre, votre rôle de premier responsable du secteur vous donne le droit de vous préoccuper de la situation, mais vous impose le devoir d'apporter des solutions valables, honorables, valorisantes pour notre université. Pourquoi niveler toujours par le bas ! Le problème est complexe, la solution proposée est élémentaire. Vous avez certainement réfléchi longtemps avant de prendre cette décision, mais il aurait été plus avisé de s'attarder encore plus et d'associer la communauté universitaire à la réflexion, afin de cerner les causes et elles sont diverses:

- elles sont liées à l'inégalité entre les universités (les anciennes universités sont plus dotées en moyens humains et matériels);

- elles sont liées à la nature de la discipline (les sciences expérimentales et les sciences humaines n'ont pas les mêmes exigences en recherche);

- elles sont liées à la compétence des encadreurs !

- Elles sont liées à l'engagement des doctorants (certains s'inscrivent à coup de dérogations).

Considérer la publication comme un blocage systématique est un faux diagnostic, car une publication est le résultat d'un long travail original qui implique l'encadreur et le doctorant, comme cela est bien spécifié dans la charte de thèse «le doctorant s'engage à publier ou à communiquer qu'en concertation avec son directeur de thèse».

Soutenir un doctorat est une formalité, il est rare qu'une thèse soit refusée par un jury, mais publier, c'est mettre à la disposition de sa communauté de recherche les travaux rapportés dans la thèse et cela est une épreuve autrement plus ardue, car elle exige l'originalité, la synthèse et engage la crédibilité des auteurs. Il est étonnant que l'université produise des thèses et pas des publications ! Et c'est la véritable question, car la vocation de l'université, c'est la recherche. (Les universités sont classées par leur nombre de publications annuel). Un problème de publication dans une équipe de recherche, peut être dû à plusieurs causes:

- les conditions de travail sont rudes et les résultats obtenus ne sont pas suffisants pour faire l'objet d'une publication, on peut bricoler une thèse mais pas une publication !

- Le choix du sujet n'est pas pertinent, les résultats présentés manquent d'originalité, il faut se méfier de la contrefaçon en recherche. Il y a des milliers d'articles qui sont soumis à publication chaque année et la concurrence est dure. (Je parle d'originalité et non de plagiat).

Certes, supprimer la publication permettra à de nombreux doctorants de soutenir leur travail, mais quel travail et à quel prix ! Ce qui était exigence de qualité disparaît. La formation doctorale, qui jusque-là se maintenait difficilement, se trouverait en plein déclin. Le doctorat serait un diplôme de 2e cycle, au même titre que le master. En signant ce texte, vous faites du doctorat un magister et c'est un véritable recul pour l'université ! Et comment lutter contre la fraude intellectuelle quand on sait que le plagiat est d'actualité ?

Monsieur le Ministre, vous avez jugé la lettre d'accueil vexatoire pour les professeurs, et vous avez raison, maintenant tous les enseignants bénéficient du stage, vous ouvrez ainsi la voie aux abus ! Vous avez jugé inadmissible que des doctorants soient l'otage d'une publication «hypothétique», vos inquiétudes sont légitimes, mais la solution proposée est inappropriée, tous les doctorants concernés soutiendront une thèse sans aucune garantie scientifique, vous ouvrez encore une fois la voie aux abus ! En tant que haut responsable de l'enseignement supérieur, vous avez le devoir de préserver l'aspect recherche scientifique du doctorat, de lui rendre son caractère solennel et honorifique, vous êtes le garant de la crédibilité du secteur.

La publication: un indicateur de l'état de l'enseignement supérieur et de la recherche

La recherche scientifique est le baromètre de santé de l'université, tous les pays, quelles que soient leurs richesses, qui aspirent à la croissance économique et au progrès social développent la recherche scientifique et favorisent l'essor technologique. L'état mondial de la recherche est rapporté périodiquement par l'Unesco, la production scientifique est quantifiée par un ratio: R=N/P (N= nombre de publications, P= population en million). Le dernier rapport de l'Unesco (2015) dresse un état désastreux de la production scientifique algérienne. Dans un article du Monde du 27/01/2016, le sociologue algérien Nadji Safir, se basant sur les données de l'Unesco, a fait un état des lieux chaotique de la recherche. L'Algérie en 2014 avec un rapport R= 58 a produit approximativement 2.300 articles (toutes disciplines confondues), apport inférieur à la moyenne de l'ensemble des pays arabes avec 28.665 articles (R=91) et insignifiant par rapport aux pays européens. Et pourtant, elle a investi beaucoup d'argent dans la recherche (financement des laboratoires de recherche, des projets de recherche PNR et CNEPRU) mais les résultats attendus ne sont pas obtenus. La recherche piétine ! Est-ce la bonne méthode de gestion ? Je ne vous apprends rien, monsieur le Ministre, vous connaissez sans doute mieux que quiconque l'état de l'université, au lieu de supprimer les publications pour les doctorants, vous devriez revoir la politique de recherche et accorder plus d'intérêt à la production scientifique !

Et la communauté universitaire dans tout ça !

Quant à la communauté universitaire, elle est divisée, elle est perplexe, elle dénonce l'abus, le mandarinat, elle crie ?'Halte à la dépréciation du doctorat, ?'Halte au déclin de l'université'', mais je pense qu'il faut aussi se remettre en question et faire son autocritique. Si l'université peine à produire des publications, c'est aussi en partie lié à la qualité de l'encadrement. Ce décret va peut-être débloquer la situation des doctorants, mais les carences du système seront toujours présentes, et ce n'est que la partie visible de l'iceberg ! A quand le sursaut !

*Faculté des Sciences exactes et appliquées

Université Oran 1 Ahmed Ben Bella