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L'hôpital public sous contrainte

par Mesafer Chakib*

Jamais l'hôpital public n'a été au cœur du débat public qu'aujourd'hui. L'affaire dite de Djelfa, où la justice a rendu un verdict à l'encontre d'une catégorie de personnel soignant, relance le débat sur le niveau de gestion qui règne dans nos établissements de santé.

En qualité d'économiste en santé publique et gestionnaire en milieu hospitalier, je voudrais apporter une contribution en s'inspirant de mon constat que l'hôpital public traverse actuellement un cycle de contraintes marqué par la diminution des ressources budgétaires, la croissance de l'agressivité envers le personnel soignant, le manque de confiance des citoyens et l'absence de motivation du personnel hospitalier.

La plupart des citoyens estiment que la gouvernance fonctionne de moins en moins bien et ils sont de plus en plus nombreux à le penser. Pour mieux rendre à l'établissement public hospitalier ses titres de noblesse, il est clair qu'il faut conjuguer tous les efforts des acteurs du système hospitalier, y compris le rôle du patient. Le bien-être individuel, collectif, le maintien d'une bonne santé, la recherche d'une guérison font partie des objectifs fondamentaux de toute société, de toute organisation économique, de tout système de relations sociales. L'Algérie a accompli des efforts remarquables en matière de prise en charge de la population, en particulier depuis l'arrivée du Président Bouteflika, à travers l'implantation des nouvelles structures hospitalières et l'accroissement du budget de fonctionnement. Des investissements colossaux ont été consentis, notamment dans l'imagerie médicale.

L'évolution de la santé algérienne, dans ses dimensions démographique, sociale et culturelle, se heurte de façon constante aux problèmes de l'inadéquation entre besoins et moyens disponibles, entre dialogue et absence de communication et entre crainte et manque de confiance.

A force d'avoir acquiescé aux perceptions et croyances exprimées par une opinion publique sous-informée et mal informée, à force de ne pas avoir réalisé un travail de classification et de démystification suffisant, la gouvernance actuelle a contribué à construire une image erronée du travail du personnel soignant attaché à l'identité de l'hôpital public. Si la critique est inévitable, tant aucun système ne peut être parfait, on peut cependant s'interroger sur les raisons de ces incompréhensions (personnel soignant-citoyens).

Compte tenu de mon constat, je peux témoigner que le personnel soignant est fortement attaché à la notion de guérison et respectueux, malgré les contraintes d'agressivité et les incompréhensions exprimées par les demandeurs de soins, amplifiées par la pénibilité des actes médicaux. Alors comment remédier à cette situation ? Dans ce contexte, je peux dire que cela requiert un effort soutenu de communication avec la population sur les circonstances actuelles et futures du système hospitalier public. Si cet effort n'est pas fait en quantité et qualité suffisantes, on restera aux combats oratoires. La source de tous les maux tient à une crise du management hospitalier.

Cette noirceur du tableau est toujours affirmée. C'est ce à quoi revient la gestion des structures de santé. Le phénomène est assez grave pour que la justice s'en mêle et agit pour l'enrayer. L'hôpital public reste ce lieu socialement marqué et toujours clos sur lui-même, économiquement aussi bien spécialement. Actuellement, tout le monde dit que ça va mal et il y a une crise de motivation du personnel soignant. Cette crise, marquée par l'accroissement des actes d'incivilité et d'agressivité envers le personnel soignant à tous les niveaux, ce que relate quotidiennement la presse écrite.

Le système hospitalier en Algérie, particulièrement depuis l'instauration de la médecine gratuite, s'est développé sur la base des principes garantissant l'accessibilité des soins à tout citoyen quels que soient ses revenus ou sa position sociale. Cette option fondamentale qu'il importe de préserver a nécessité un effort colossal de la part de l'Etat. Cependant, les insuffisances de la politique de gestion des ressources budgétaires, la centralisation excessive du pouvoir de décision, les inégalités en matière de nomination des cadres dirigeants et le développement de certaines formes de pratique de gestion ont conduit le système hospitalier vers les carences. Force est de constater ce malaise. Il est essentiel de faire comprendre que l'hôpital public a besoin d'une culture adaptée à son temps et à son cycle de diminution des ressources budgétaires.

