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Equipe du FLN - Un autre pan de l'histoire s'en va: Amar Rouaï, une vie consacrée à l'Algérie

par Adjal Lahouari

  L'homme à principes a tiré sa révérence dimanche matin au terme d'une maladie qui l'avait énormément affaibli.

Est-ce un hasard si l'initiateur de la mise sur pied de l'équipe du FLN, Mohamed Boumezrag, l'a informé en premier de cette spectaculaire et mémorable saga des professionnels algériens évoluant en France ? Certainement pas, car Boumezrag était un fin psychologue, et savait à qui s'adresser pour propager secrètement cette opération qui allait avoir une résonnance planétaire.

C'était en 1957, lorsque l'équipe d'Angers avait affronté Toulouse où évoluaient deux autres futurs éléments de l'équipe du FLN, Brahimi et Bouchnak. Le 13 avril 1958 est une date historique, marquant le départ du premier groupe, les quatre Monégasques, Zitouni, Bentifour, Bekhloufi, Boubekeur et l'Angevin Amar Rouaï. Arrivés à Tunis, le grand hebdomadaire français «Paris Match» dépêche ses envoyés spéciaux où les premiers footballeurs sont pris en photo avec, en manchette «Vedettes hier du foot français, les voilà fellagha». Ce premier groupe allait être suivi par d'autres, comme planifié par la direction du FLN, afin de sensibiliser le monde entier sur la lutte de libération du peuple algérien. En France, personne ne comprenait le «geste insensé» (selon les termes employés par les dirigeants des clubs touchés) de ces jeunes footballeurs qui ont abandonné leurs carrières, l'aisance matérielle et la gloire pour devenir les ambassadeurs de l'Algérie en lutte pour son indépendance. Certains, comme Amar Rouaï, étaient mariés à des Françaises et étaient pères de famille. Dans le monde entier, ce fut un coup de tonnerre, et c'était bien là l'objectif des responsables politiques algériens. En 2008, Rouai a dit : «Un demi-siècle après, je dois rendre hommage aux responsables de cette époque, car ils ont déjoué avec une remarquable habilité les plans des services français. Vraiment, je suis encore émerveillé par la réussite de cette opération, qui n'était guère évidente au vu des situations compliquées des joueurs et du contexte de l'époque». En fait d'aventure, ce fut une authentique épopée pour cette «équipe de la liberté» qui, quatre années durant, a joué un inestimable rôle d'ambassadeur à travers l'Europe de l'Est, au Moyen- et Extrême-Orient, transmettant le message de l'Algérie combattante. Jamais leur foi n'a été entamée. Ferhat Abbès, l'un des principaux responsables politiques, a dit de ces footballeurs : «Vous avez fait progresser la Révolution algérienne de dix ans !» D'Amar Rouaï on dira qu'il était la «mémoire» de cette odyssée à nulle autre pareille. Toute sa vie a été un long combat. Amar Rouaï a souligné l'apport du sport militaire dans les grands triomphes des JM 75, Jeux africains 1978 et au Mondial 1982. «Les dirigeants actuels réclament des stades, alors que ce sont des terrains qu'il nous faut pour prospecter et former les footballeurs de demain. Je ne veux plus entendre le mot milliard, car l'argent a tout pourri. J'ai entraîné des jeunes durant six années en Suisse. Avec un minimum d'organisation et une petite infrastructure, les résultats ont été spectaculaires. A mon avis, c'est la clé de la réussite». Sur un autre registre, toujours aussi objectif, il a ajouté : «Je ne terminerais pas cet entretien sans évoquer les officiers algériens qui ont déserté les rangs de l'armée française pour rejoindre l'ALN au maquis. Il y a que l'équipe FLN leur a fait de l'ombre et nous nous en excusons. Le héros, c'est le peuple, celui qui a souffert. Pour notre part, nous étions loin et nous n'avons fait que notre devoir».

Le lundi 18 novembre 2013, nous avons eu l'agréable surprise de voir arriver au siège du «Quotidien d'Oran» Amar Rouaï, accompagné de ses deux célèbres compagnons, Saïd Amara et Rachid Mekhloufi. Nous avons discuté à bâtons rompus de l'histoire de l'équipe du FLN, la fondation et, bien sûr, de l'équipe nationale et du football algérien. A notre sens, cette visite fut trop courte avec ces illustres interlocuteurs, qui ont eu toujours le football dans le sang et dont les avis faisaient autorité. Ils auraient aimé qu'on tienne compte de leurs avis, une sorte de dernier combat qu'ils voulaient gagner. C'est le message ultime qu'ils ont voulu adresser aux responsables du football algérien. En ce mois de novembre 2017, ils ne sont plus qu'une poignée à être de ce monde. Sachons donc les respecter et les apprécier comme ils le méritent. En ce qui concerne Amar Rouaî, tout comme ceux qui nous ont quittés, il est arrivé au terme de son existence, lui, l'homme aux principes immuables qui sera enterré là où il a vu le jour, à El-Eulma, lui qui a toujours considéré Oran comme sa vraie ville depuis plus d'un demi-siècle. Il est arrivé au bout de son extraordinaire parcours qui a fait de lui un «historique», au même titre que ses trente et un coéquipiers de la glorieuse équipe du FLN.