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Le Portugal et l’économie océanique

par Ana Paula Vitorino*

Aujourd’hui, nous tentons de mieux comprendre l’anthropocène et d’y vivre. Bien que cette époque ne soit pas encore officiellement reconnue, il est de plus en plus admis que nous sommes dans une sous-division spéciale de l’échelle des temps géologiques où les activités humaines ont des répercussions sur le climat et les ressources naturelles disponibles.

La concurrence mondiale pour l’exploitation des ressources naturelles afin de soutenir les modèles actuels de développement est née lorsque les océans ont été considérés comme une extension des territoires continentaux. Si, pendant des siècles, l’espace maritime a été perçu comme un espace favorisant la mobilité – une autoroute de la mer – aujourd’hui, le concept de territoire s’applique aux océans.

Ce changement est lié à un développement des connaissances des mers et de leurs ressources ainsi qu’aux avancées technologiques qui ont facilité l’exploration des océans. L’ordre public des océans, qui intègre un volet territorial important fondé sur une division clairement définie entre la souveraineté et la juridiction nationales et les libertés de la haute mer au-delà des frontières maritimes actuelles, a permis d’assurer la stabilité et la sécurité juridique nécessaires au développement et à l’essor de l’économie maritime.

Comme nous le savons aujourd’hui, cependant, lors de l’entrée en vigueur en 1994 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, un certain nombre de défis constituant une menace pour les océans et les ressources marines sont devenus de plus en plus apparents, de mieux en mieux compris et ont été en partie examinés indépendamment de l’idée de territoire et de souveraineté. La Convention offre des moyens de répondre aux problèmes environnementaux auxquels sont confrontés les océans dans le monde et nous permet d’intégrer ces démarches aux processus de prise de décision. Il nous donne aussi des outils pour gérer ces questions afin de trouver des solutions au-delà des frontières nationales de chaque État côtier. Les bases établies par la Convention, cependant, ne sont pas suffisantes pour répondre aux menaces mondiales émergentes. Des exemples comme l’acidification, la pollution marine, l’épuisement des stocks de poissons et la dégradation des écosystèmes marins ne peuvent pas être traités ni résolus en se fondant seulement sur la souveraineté et la juridiction maritimes nationales. Nous devons adopter une approche globale commune pour gérer nos océans de manière durable.

C’est pourquoi le Portugal est pleinement résolu à s’employer à conclure un nouvel accord de mise en œuvre de la Convention sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale. Le nouvel accord devrait s’appuyer sur les meilleures informations disponibles et les processus de prise de décision définis dans l’accord devraient prendre en compte cette préoccupation. Nous devrions reconnaître la contribution qu’un tel accord peut et devrait apporter à la mise en œuvre de l’objectif de développement durable 14 du Programme 2030, qui traite des océans et consiste à arrêter et à inverser le déclin de la santé de ces derniers.

Pour des raisons historiques, culturelles et économiques, les océans ont façonné la vie des Portugais, notre rapport aux autres ainsi que notre position dans la communauté internationale. L’océan est, pour notre pays, un élément déterminant et structurant qui contribue à notre identité. Pour soutenir l’objectif visant à promouvoir et à renforcer la gouvernance internationale des océans fondée sur une approche globale et concertée, le Gouvernement portugais a créé en 2015 le Ministère de la Mer qui est chargé de coordonner les affaires maritimes, de promouvoir une économie maritime durable ainsi que de créer et de renforcer les politiques relatives aux océans en se fondant sur des connaissances scientifiques, l’innovation et le développement technologique.

Le Ministère joue un rôle transversal, coordonnant plusieurs activités ainsi que les travaux d’institutions analogues qui, traditionnellement, dépendaient d’autres ministères. Ces institutions soutiennent la planification et les connaissances liées aux océans ainsi que la mise en œuvre de politiques visant à protéger l’exploitation des ressources marines; la promotion d’une présence efficace en mer et un contrôle de ses utilisations; une économie maritime durable; et la coordination de la participation du pays aux organismes européens et internationaux responsables de l’élaboration et du suivi des politiques maritimes.

Les zones maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction nationales – les mers territoriales, la zone économique exclusive (ZEE) et le plateau continental – élargies dans le champ d’application de la proposition présentée en 2009 aux Nations Unies par le Gouvernement portugais – constituent l’un des atouts du développement futur du pays. Les ressources biologiques, génétiques, minérales et énergétiques que ces zones possèdent ouvrent de nouvelles perspectives pour l’exploration qui peuvent faire du Portugal un modèle de croissance économique et, surtout, le protecteur de la biodiversité marine. En outre, ce pays fait figure de pionnier dans les écosystèmes marins spéciaux situés en dehors de ses aires marines protégées, comme les cheminées hydrothermales aux Açores, dont le Portugal rend compte au réseau des aires marines protégées établi par la Commission de la Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est (la Commission OSPAR).

Dans ce contexte national, il est important de parvenir à un équilibre entre protection de l’environnement et croissance économique. Nous pensons que les innovations techniques et commerciales peuvent concilier la protection de la biodiversité marine et les droits des États souverains, y compris les droits économiques. Pour le Portugal, l’innovation et le transfert à la société civile des connaissances et de l’expertise venant des secteurs des sciences et des technologies ouvrent la voie aux populations du monde pour qu’elles améliorent leur relation avec l’environnement marin, les ressources étant utilisées de manière plus efficace ont donc un impact moindre.

