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Empêcher la prochaine pandémie

par Stephen J. Thomas*

SYRACUSE – Les récentes épidémies Ebola et Zika ont démontré la nécessité d’anticiper les pandémies, et de les endiguer avant qu’elles ne surviennent. Mais la diversité, la résilience et la transmissibilité des maladies mortelles font également apparaître de manière frappante combien leur endiguement et leur prévention peuvent se révéler difficiles.

Notre capacité de préparation est mise à mal par notre interconnexion. Ces dernières années, c’est grâce à des vols internationaux que les virus de la dengue, du chikungunya et de Zika ont pu si facilement voyager de l’est vers l’ouest, provoquant des épidémies massives sur le continent américain et dans les Caraïbes. La deuxième difficulté est plus terre-à-terre : notre incapacité à nous mettre d’accord sur les considérations financières. Quelles qu’en soient les raisons, tant que les hommes échoueront à organiser une défense collective et globale, les maladies infectieuses continueront de causer des ravages – avec des conséquences désastreuses.

L’élaboration d’une stratégie efficace de prévention et d’endiguement – nous permettant d’être préparés à la menace biologique – constitue le moyen idéal de réduire la menace d’une contagion planétaire. Les dispositifs de veille et préparation exigent une coordination entre les agence et les financeurs, qui permette une rapidité de déploiement et d’accès aux vaccins, médicaments et protocoles de lutte contre la transmission des maladies. Autrement dit, nous préparer face à la prochaine pandémie signifie non seulement bâtir une capacité globale, mais également la financer.

C’est tout au moins l’idée. La préparation à la menace biologique est beaucoup plus complexe dans la réalité. Pour commencer, l’absence de financements dédiés empêche la mise en œuvre de stratégies de prévention à long terme dans de nombreux pays, un récent rapport de la Banque mondiale révélant que seuls six pays, dont les États-Unis, prennent cette menace au sérieux. Dans le même temps, les responsables de la santé, dans bien des régions du monde, peinent à faire face aux épidémies en raison d’un manque de laboratoires et de cliniques. De nombreuses agences de financement, ONG et gouvernements inclus, ne s’engagent par ailleurs généralement que sur un an, ce qui exclut tout planification à long terme.

Depuis des années, scientifiques, médecins et acteurs de la société civile crient leur inquiétude face au manque d’investissements fiables, significatifs et institutionnalisés, dans la préparation aux pandémies. Constat frustrant, cet appel est lancé alors même que demeurent importants les financements militaires axés sur la réponse aux attaques biologiques, minutieusement conçues de la main de l’homme. L’apparition provoquée et malveillante d’épidémies de maladies infectieuses pourrait certes engendrer des dégâts importants, mais ce scénario demeure peu probable. En revanche, les épidémies d’origine naturelle surviennent fréquemment, et se révèlent beaucoup plus coûteuses, même si elles manquent de sensationnalisme, de ce « facteur peur » associé au terrorisme.

Il n’y a pas si longtemps, ceux d’entre nous qui travaillent à la prévention des épidémies de maladies infectieuses s’étaient rassurés quant à la disponibilité des ressources nécessaires à la veille et préparation. Puis, dans bien des régions, les budgets ont stagné, voire diminué. C’est un choix de courte vue, compte tenu des coûts que représente la prévention par rapport à la réaction. Combien cela aurait-il coûté de faire construire des infrastructures de cliniques et de laboratoires, et de dispenser les formations permettant de détecter et prévenir la dernière épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest ? Bien que ce chiffre soit difficile à déterminer, je suis persuadé qu’il aurait été inférieur aux milliards de dollars dépensés dans l’endiguement de cette épidémie. La préparation est un choix qui paye.

Ce n’est pas seulement le manque de financements qui pose problème, mais également la manière dont les fonds disponibles peuvent être utilisés. Il n’est pas rare qu’un octroi soit limité à des activités spécifiques, ce qui fait considérable obstacle à l’accomplissement des objectifs d’un programme. Un financeur peut par exemple soutenir la rénovation d’un laboratoire existant, mais pas la construction d’un nouveau. Il arrive également qu’un fonds soutienne l’achat d’une machine de diagnostic, sans financer la formation nécessaire à l’utilisation de cette machine. Dans de nombreux pays en voie de développement, les communautés ne disposent même pas des bâtiments physiques qui leur permettraient de tester, contrôler et stocker les pathogènes dangereux. Ces financements aveugles, qui négligent plusieurs éléments constitutifs d’une vue d’ensemble, sont synonymes d’argent piètrement dépensé.

Ajoutez à ces défis la difficulté liée à la rémunération des personnels, ainsi qu’à la disponibilité d’une électricité fiable et d’autres services essentiels, et il apparaît évident que la veille et préparation aux épidémies exige un engagement global de la communauté humanitaire internationale. Pour l’heure, la lourdeur des règles en matière de dépenses, et la faiblesse des engagements financiers, lient les mains de ceux qui travaillent à la prévention des graves épidémies à venir.

La quantité d’obstacles rencontrés par les scientifiques et experts de la santé publique dans la course pour l’endiguement des maladies infectieuses est impressionnante. Pour les surmonter, il nous faut repenser la notion de préparation, en abandonnant notre posture réactive pour désormais adopter une approche proactive. Les montants dédiés à cette préparation doivent être affectés à des niveaux suffisants pour créer l’impact nécessaire. Les restrictions quant à la manière de les déployer doivent être assouplies. Les sources de financements doivent être prêtes à autoriser des engagements de plusieurs années. Enfin, les solutions à long terme de type création et connexion de systèmes de surveillance biologique doivent être développés et renforcés, pour permettre aux professionnels de la santé du monde entier de suivre et signaler les maladies humaines et animales, ainsi que de planifier une défense commune.

La santé publique est une composante essentielle de la sécurité mondiale. Ne pas investir suffisamment dans la prévention des épidémies de maladies infectieuses crée un risque pour nous tous, quel que soit le lieu et le moment de la prochaine épidémie.

Traduit de l’anglais par Martin Morel
*Médecin spécialiste des maladies infectieuses, est professeur de médecine et responsable de la division des maladies infectieuses de l’Université d’État de New York, l’Upstate Medical University.