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La DRH, de la complexité organisationnelle à la rigidité gestionnaire (1ère partie)

par Ali Tadjine *

En parlant d'entreprise on fait souvent référence à l'obligation de résultats, on parle de quête effrénée du profit, à l'efficience et à l'efficacité, à la recherche de la meilleure performance. Pour ce faire, il devient évident que toutes les ressources disponibles sont sollicitées et mobilisées ; par ressource, il y a lieu de considérer toutes les énergies, tous les moyens matériels et immatériels, toutes les procédures?

La revue de la littérature spécialisée dans ce domaine insiste sur la place et rôle de la GRH, qui est considérée comme la condition sine qua non pour la réussite de toute organisation (entreprise). La manière dont est structurée la GRH détermine le sort de l'organisation tout en constituant le reflet du capital humain dans ses différentes dimensions aussi bien conscientes qu'inconscientes. Pour pouvoir déterminer ces deux derniers, le recours à l'approche multidisciplinaire est plus que nécessaire ; dans cette optique, les enseignements de l'approche anthropologique, de la psychanalyse, de la psychodynamique à titre d'exemple sont de mise. En effet, ce capital humain intronisé dans cette position névralgique s'exprime par des comportements dont les soubassements inconscients ne sont pas négligeables, les individus n'agissent pas toujours suivant des critères strictement rationnels mais en fonction des craintes et des angoisses en actionnant des mécanismes de défense. Il est utile de préciser qu'aussi bien les craintes, les angoisses que les mécanismes de défense sont inconscients, mais donc l'impact est réel.

De façon générale, la problématique du présent article peut s'exprimer comme suit : l'individu en situation de travail est-il vraiment son propre acteur ou simple reflet de son organisation, qui n'est que le réceptacle des aspects psychotiques et névrotiques de ses membres ? Ce questionnement nous amène à l'obligation de déterminer le niveau de d'implication en la matière des responsables en charge des directions des ressources humaines. Ont-ils au moins conscience de l'importance de la question ou encore de son existence ?

En s'intéressant à la problématique de cet article, une impression de complexité m'étreignait car une multitude de niveau d'analyse se trouve être imbriquée, nécessitant une approche systémique à plusieurs articulations, surtout en cette période qu'on qualifie de mondialisation dont le contenu et les impacts sont différemment appréciés.

Il devient évident que la compréhension de l'alchimie comportementale des organisations ne peut être appréhendée par le seul recours aux prismes législatifs et réglementaires, la dimension socio-psychologique s'avère primordiale ; ce qui constitue une carence de taille en ce qui concerne la manière de gestion des organisations algérienne. Le seul référent sollicité s'avère être la loi et les règlements, toute autre possibilité d'explication de comportement est écartée, ignorée et parfois inconnue. Parler aux responsables des organisations et ceux en charge de la GRH de savoirs spécialisés dans la compréhension des comportements individuels et organisationnels n'est souvent que peine perdue. Pour eux les seuls moyens et voies de recours pour mobiliser, motiver, engager, adhérer les travailleurs aux objectifs de l'organisation restent la discipline, le respect de l'ordre et le salaire. Convictions ancrées dans les pratiques gestionnaires plaçant les organisations de fait en dehors des considérations et exigences managériales de l'économie de marché. Face à cet état de fait, il devient utile d'attirer l'attention de ceux qui se disent responsables du capital le plus important sur cette carence caractérisée, de l'urgence d'y remédier, de s'atteler à la mise en place des conditions de professionnalisme. Il est inconcevable d'attendre des travailleurs de s'inscrire dans la dynamique et la logique managériale alors que ceux en charge de définir les stratégies et des affectations des ressources en ignorent même l'existence. Paradoxe inconcevable, qui malheureusement façonne le quotidien de nos organisations. Paradoxe qui ne demande pas de résolution mais carrément curage jusqu'à extinction totale.

Actuellement la pratique gestionnaire se caractérise dans bien des cas par la boulimie législative qui phagocyte l'essentiel des préoccupations. L'essentiel est le respect de la loi et l'application des textes, qui deviennent le signe, le but et l'objectif de tout acte de gestion. Sommes-nous en train de reprocher aux dirigeants cette fascination pour la loi ? Il est clair que ce n'est pas le cas ; ce que nous leur reprochons c'est de se limiter à n'être que de simples exécutants de textes, à ne pas avoir la capacité de créer les synergies capables de permettre à la ressource humaine mise à leurs dispositions de se transcender, de créer l'avantage concurrentiel garant de survie dans les contextes d'économie libérale. Convaincus de cette dimension, les dirigeants d'organisations dignes de ce nom, fiers de leur identité professionnelle, savent que la noblesse de la mission exige la compétence professionnelle qui ne se conjugue pas en considérations d'ordre passionnel mais bien rationnel exigeant les compétences et différents savoirs en mesure de permettre la réalisation de la mission.

