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La «synchronisation mécanique» du «pétrodollar», de l'«ordollar» et des taux de change dans le sauvetage de l'économie occidentale (2ème partie)

par Medjdoub Hamed*

En effet, si la Fed américaine a injecté massivement des liquidités ex nihilo, la monnaie européenne, l'euro, va fortement s'apprécier, comme d'ailleurs la livre sterling et le yen. Pour éviter une forte appréciation de leurs monnaies qui pénalisera leurs exportations, la BCE, la BoE et la BoJ doivent aussi injecter massivement des liquidités ex nihilo pour dégonfler la hausse de leurs monnaies face au dollar. Ce qui a permis de limiter l'appréciation, par exemple, de la monnaie unique européenne. Le taux de change euro/dollar est passé de 0,98 dollar, en octobre 2002, à 1,32 dollar, en décembre 2006.(4) La hausse de l'euro s'explique par les excès de dollars qui n'ont pu être absorbés par la hausse du pétrole et de l'or mais aussi par la pondération par des injections monétaires pour éviter une forte appréciation de l'euro.

Nombre d'analystes parlent de guerre monétaire entre les quatre Banques centrales des Etats-Unis, de la zone euro, du Royaume-Uni et du Japon. Ce n'est qu'en apparence, en réalité, ces Banques sont comme les quatre doigts de la main. Elles sont unies et font face au reste du monde, en particulier les pays du BRICS, la Chine, la Russie qui disputent leur leadership sur le plan monétaire. De plus, l'Occident compte environ 1,3 milliard d'habitants, le reste du monde compte 6,25 milliards d'habitants. C'est dire que le rapport de force est du côté du reste du monde, du moins par les formidables avancées que les émergents comme la Chine (1,4 milliard de Chinois) a opéré sur le plan industriel et manufacturier. Evidemment, pas immédiatement mais en voie.

La hausse du prix du pétrole et de l'or, en tant que contreparties physiques aux émissions monétaires ex nihilo a permis de limiter les variations des taux de change entre les monnaies occidentales, et donc a assuré une stabilité financière et monétaire pour l'économie économique occidentale et pour le reste du monde, en particulier les pays émergents, notamment les cinq pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et les pays exportateurs de pétrole qui ont vu le prix du baril exploser. On comprend d'ailleurs pourquoi les guerres au Moyen-Orient n'ont pas cessé et ne peuvent cesser tant que les pays arabes et des membres du cartel pétrolier, l'OPEP, continuent de facturer leurs exportations pétrolières en dollars. La cause, il faut encore la souligner, repose sur la hausse du prix du pétrole qui permet de pondérer la dépréciation du dollar sur les marchés lorsque la Fed procède à des émissions monétaires massives. Et inversement lorsque la Fed diminue ses émissions monétaires.

Cette reprise économique a-t-elle eu un effet salvateur pour l'Occident ? La réponse est oui, mais s'est opérée sur fond d'endettement ? Qui a bénéficié le plus ? Il est évident que c'est le reste du monde, en particulier les pays émergents et les pays exportateurs de pétrole. Qui a émis massivement ex nihilo les liquidités ? C'est l'Occident ! Certes l'Occident a financé la relance économique, les dépenses des guerres au Moyen-Orient, mais une grande partie des liquidités injectées s'est dirigée vers les pays émergents, en particulier la Chine, les pays exportateurs de pétrole, c'est-à-dire les pays pétroliers arabes, la Russie, et les autres pays OPEP et non-OPEP, via les échanges commerciaux. En termes de gains financiers et matériels, cela signifie que «l'Occident a bénéficié des marchandises, de matières premières et pétrole importées» des pays émergents «plus compétitifs», et des grands producteurs de pétrole et de gaz, tandis que les Emergents et Pétroliers ont bénéficié des excédents commerciaux, c'est-à-dire des liquidités en dollars, en euros, en livre sterling et en yens.

De plus, les pays émergents et exportateurs de pétrole, par l'accumulation d'excédents commerciaux, «remboursaient leurs dettes» à l'Occident. Et le processus ne s'arrêtait pas là. Ces pays retournaient leurs excédents financiers, sous forme de placements rémunérés sur les places financières occidentales. Si ces excédents commerciaux constituaient initialement une fuite de liquidités vers les émergents et les exportateurs de pétrole, le retour de liquidités issues des excédents commerciaux vers l'Occident compensait ces fuites, poussant l'Occident de continuer à importer des produits made in China..., et du gaz et du pétrole des pays exportateurs de pétrole, et donc à consommer, par conséquent amenant l'Occident à «s'endetter» auprès du reste du monde, qui se «transforme en créancier de l'Occident».

