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Tiaret: Voter, oui, mais pour qui et pour quoi ?

par El-Houari Dilmi

Au septième jour de la campagne électorale pour les élections locales du 23 novembre, le Tiarétien lambda garde la tête ailleurs. A part quelques rares affiches placardées sur des murs décrépis, rien n'indique que la ville s'apprête à élire son futur maire, dans une wilaya qui compte pourtant plus d'un demi-million d'électeurs. Presque un non-évènement.

Blasés par une dégradation continue du cadre de vie, avec des quartiers, rues et ruelles abandonnés aux détritus en tous genres, des trottoirs refaits presque une fois par an mais toujours dégradés, les façades des immeubles délabrées, les Tiarétiens, à l'instar de leurs concitoyens de tout le pays, s'interrogent sur «l'utilité» d'un maire dans une wilaya où plus d'une soixantaine d'élus ont été traînés devant les tribunaux durant la mandature qui s'achève.

«Les candidats, tous partis confondus, n'ont pas grand-chose à proposer. Ils sont à court de sujets convaincants pour chasser des voix ; ici comme ailleurs, les échéances électorales se suivent et se ressemblent», commente Benaïssa, les yeux rivés sur son téléphone portable dans un café du centre-ville.

Paralysées par des tiraillements internes, les sempiternelles luttes de clan, un népotisme exposé au grand jour, les assemblées élus n'ont pas la côte auprès du citoyen électeur. Et si au sein des états-majors locaux des partis politiques, la lutte fait rage pour un strapontin sur une liste d'une APC/APW, chez le citoyen de la rue, la tête est ailleurs, comme il ne croyait pas au «verdict de l'urne» ni en des jours meilleurs. La preuve que le changement ne viendra pas par le bas, pourquoi 55 ans après le recouvrement du soleil de la liberté «s'acharne-t-on à construire une belle maison sur des fondations bâclées ?», s'interroge, un rien philosophe, Djilali, un «jeune» retraité de 52 ans.

Nouvelle «mode politique» ou signe d'une pathétique désespérance du personnel politique, à Tiaret, des formations politiques multiplient les appels du pied aux citoyens «propres et instruits» pour faire partie de leurs candidats aux prochaines élections locales. En effet, si les candidats? à la candidature sont fort nombreux, pour le «peuple des votants», les jeux et enjeux sont ailleurs? Pour Abdelkrim, un ancien cadre de l'administration locale, «la chose politique rebute le citoyen, puisque depuis des années qu'il élit ses représentants au niveau des assemblées élues, son quotidien ne s'est pas amélioré, loin s'en faut», tranche-t-il net.

Batailles à couteaux tirés

Dans les chaumières, places publiques et autres salons de thé, on traite la chose politique par-dessus la jambe. L'attaque du siège de la kasma FLN de Meghila qui a été incendié ou la bagarre dans la rue entre des militants devant le siège du RND s'attirent les commentaires amusés, voire dépités du commun des citoyens. Ou encore ces affiches placardées un peu n'importe comment exposant des visages et des slogans auxquels le passant répond par une moue dépitée. «Et puis à quoi ça sert de voter quand on prend les mêmes et on recommence ?», commente l'air blasé Kamel, qui s'inquiète pour la santé de son père, ancien moudjahid «dont plus personne ne se souvient», soupire-t-il. «Les listes ont été plusieurs fois tripotées, de jour comme de nuit, pour finalement reconduire les mêmes têtes», estime Ali, un quadragénaire, père de 3 enfants, plus préoccupé à voir son nom figurer sur la prochaine liste des logements sociaux que des élections du 23 novembre. Abdelkader, «Kadi» pour les copains, esquive notre question sur les élections et s'émeut de ce jeune homme de 20 ans à peine qui s'est immolé par le feu, la semaine dernière, dans un quartier populaire de la ville de Tiaret. «Il est mort dans l'anonymat le plus total», tempête-t-il.

Dans le café en face de la station-service du populeux quartier de «Erass Soug», les jeunes désœuvrés constituent l'essentiel des clients. Pour Bachir, 27 ans, chauffeur de taxi clandestin, accomplir son devoir électoral, il ne sait pas ce que c'est. «Voter ou pas, je constate bien que rien ne change autour de moi», tranche-t-il. Pour son ami, attablé à ses côtés, «voter oui, mais dites-moi pour qui et pour quoi ?», nous apostrophe-t-il. «Tout le monde parle de ces listes plusieurs fois triturées et plusieurs fois changées pour finalement garder les mêmes têtes et laisser tourner le manège», commente, un rien philosophe, Benali, un cadre au chômage et candidat malheureux aux dernières législatives. Quinze formations politiques, pour quelque 5.600 candidats, sont en lice pour les 42 APC de la wilaya contre treize partis pour l'assemblée populaire de wilaya (APW).