Pour rester dans le constat et la description de ce qui structure le quotidien des différentes organisations, il est utile de soulever le fait qu'actuellement le réflexe de tout responsable face à toute prise de décision est la propension à l'économie, à la tentation quasi automatique à puiser dans l'existant, à ne pas faire l'effort de voir autrement, à ne pas envisager d'explorer d'autres possibilités que celle qu'on a l'habitude d'exploiter, comme il s'agit d'un éternel remake. La solution proposée est supposée existante dans le répertoire, sorte de mode d'emploi valable sans péremption. Cette propension est génératrice de dysfonctionnements dont l'ampleur se propage de façon insidieuse et, à coup sûr, les dégâts ne sont pas visibles de prime abord mais bien réels. En agissant de la sorte, on ne se rend pas compte que le problème est dans la solution envisagée et, par conséquent, tout effort de raisonnement exclut de facto l'essentiel du goulot d'étranglement et toutes les décisions prises ne peuvent être qu'erronées. Cette réalité pose avec acuité la question de la représentation et l'importance de la culture ambiante ; ne pas s'en rendre compte est très préjudiciable. Sommes-nous en tant que dirigeants d'entreprises conscients de l'importance de la question ? La réponse détermine immanquablement nos performances. La littérature spécialisée est plus qu'édifiante à ce propos à l'instar de l'école Palo Alto.

L'identification des comportements des différents acteurs, en mettant en lumière les recadrages des représentations, se doit d'être adoptée comme moyen d'adaptation et devient un impératif, de même que la détermination des conditions de changement et la description de l'écologie des entreprises sont devenues d'un intérêt certain sur tous les plans. Les dirigeants et travailleurs se comportent suivant des représentations conformes à une réalité sociale particulière et à une psychologie empreinte de particularités tirant leurs origines et configurations d'une matrice commune qui a pris forme suivant des données culturelles, idéologiques et sociologiques déterminant forcément la dimension psychologique et par la même occasion les différents comportements. En d'autres termes, conformément à une sorte de mobilité des représentations qui synthétise une plasticité d'identités officiellement valorisées suivant des critères qui exposent les travailleurs, tous grades confondus, au fameux paradoxe du comédien qui pose le problème de l'adéquation des attentes d'avec les exigences, ou encore de la perception de l'autorité et de l'adhésion libre et réfléchie ; le travailleur au sens générique se doit d'être doté d'une idiosyncrasie qui lui permet à moindre frais de s'adapter tant au plan individuel qu'organisationnel. Alors, il devient d'un intérêt impérieux d'identifier les changements qui se sont effectués au niveau des causes, de décrire les réformes structurelles que connaît le monde du travail et, par conséquent, d'être capable d'en évaluer l'impact réel sur la qualité du management de l'entreprise, de prévoir son devenir de même que les perceptions, attitudes et motivations des dirigeants et travailleurs, paramètres structurant les comportements et performances tant individuels qu'organisationnels.

L'identification des comportements nous amène au registre de la culture et ses implications sur la gestion des ressources humaines, qui se situe à la fois comme structure agissante, en charge d'une fonction en principe des plus stratégiques, et réceptacle soumis à des impératifs qui le transcendent. Paradoxe que l'obligation de performance et recherche de l'harmonie cultivent, et qui demeure à la charge de la GRH. Ce travail de prospection et d'inventaire ne peut se faire sans le recours à l'analyse de l'activité mentale telle qu'elle est perçue en psychologie, sans mettre en évidence les mécanismes et processus sollicités, et surtout en période de transition qui suppose de façon certaine et inévitable des procédés de destruction et de reconstruction, une circularité qui, tout en prolongeant la linéarité, se situe en alternative qu'il convient de déterminer pour situer les véritables enjeux et par la même occasion annihiler les résistances aux changements potentielles, ou les instrumentaliser pour les rentabiliser par l'approche adéquate.

Il ne fait aucun doute que nos comportements organisationnels aussi bien officiels qu'officieux sont censés être rationnels, clairs, ne comportant que ce qu'on peut expliquer par rapport à des référents identifiés et clairement agencés. En réalité, est-ce que vraiment tous nos comportements sont adossés à des référents visibles et lisibles ? La réponse est sans le moindre doute, non. La réalité est bien plus compliquée. La vie des organisations et par conséquent des entreprises est agencée suivant une multitudes de cérémonies dont la dimension rituelle est d'une pertinence telle qu'elle surclasse le procédural officiellement adopté ; l'usage des pratiques maison, les fêtes de départ en retraite, le bizutage et autres rituels ne sont de toute évidence d'aucune utilité en terme d'actes rationnels pour la réalisation des objectifs, mais aucun manager ne pourra contester leur influence sur l'efficacité et l'efficience du rendement des ressources humaines de son entreprise. L'interprétation de ces phénomènes éclaire les dimensions cachées de l'activité humaine au travail. Cette réalité nous amène à questionner l'apport de l'inconscient dans la quête de la performance managériale.

A suivre

*Professeur