Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Mandat d'arrêt contre Puigdemont- Crise espagnole : acte II

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

Madrid a émis un mandat d'arrêt européen contre le président catalan déchu, actuellement installé à Bruxelles, et confirmé la tenue d'élections anticipées pour le 21 décembre. Carles Puigdemont est candidat aux élections: la crise espagnole se complique.

L'acte II de la crise espagnole s'ouvrira donc le 21 décembre prochain lors des élections législatives anticipées en Catalogne. D'ici là, tout au long de cet entracte, les acteurs politiques du «drame» espagnol occuperont les scènes politiques espagnole et européenne dans une surenchère et une bataille juridico-politique inédite. Et pour cause, le leader catalan Carles Puigdemont sous le coup d'un mandat d'arrêt européen émis par le parquet général espagnol sera candidat aux prochaines législatives de son pays. Sachant les délais dont dispose le président Catalan déchu, soit plus de trois mois sinon plus pour que la Belgique statue sur son cas, lui permettant ainsi d'échapper avant les élections à une arrestation, que fera le gouvernement central espagnol en cas de réélection de Carles Puigdemont et certainement sa désignation par ses pairs de nouveau à la tête de l'exécutif catalan? Une telle perspective a de fortes chances de se réaliser d'autant plus que, selon les derniers sondages, les indépendantistes catalans ont gagné quelques points dans les intentions de vote.

Du coup, le déroulé de la crise espagnole laisse perplexes juristes et politiques. Le principe du droit prime-t-il sur celui de la démocratie ou inversement ? Autrement dit le gouvernement central espagnol ira-t-il jusqu'à emprisonner le probable président élu de Catalogne après le 21 décembre prochain ? Car il est certain que les indépendantistes catalans reposeront la question de leur indépendance lors de la prochaine législature.

D'ailleurs, dans la crise actuelle, le président déchu catalan dispose d'un argument cette fois-ci politique et juridique indiscutable: il a été élu en 2015 avec la promesse d'organiser un référendum sur l'indépendance de la Catalogne. Au point de vue démocratique, M. Puigdement n'a fait qu'honorer un engagement politique pris devant ses concitoyens. Le gouvernement central de Madrid le savait et n'a, malheureusement pour lui, pas anticipé la crise actuelle. L'Espagne est face à un vrai dilemme politique: doit-elle laisser l'expression libre et démocratique aux Catalans de décider de leur avenir, en l'occurrence en optant pour l'indépendance, ou doit-elle piétiner le principe sacré de la démocratie en niant la volonté des Catalans au nom de la «raison d'Etat» pour préserver l'unité de l'Espagne? Le président déchu catalan l'a bien compris et appelle à la barre du témoignage l'UE pour répondre de ses responsabilités. Jusqu'à preuve du contraire, la Catalogne est espagnole et donc membre de l'UE. Cette dernière qui met la question du libre choix démocratique des peuples à décider de leur sort ne peut se dérober face à l'interpellation catalane: l'UE doit-elle soutenir comme le lui dicte son principe le choix démocratique des Catalans ou doit-elle «marcher dessus» au nom de la solidarité avec le gouvernement de Madrid ? Carles Puigdemont a déclaré, vendredi soir sur la télévision belge, qu'il ne demandera pas l'asile politique à la Belgique, qu'il est à Bruxelles parce qu'elle est la capitale de l'UE et ainsi compter sur le soutien de l'Europe pour son combat qu'il estime légitime et démocratique.

La crise espagnole donne l'impression que Madrid et Barcelone comptent, chacune de son côté, sur le temps et l'usure de l'adversaire pour gagner la partie. Le risque pour Madrid est la radicalisation des indépendantistes catalans, particulièrement leur noyau dur tenté par la violence politique. Encore une fois, Madrid et Barcelone ne peuvent se passer d'un dialogue politique pour une réforme conséquente du système institutionnel espagnol qui satisfasse les deux parties en conflit. L'emprisonnement des huit dirigeants catalans et la «chasse» au président Puigemont ressemblent fort à une bataille d'arrière-garde de Madrid qui n'augure rien de bon pour l'Espagne. Quant à l'UE, elle devra s'impliquer autrement en offrant un cadre de dialogue minimal sous peine d'éroder davantage sa crédibilité démocratique déjà en berne.