Il s'ensuit un processus auto-entretenu qui, pour l'Occident, sa croissance économique est portée par l'endettement, pour le reste du monde, sa croissance économique est portée par les débouchés que lui offre l'Occident qui consomme sa production et les liquidités qu'il «remet en échange». Pour l'Occident, cela lui permet d'entretenir une certaine suffisance, pour le reste du monde, cela se traduit par une création massive d'emplois. La Chine, par exemple, a créé plus de 200 millions de nouveaux emplois. Elle est devenue, avec son 1,4 milliard de Chinois, l'«atelier du monde».

Une précision, cependant, ce nouveau processus économique et financier auto-entretenu est tout à fait «naturel». Depuis les années 1970, les pays du reste du monde n'ont pas cessé de progresser. Leurs produits industriels et manufacturiers rivalisent avec les produits occidentaux. La montée en puissance dans les années 1970-1980 a permis aux tigres asiatiques et dragons asiatiques d'opérer leur rattrapage. De même, dans les années 1990-2000, c'est le tour de la Chine, du Vietnam, de la Turquie. Aujourd'hui, la Chine, qui détient la palme, est devenue en un temps record la deuxième puissance économique du monde. Si elle a profité des délocalisations de firmes occidentales, c'est simplement que c'était un passage obligé pour les pays occidentaux. La perte de compétitivité de l'Occident face aux émergents (produits de bonne qualité à faible coût de main-d'œuvre) ne laissaient pas de choix pour les pays occidentaux. Fermer les entreprises non compétitives ou délocaliser.

On comprend pourquoi «délocaliser» était nécessaire pour l'Occident parce qu'au lieu de fermer leurs usines qui était négatif sans gain, ce transfert d'entreprises productives leur permettait de partager les revenus de vente et aussi de profiter des débouchés qu'offraient ces nouveaux pays. Ainsi, durant dans les années de 2000 à 2010, s'est encore accentuée une double dépendance entre l'Occident et le reste du monde.

La Crise 2007-2008, un enchaînement naturel de causes à effets

En 2003, la reprise économique était là. La guerre se poursuivait au Moyen-Orient, et les moyens financiers pour les dépenses de guerre étaient assurés. La Chine, la Russie et les autres pays émergents et exportateurs de pétrole enregistraient continuellement des excédents commerciaux au détriment de l'Occident. D'autant plus que les Banquiers centraux occidentaux étaient tenus de soutenir l'effort de guerre en Afghanistan et en Irak. L'euphorie de la victoire des Etats-Unis en Irak, et l'occupation de ce pays avait conforté les autorités monétaires américaines d'injecter davantage de liquidités pour financer l'économie et l'effort de guerre.

Comme les crises en cascade des Bourses occidentales, entre 2000 et 2003, étaient encore présentes dans les esprits des décideurs américains, et le marché des actions cette fois boudé par les investisseurs, il fallait trouver un substitut qui puisse apporter la croissance et l'emploi. Surtout que les industries occidentales avaient perdu beaucoup de leur compétitivité face aux pays émergents, en particulier la Chine, et d'autre part, les économies occidentales fortement affaiblies par les délocalisations massives qu'elles ont opérées, dans les années 1990 et 2000, au profit de la Chine, du Vietnam, et autres pays d'Asie et d'Amériques. Il apparaissait nettement que le seul créneau viable est l' «immobilier», grand pourvoyeur d'emplois.

L'envol de la construction immobilière aux Etats-Unis et en Europe a permis de doper la demande, qui a pris des proportions telles que les banques, par la spéculation immobilière poussée à des limites extrêmes, ne regardaient plus la solvabilité des ménages endettés, pensant que la hausse des cours de l'immobilier viendrait compenser l'endettement.

Le financement tous azimuts par la Banque centrale américaine de l'économie et de l'effort de guerre a provoqué une forte consommation par les ménages américains du fait de la réévaluation sans cesse à la hausse de leur patrimoine immobilier faisant la part belle aux exportations chinoises vers les Etats-Unis et aux pays exportateurs de pétrole qui ont vu le prix du baril s'envoler. D'autant plus que l'économie américaine était dopée par le retour des capitaux issus des excédents commerciaux chinois, russes, arabes, sud-américains... qui se plaçaient dans le système bancaire américain. Ce qui dopait encore la consommation américaine. Les Etats-Unis s'endettaient, et l'Europe suivait aussi la spirale d'endettement.

