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Enseignement supérieur: «Une dérive politique» pour encadrer les universités

par Ghania Oukazi

Si le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique estime qu'en «libérant» le doctorat, le pays résoudra le problème de l'encadrement de ses universités, les professeurs et chercheurs universitaires pensent que «si ses deux décrets sont appliqués, ils consacreront la déchéance de l'université».

Entérinés par le Conseil du gouvernement du 17 octobre dernier, les deux décrets en question n'ont pas encore été publiés dans le Journal officiel comme l'attend Abdelkader Hadjar avec impatience. Pour rappel et comme publié dans l'édition du lundi 30 octobre et dans celle d'hier, le premier décret consacre l'organisation de la formation et du doctorat sous le LMD et le second révise les critères de l'Habilitation dirigée de recherches(HDR).

A propos du premier, des professeurs dans les sciences sociales indiquent qu' «il assoie le LMD définitivement comme seule architecture de diplômes universitaires». Ils relèvent ainsi que « le nouveau texte abroge tous les décrets antérieurs ayant créé les autres diplômes comme l'ingéniorat, le DEA appliqué, le magister (?) ». Ils en déduisent alors qu' «il n'y aura plus de formations supérieures techniques et appliquées, il n'y aura plus d'ingénieurs». Pourtant, il est rappelé que les pays développés qui ont adopté le LMD avant nous, ont bien gardé tous les autres diplômes, «c'est-à-dire que les formations supérieures techniques ont été préservées». Ils interrogent «chez nous, le débat sur le système LMD est-il définitivement clos ? Sera-t-il maintenu sous sa forme actuelle qui plus est validée par ce décret ?» Ils rappellent que «beaucoup d'experts remettent pourtant en cause cette option».

Nos interlocuteurs du corps professoral affirment que «dans ce texte, le doctorat est banalisé, scolarisé, il devient des cours et une thèse !!? C'est un diplôme comme les autres qui est délivré 3 ans après le master». Ils regrettent que l'exigence d'au moins une publication scientifique reconnue puisse disparaître. Le nouveau décret impose les mêmes exigences que pour le master. «Le doctorat, c'est donc la soutenance d'une thèse qui évalue les aptitudes à faire de la recherche, et non (plus) le résultat de travaux de recherches,? et encore moins une thèse originale». Plus grave, jugent-ils, «le texte autorise la soutenance sur travaux dont les modalités sont décidées par arrêté du ministre, on peut donc devenir docteur sans avoir fait de recherches et sans jamais avoir rédigé une thèse !!!»

Consécration de la déchéance de l'université

Pour ce qui est du deuxième décret, celui relatif à l'Habilitation dirigée de recherches (HDR), les professeurs attirent l'attention que «le texte est à lire (à relier) avec celui sur le LMD, ils confirment tous les deux la tendance à tirer l'université vers le bas». Ils nous expliquent que «la nouvelle habilitation permet de diriger des projets de recherches et encadrer des doctorats, elle est octroyée aux maîtres de conférences B, ayant enseigné pendant 3 ans, après leur évaluation par une commission régionale sur la base d'une grille de critères élaborée par arrêté du ministre». L'on note que la grille n'est pas jointe au texte du décret « puisqu'elle est prise par arrêté du ministre ».

Autre dérive selon eux, «la publication n'est pas exigée comme prérequis (obligatoire), comme c'est le cas de l'exigence des 3 années d'ancienneté, si chaque année d'ancienneté rapporte des points, la publication aussi peut rapporter des points dans l'évaluation de l'enseignant, quand elle existe bien sûr !»

Ils désapprouvent le fait que si ces deux décrets sont appliqués, «on peut devenir maître de conférences habilité à diriger des recherches et des doctorats sans avoir publié une seule fois un travail de recherche dans une revue scientifique internationale, mais juste en ayant enseigné un certain nombre d'années, réalisé des polycopiés, intervenu dans des rencontres scientifiques? »

Selon ses conseillers, le ministre estime que « cette stratégie permet de faire soutenir des doctorats aux milliers de candidats inscrits et bloqués (parce qu'ils n'ont pas produit au moins une publication dans une revue indexée, reconnue), de faire recruter comme enseignant (maître de conférences B) des milliers de docteurs, pour répondre aux besoins, sans cesse croissants, en encadrement au niveau des universités du pays».

Les chercheurs universitaires rétorquent «on peut le comprendre et fermer les yeux pour le doctorat sans publication, ça donnera des milliers de docteurs, et donc des milliers de maîtres de conférences pour les universités), mais alors pourquoi toucher à la publication pour l'habilitation à diriger des recherches ? ». Le danger pour eux est que «si ces décisions sont consacrées dans le Journal officiel, elles deviennent un acquis sur lequel personne ne peut revenir». Ils consacreront, selon eux, «la déchéance de l'université algérienne».