Les connaissances sont donc un élément moteur qui pourraient changer la position géostratégique du Portugal dans les domaines suivants :

1- La création de valeur ajoutée dans les activités traditionnelles, comme la pêche et l’activité portuaire, ce qui permettrait d’améliorer la bioéconomie circulaire, d’éviter la perte des ressources et de reconvertir les déchets industriels. Il s’agirait essentiellement d’optimiser l’utilisation des espèces marines déjà capturées, réduisant ainsi les niveaux des captures ou l’accumulation de déchets marins pouvant être recyclés et reconvertis en de nouveaux produits.

2- De nouvelles sources de croissance durable offertes par de nouvelles activités, de la biotechnologie à l’énergie marine renouvelable.

3- L’utilisation d’outils pour la planification, la surveillance et la gestion des espaces marins afin d’assurer l’utilisation durable des ressources. Le Portugal est également en position d’assumer un rôle dans l’utilisation des aires marines protégées en tant que mécanisme efficace de la gestion des écosystèmes marins spécifiques. Notre objectif à court terme est de protéger 10 % de nos espaces marins.

À cet égard, un changement fondamental est nécessaire. Nous ne voulons plus nous contenter de constater les impacts; nous adopterons une approche prudente afin d’éviter d’entreprendre des activités qui pourraient avoir des répercussions négatives sur les océans.

Pour y parvenir, nous devons exercer notre souveraineté.

Nous souhaitons donc :

1- Assurer une présence efficace dans nos mers par la mise en place de capacités de défense, de sécurité et d’inspection qui intègrent les navires, les aéronefs ainsi que les systèmes modernes de surveillance; faire respecter la loi et assurer l’ordre et la sécurité humaine, défendant l’intérêt public dans la recherche maritime et les zones en danger relevant de la juridiction nationale ou en partenariats; délivrer des permis et réglementer les autorisations pour les activités économiques dans les zones maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction nationale.

2- Promouvoir les connaissances des océans, un élément essentiel de la prise de conscience de la population portugaise sur l’importance de l’océan dans leur vie quotidienne et pour faire connaître aux nouvelles générations les avantages que les écosystèmes océaniques offrent à la société en introduisant un contenu spécifique dans les programmes scolaires et en proposant des activités maritimes dans les activités sportives ainsi qu’en créant des programmes de sensibilisation pour adultes.

3- Promouvoir la gestion marine ainsi que la protection du capital naturel et des écosystèmes marins en établissant des priorités d’action qui préservent et améliorent ce capital par la création d’un réseau d’aires marines protégées cohérent sur le plan écologique, fondé sur des plans de gestion sains qui contribuent à leur valorisation dans le cadre de l’économie maritime.

Pour y parvenir, il est essentiel de produire des connaissances sur les immenses ressources de nos océans et de nos mers et de les gérer. Cela nécessite un investissement stratégique dans la recherche scientifique marine qui permettra, à moyen et à long terme, une croissance économique rapide et durable. L’approfondissement des connaissances sur les ressources océaniques dans les domaines biotechnologique, géopolitique, minier et énergétique fera du Portugal un partenaire stratégique de la communauté internationale. Le Gouvernement est donc déterminé à investir dans le recueil de connaissances de l’océan qui borde le pays pour en faire un outil stratégique.

Cet engagement à développer les connaissances des océans vise à encourager les secteurs nationaux des sciences marines et de la technologie à disposer d’un capital humain très qualifié et d’un savoir-faire de qualité ainsi qu’à établir une réputation internationale qui nous permettra d’introduire l’innovation dans les produits et les processus du secteur de l’environnement marin. Cet engagement est essentiel à la gouvernance des océans ainsi qu’au développement de l’économie maritime nationale. La connaissance des mers et des océans permettra donc de promouvoir leur durabilité. Cette approche permettra au Portugal d’être concurrentiel dans des domaines comme la biotechnologie marine, ce qui permettra de développer de nouvelles applications pharmaceutiques et médicales; les technologies offshore, y compris la robotique sous-marine, les structures flottantes et les plates-formes offshore; les systèmes de surveillance des océans ainsi que la modélisation océanique et le calcul intensif qui permettront une surveillance continue de l’état des océans ainsi que des effets de l’activité humaine et du changement climatique.

L’approche adoptée par le Portugal en matière d’économie océanique reflète les grandes questions actuellement débattues au niveau international, comme l’accès aux ressources génétiques marines et le partage de leurs bienfaits; les outils de gestion spatiale marine, dont les aires marines protégées; l’évaluation des impacts environnementaux; le renforcement des capacités et la mise en œuvre de technologies innovantes. Ces questions sont au centre de la vision prônée par le pays pour assurer une utilisation durable et équitable des océans.

J’aurai l’occasion de débattre de ces questions et bien d’autres lors de la Conférence sur les océans, qui aura lieu à New York en juin 2017. J’invite également chacun à assister à la réunion intitulée « Économie bleue, culture des océans, science et innovation) qui se tiendra à Lisbonne les 7 et 8 septembre 2017 autour du thème « L’océan et la santé humaine ». Lors de cette réunion, nous avons l’intention d’établir une vision commune sur les effets positifs et négatifs qu’ont les océans sur la santé physique et mentale.

Nous devons tous prendre conscience de notre dépendance aux océans à tous les niveaux et agir pour assurer la durabilité des océans pour les générations présentes et futures.

*Ministre de la Mer au Portugal.