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Séisme politique en Arabie Saoudite: Des dizaines de ministres et d'hommes d'affaires arrêtés

par Yazid Alilat

C'est pratiquement un séisme politique dont l'onde de choc va longtemps secouer le pays : samedi, sur ordre d'une Commission anticorruption présidée par le prince hériter Mohamed Ben Salmane, surnommé MBS, 11 princes, quatre ministres en exercice et des dizaines d'anciens ministres ont été arrêtés ou limogés.

Parmi eux, de célèbres hommes d'affaires. Cette purge anticorruption du prince héritier intervient quelques semaines après une ouverture historique du pays aux femmes, qui auront désormais la possibilité de conduire des voitures. Qualifiée de «décisive'' par les autorités, cette opération anticorruption, qui a jeté en prison des hommes d'affaires et des princes, confirme la main mise de MBS sur le pouvoir en Arabie Saoudite. Preuve que le nouvel homme fort à Ryad ne recule devant aucun tabou, les médias locaux annoncent que le célèbre milliardaire Al-Walid ben Talal fait partie, ainsi que Baqr ben Laden, des 11 princes appréhendés samedi soir, juste après la mise en place de la nouvelle commission anticorruption, et que préside MBS, conformément à un décret royal. Ils font l'objet d'une enquête de la nouvelle Commission anticorruption. Parallèlement aux arrestations, des dignitaires et des ministres du régime ont été limogés sans ménagement. Metab ben Abdallah, le chef de la puissante Garde nationale saoudienne, un temps considéré comme prétendant au trône, ainsi que le chef de la Marine Abdallah Al-Sultan et le ministre de l'Economie Adel Fakih ont été remerciés dans le prolongement de cette purge sans précédent dans le pays le plus conservateur au monde. En plus des arrestations, la chaîne satellitaire Al-Arabiya annonce que la commission anticorruption mise en place par MBS a également lancé une enquête sur les inondations meurtrières ayant dévasté en 2009 la ville de Djeddah, sur la mer Rouge, à la suite de pluies torrentielles. Ces inondations, intervenues après des pluies torrentielles, avaient fait au moins 106 victimes à Djeddah et La Mecque. Une première commission d'enquête avait été nommée, sans résultats. L'agence de presse saoudienne a expliqué par ailleurs que l'objectif de la commission anticorruption était de «préserver l'argent public, punir les personnes corrompues et ceux qui profitent de leur position». Commentant ces développements inédits, le ministre des Finances Mohamed Al Jadaan a souligné qu'«avec ces arrestations, le royaume ouvre une nouvelle ère et une politique de transparence, de clarté et de responsabilité». Pour lui, ces actions «décisives préserveront le climat pour les investissements et renforceront la confiance dans l'Etat de droit». Immédiatement après l'annonce de ces arrestations, le Haut comité des oulémas d'Arabie Saoudite a affirmé que la lutte anticorruption était «aussi importante que le combat contre le terrorisme». L'opération aurait été minutieusement préparée, puisque les forces de sécurité avaient cloué au sol des avions privés, probablement pour empêcher que certaines personnalités visées par ces mesures quittent le territoire.

Cette grande opération anticorruption intervient en fait moins de deux semaines après une intervention très remarquée du prince héritier à un forum économique d'investisseurs le 24 octobre à Ryad, lorsqu'il avait promis une nouvelle Arabie «modérée, ouverte et tolérante», en totale rupture avec l'image d'un pays longtemps considéré comme l'exportateur du wahhabisme, version rigoriste de l'islam qui a nourri nombre de djihadistes à travers le monde. Il avait annoncé que «nous n'allons pas passer 30 ans de plus de notre vie à nous accommoder d'idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant». Avant de faire passer à la trappe les puissants princes, il avait déjà ordonné la levée de l'interdiction faite aux femmes de conduire, après avoir également ordonné des arrestations dans les milieux religieux et intellectuels, classés dans l'opposition.

Selon Kristian Ulrichsen, spécialiste des pays du Golfe à l'institut Baker de l'université Rice aux Etats-Unis, «l'étendue et l'ampleur de ces arrestations semblent être sans précédent dans l'histoire moderne de l'Arabie saoudite». «Si la détention du prince Al-Walid ben Talal se confirme, elle constituera une onde de choc sur le plan intérieur et dans le monde des affaires internationales», a-t-il estimé. Le prince héritier est, selon des observateurs, derrière la crise diplomatique avec le Qatar, et c'est lui qui a mis au ban des pays arabes Doha, l'accusant de soutenir les groupes terroristes, et d'alliance avec l'Iran.