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La Chine et ses «talents» étrangers

par Akram Belkaïd, Paris

Le Parti communiste chinois (PCC) a donc tenu son dix-neuvième congrès. A chaque fin de lustre, cet événement mobilise l’attention des observateurs internationaux qui attendent les signes d’une évolution politique ou, c’est plus souvent le cas sous la présidence de Xi Jinping, une réaffirmation du dogme du «socialisme chinois spécifique». Autrement dit, la poursuite d’une ouverture économique toujours d’inspiration libérale mais un rejet hermétique de toute ouverture politique.

Expertise importée

Ce fut encore le cas cette fois-ci. La Chine, a expliqué Xi Jinping, entend continuer de jouer le jeu de la mondialisation et des échanges commerciaux. Mieux, elle promet de mieux ouvrir son marché intérieur aux entreprises étrangères. On le sait, Pékin est très critiqué pour son protectionnisme, notamment en matière de défense des intérêts de ses entreprises publiques. Désormais, les autorités chinoises tiennent un discours économique à l’opposé de celui du président américain Donald Trump qui prône un retour à une plus grande régulation des échanges commerciaux.

Concernant la stratégie chinoise, on connaît le paradoxe qui alimente nombre de controverses. Sur le long terme, peut-on demeurer libéral sur le plan économique tout en cadenassant le champ politique avec une poigne d’acier ? En juillet dernier, la mort en prison de Liu Xiabo, le prix Nobel de la paix 2010, a montré que le régime chinois n’entend rien céder aux dissidents alors qu’il fait assaut de séduction à l’égard des investisseurs étrangers. Même si le succès économique est au rendez-vous, on peut se dire que ce genre de stratégie ne dure qu’un temps et que si, d’aventure, la conjoncture se retourne, Pékin sera obligé de lâcher du lest pour assurer la pérennité du PCC. Mais cela fait trois décennies que ce genre de raisonnement est rabâché. Et rien ne change.

De fait, le verrouillage du champ politique sert même d’argument vis-à-vis des investisseurs étrangers qui, par exemple, trouvent en Chine un environnement où les syndicats officiels servent surtout à briser les grèves… Mais il y a plus important. De nombreux cadres internationaux confirmés n’hésitent plus à s’installer en Chine, attirés par le boom économique et les perspectives de carrière. Cela vaut aussi pour des étudiants étrangers pour lesquels un cursus en Chine est un avantage stratégique. Publié récemment, un rapport met en exergue le fait que le pays réalise une double performance (*).

La première, c’est qu’il attire des étudiants et des «talents» étrangers de tous les horizons, y compris des ressortissants américains. A ce sujet, aucun pays, hormis la Chine, n’a réussi la performance d’être à la fois un exportateur d’étudiants nationaux et un importateur d’expertises étrangères (lesquelles acceptent de travailler pour des entreprises locales). La seconde performance est la capacité à convaincre les nationaux partis étudier à l’étranger de rentrer chez eux pour y faire carrière. Là aussi, rares sont les pays du Sud qui y arrivent.

Le prix du silence

Que penser de tout cela ? L’une des conclusions premières est que le fameux environnement des affaires, que l’on agite à bout de bras pour classer les pays selon leur attractivité, peut s’accommoder d’un régime autoritaire, pour ne pas dire dictatorial, si le reste est assuré. Le reste ? Des entreprises modernes ou en voie de modernisation, des universités reconnues et capables de concurrencer des établissements occidentaux, des marchés en croissance et, bien sûr, des rémunérations à la hauteur des ambitions de ces élites économiques. Mais la règle implicite est connue de tous. On travaille, on gagne (bien) sa vie mais on ne se mêle pas de politique. Si l’on est étranger, on tient sa langue. En Chine, plus qu’ailleurs, le silence et la soumission au pouvoir en place sont le prix du succès professionnel.

(*) «Rapport 2018 sur la mobilité mondiale de talents et la gestion de la richesse», Forbes et Wailan, Overseas Consulting Group.