Jusqu'en 2005, la bulle spéculative sur l'immobilier n'apparaissait pas au grand jour, malgré que la Fed américaine ait commencé à serrer le robinet monétaire. Le 30 juin 2004, la Fed donna le premier tour de vis. Elle fait passer le taux d'intérêt directeur de 1% à 1,25%. Après 17 hausses, le taux directeur de la Fed passe à 5,25%, le 29 juin 2006. La situation commençait à être instable pour l'économie américaine. En effet, la hausse des taux de refinancement des banques restreignait les injections de liquidités. Les ménages endettés avaient des difficultés pour rembourser leurs dettes. Devant cette situation, les banques commerciales américaines, anticipant, cherchaient activement à se débarrasser des créances hypothécaires à risque - un grand nombre de créances devenaient insolvables. L'utilisation massive de la «titrisation» de ces créances et leurs «ventes tous azimuts, empaquetées comme des valeurs sûres alors qu'elles ne l'étaient pas» leur permettait de différer la crise qui venait à grands pas.

Le taux d'intérêt de la Fed maintenu à 5,25% de juin à 2006 à septembre 2007 produisit ce que nombre d'économistes avait annoncé. C'est ainsi qu'il advint ce qui devait advenir, «la bulle immobilière éclatait au grand jour». Elle sera un désastre pour l'économie américaine, les ravages sur l'immobilier s'étendront au reste du monde. Elle fut suivie par une crise financière encore plus ravageuse, en 2008. Si le reste du monde a souffert en pertes financières par suite de la titrisation des créances hypothécaires vendues au monde entier, c'est surtout l'Occident qui en sera gravement touché. Des centaines de milliers de ménages américains verront leurs logements saisis. Le nombre de ménages augmenta. Puis ce sont des millions de ménages américains qui perdront leurs logements et leurs économies engagées dans l'achat immobilier. Les médias occidentaux parlent de cinq à six millions de logements saisis, d'autres donnent des chiffres encore plus grands.

Devant l'ampleur de la crise immobilière et la panique dans les marchés de l'immobilier, la Fed avait tenté de la juguler par des injections massives de liquidités, c'était trop tard. Dans le journal Le Monde (5), «Dix ans après, l'histoire a tranché. La plus grande crise financière du XXIe siècle - à ce stade - a débuté le 9 août 2007, le jour où BNP Paribas a gelé les retraits de ses clients dans trois de ses fonds monétaires. Petite cause, gros effet.

Cette décision de la première banque française a été perçue comme la preuve de la gravité du marasme touchant le marché du crédit immobilier aux Etats-Unis.

Cet été-là, pourtant, nul n'imagine encore que le monde est à l'orée d'une crise financière aussi dévastatrice que celle ayant entraîné la Grande Dépression de 1929 dont les cohortes de miséreux ont hanté des générations d'écoliers. Pour en arriver là, il faudra que l'administration américaine laisse la banque Lehman Brothers faire faillite le 15 septembre 2008. Entre ces deux repères majeurs de la crise, treize mois durant, l'économie mondiale va pédaler dans le vide, tel le loup de Tex Avery, sans réaliser que sa chute sera vertigineuse.

A corps perdu dans la spéculation immobilière. En réalité, les Etats-Unis ont perdu pied dès le milieu des années 2000. Dans la liste de vingt-cinq personnes à blâmer pour la crise financière, publiée par le magazine Times en 2009, figurent de nombreux banquiers mais aussi Bill Clinton, qui a desserré l'étau réglementaire afin de favoriser l'accès à la propriété des ménages les moins aisés. Ces derniers se sont alors lancés à corps perdu dans la spéculation immobilière encouragés à la fois par la politique de taux bas du gouverneur de la Réserve fédérale (Fed) Alan Greenspan (autre nominé du Times) et par des courtiers payés au volume de crédit.

A suivre

*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective. www.sens-du-monde.com

Notes :

4. EUR/USD (EURUSD=X).https://fr.finance.yahoo.com/chart/EURUSD

5. «Il y a dix ans, le capitalisme perdait pied», par Le Monde Economie. Le 2 juillet 2017. http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/07/02/il-y-a-dix-ans-le-capitalisme-perdait-pied