Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Europe: «Ce grand corps malade»

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

Recul des libertés, regain de nationalisme, disputes intra-européennes, inquiétudes et doutes: l'Union européenne donne des signes d'agonie et ses dirigeant continuent dans le déni de réalité et cultivent la langue de bois. Comme lors du sommet de vendredi dernier.

Question aux candidats au concours d'entrée dans l'Union européenne: l'UE progresse-t-elle dans la construction de son unité ou vit-elle une régression qui la mène lentement vers l'implosion? Lorsque les deux seuls acquis qui lui donnent la force de son unité que sont l'accord de Schengen (libre circulation) et la monnaie unique (l'euro) deviennent les principaux facteurs de division de l'Union, faut-il croire encore à souder ou sauver l'Union autour de politiques aussi complexes que virtuellement différentes que celles de la défense, de la fiscalité, des affaires étrangères, de l'environnement...?

L'exemple du sommet tenu à Bruxelles jeudi et vendredi dernier illustre parfaitement «l'errance» européenne à l'aune de son actualité combien perturbée, voire inquiétante: pas un mot, une remarque sur la crise espagnole où le gouvernement risque de prononcer «l'état d'exception» dans la crise catalane; pas la moindre alerte sur les résultats des élections générales en Autriche (la semaine dernière) et en Tchéquie (ce week-end) qui annoncent l'arrivée de l'extrême droite et des nationalistes durs aux affaires dans ces deux pays et, enfin, pas de clarifications et surtout d'échéances comptables dans la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union (Brexit).

Autant d'incertitudes et de menaces sur la cohésion européenne qui contrastent avec la «béatitude» qui caractérise les communiqués des sommets européens (chefs d'Etat et de gouvernement). Face aux consensus fades et «diplomatiquement corrects» des déclarations optimistes des responsables européens se trament dans les coulisses des Institutions européennes des bagarres politiques violentes entre les dirigeants des Etats membres.

L'exemple du nouveau président français, Emmanuel Macron, venu à Bruxelles avec l'ambition de réconcilier l'UE autour de «sa» vison est à la fois provocateur et naïf. M. Macron reprend la vieille idée d'une Europe à plusieurs vitesses avec un couple-pivot, celui franco- allemand, pour redynamiser l'Union. Se doute-t-il qu'une telle méthode clive et éparpille les efforts des autres Etats membres tant elle va à l'encontre du premier principe de l'Union, celui de la solidarité et du consensus pour toute option de politique commune?         Cette stratégie qui octroie au couple franco-allemand une sorte de «droit de décider ou droit de veto» a été, faut-il le rappeler, tentée par le passé et a abouti à plus de clivage et de frein à la construction européenne. Du reste, l'actualité de l'Allemagne qui met en difficulté Angela Merkel poussée à négocier avec les conservateurs arrivés en bonne place aux dernières élections ne lui laisse pas, comme jusqu'ici, une marge de manœuvre pour plus de solidarité intra-européenne y compris des compromis avec la France.

Quant au dossier du Brexit, le Sommet de Bruxelles la mis, encore une fois, en instance. C'est que les trois questions clés sont demeurées sans réponses: le solde des comptes financiers, la mobilité des citoyens britanniques et l'avenir de l'Irlande dans l'UE. Rien que ça! Quand l'UE chiffre à 60 milliards d'euros la dette britannique, Theresa May l'estime à 20 milliards d'euros.

Quand l'UE parle des droits des Européens en Grande-Bretagne, Theresa May parle des droits des Britanniques dans l'UE, quand l'UE évoque la question irlandaise, Theresa May rétorque que c'est une question purement britannique. Du coup, à la fin du sommet de vendredi à Bruxelles, le Conseil européen a botté en touche pour promettre un partenariat économique privilégié avec la Grande-Bretagne après le prononcé définitif de leur divorce dans les deux ans à venir.

Cette habitude à remettre à plus tard toute décision majeure importante dans la construction européenne est (et a été) le frein, parfois la raison de bien des échecs de l'Union. Les exemples des politiques communes de défense, des affaires étrangères ou intérieures en sont l'illustration la plus significative, tant les désaccords, sinon les oppositions sont criantes. Le cas de l'accueil des réfugiés des guerres en Syrie et Libye de ces dernières années, guerres menées par les Européens et les Américains rappelons-le, a mis à nu toute l'hypocrisie et les calculs des uns et des autres autour de l'idéal de liberté et de démocratie si loué par l'UE. Immédiatement des murs ont été élevés à l'intérieur de l'Union, les accords de Schengen suspendus et les mesures d'alerte et de sécurité portées à leur plus haut niveau: la peur d'un envahissement de l'Europe par ces malheureuses victimes de guerres.

Des pays comme la France, l'Autriche et les pays de l'Est de l'UE criaient à la fin de l'Europe face à quelques milliers de réfugiés. Pendant ce temps des pays aussi fragiles que le Liban et la Jordanie accueillaient des millions de réfugiés sans bruits ni lamentations.

Pendant ce temps, celui de la construction des murs et barbelés à l'intérieur de l'espace de libre circulation dans l'UE, les partis d'extrême droite et les nationalistes souverainistes font leurs entrées au sein des pouvoirs en Autriche, en Pologne, en Tchéquie et font pression sur les gouvernements en Grèce, en Italie, en France, en Hollande et ailleurs.

L'Union européenne voit chaque jour qui passe un peu de son idéal de liberté et de démocratie s'effriter et pour laisser place au doute, au scepticisme et à la fatalité d'une inévitable régression «féconde». L'Union européenne est malade et son avenir tel que contenu dans son projet plus qu'incertain.