Cela se traduit par l'usage équitable des ressources vis-à-vis de chacun en fonction de ses revenus financiers. Actuellement, les moyens disponibles ne permettent pas de traiter toutes les maladies du temps sur le même pied d'égalité. D'autre part, l'accès aux soins que requiert son état, comme un droit fondamental, il conviendrait que soit explicitée et politiquement acceptée la notion que dans l'adaptation nécessaire des objectifs du système hospitalier à ses moyens disponibles, des arbitrages soient faits. Arbitrages qui pourront être l'établissement des priorités dans le développement des prestations et par conséquent le renoncement à certains traitements, acceptations du fait qu'il y a des limites à ce que qu'un établissement de soins peut offrir à chacun.

Un nouvel esprit civique. Il serait essentiel l'implication du mouvement associatif des malades pour une meilleure compréhension des enjeux actuels et futurs. Par ailleurs, pour que l'hôpital public retrouve un nouvel élan et mettre fin aux contraintes de gestion et que les professionnels de santé retrouvent la motivation dans la pratique des actes de soins, il est primordial de s'investir dans la formation continue car maîtriser la situation d'urgence dans un service hospitalier nécessite des acquisitions théoriques et pratiques mais aussi des automatismes d'intervention. Ces connaissances et ces automatismes peuvent faire défaut aux soignants ou le plus souvent souffrir d'un manque d'application du fait de l'irrégularité de la pratique de l'urgence dans les services.

Ainsi, dans le but d'améliorer la formation continue et de diminuer le stress des professionnels de santé, les cycles de formation demandée par le personnel soignant doivent tenir compte de l'évolution des besoins spécifiques aux différentes équipes, de l'actualité thérapeutique et technologique.

Compte tenu de l'importance de la formation continue, le conseil scientifique où médical doit s'impliquer davantage dans l'élaboration des priorités de formation et d'évaluer ses connaissances acquises sur le terrain afin de mesurer les coûts et bénéfices. Le conseil scientifique représente l'image d'un établissement de soins. Il constitue une source de proposition dans l'élaboration de la stratégie de bonne gouvernance et éclaire les gestionnaires en matière de choix. Cette vision de management implique la remise de l'ordre dans la hiérarchie des soins.

Nombre de personnes reconnaissent largement l'idée qu'il faut inventer d'autres formes de prise en charge, dans le but d'améliorer la qualité des soins. Ceci passe par l'ouverture de l'hôpital public sur l'extérieur, afin de mettre en place la flexibilité dans l'organisation des soins. Cette manière de gestion passe par la création des réseaux de partenariat public-privé, pour une meilleure prise en charge des malades. Actuellement, notre pays traverse un cycle de diminutions des ressources budgétaires, l'hôpital public peut inventer des pistes de ressources financières pour diversifier son budget. Ceci passe d'abord par l'assouplissement des textes réglementaires régissant la gestion comptable des établissements publics.

Le débat sur les contraintes de la gouvernance des hôpitaux en Algérie est de première importance. Mais il se déroule dans d'étranges conditions, l'opinion publique est invitée à penser que l'heure est arrivée au changement urgent pour une meilleure adaptation avec le nouveau contexte économique et sociale que vit notre pays. Je crois qu'en reconnaissant la valeur et l'utilité de l'économie de santé, on pourrait se donner les moyens intellectuels, de repenser les exigences de la qualité des soins dans toutes ses dimensions et défendre en particulier la déontologie à toutes les échelles pour éviter une nouvelle affaire dite de Djelfa. Tel est le sens de mon constat.

*Administrateur en chef des services de santé, Centre hospitalo-universitaire de Sidi Bel-Abbès.