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EL DJAZAIR autrement vue : Récit d’un roman national (3ème partie)

par Ammar Koroghli

EL DJAZAÏR SOUS LA COLONISATION

Selon une légende tenace, le «coup de l’éventail» datant de 1827 a été le coup d’envoi du blocus maritime d’Alger par la marine royale française. L’aventure coloniale avait pour objectif de consolider l’influence française dans le bassin occidental de la Méditerranée.

Le 5 juillet, les Français occupèrent Alger ; le même jour, le dey Hussein signa l’acte de capitulation. Premières conséquences: l’effondrement du pouvoir ottoman, le pillage des caisses de l’Etat, l’expulsion des janissaires d’Alger vers l’Asie Mineure et l’accaparement par la France de toutes les terres du Beylik. Le 1er décembre 1830, Louis-Philippe nomma le duc de Rovigo chef du haut-commandement en Algérie pour mettre en œuvre la colonisation dont la violence est notoire. Après avoir battu Abd El-Kader, le général Desmichels signa avec ce dernier un traité qui reconnut l’autorité de l’émir sur l’Oranie et permit à la France de s’installer dans les villes du littoral. Officiellement, le 22 juillet, la Régence d’Alger devint «Possession française d’Afrique du Nord». Abd El-Kader battit le général Trézel dans les marais de la Macta, près de Mascara. Il put également encercler la ville d’Oran durant une quarantaine de jours. Arrivé en renfort de métropole, le général Bugeaud infligea une défaite à celui-ci. Courant janvier 1836, le général Clauzel s’empara de Mascara et de Tlemcen. Le traité de la Tafna fut signé le 30 mai 1837 entre le général Bugeaud et l’émir Abd El-Kader. Ce dernier établit sa capitale à Mascara. Le comte de Damrémont, devenu gouverneur général de l’Algérie en 1837, se mit en rapport avec le bey de Constantine pour obtenir une Convention similaire se heurtant au rejet de Ahmed Bey. Courant octobre 1837, ledit gouverneur général se mit en marche sur Constantine fort de dix mille hommes. Après sept jours de siège au cours desquels le comte de Damrémont fut tué, la ville fut conquise.

En 1839, l’armée française ayant entrepris d’annexer un territoire situé dans la chaîne des Bibans, (chaîne de montagnes du nord d’El DjazaÏr), l’Emir Abd El-Kader considéra qu’il s’agissait d’une rupture du Traité de la Tafna. Il reprit alors sa résistance; il pénétra dans la Mitidja et y détruisit la plupart des fermes des colons français. Il constitua une armée régulière (dix mille hommes, dit-on), qui reçurent leur instruction des Turcs, et de déserteurs européens. Il aurait même disposé d’une fabrique d’armes à Miliana et d’une fonderie de canon à Tlemcen. Il reçut également des armes provenant de l’Europe. Nommé gouverneur général de l’Algérie française en février 1841, Bugeaud arriva à Alger avec l’idée de la conquête totale de l’Algérie. Par l’entremise des «bureaux arabes», il recruta des autochtones tout en encourageant l’établissement de colonies. Il a pu dire alors: «Le but n’est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile; il est d’empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, […] de jouir de leurs champs […]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes […], ou bien exterminez-les jusqu’au dernier.» Ou encore: «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Fûmez-les à outrance comme des renards.» De fait, en mai 1841, l’armée française occupa Tagdemt (situé à Tiaret qui fut capitale des Rostémides), puis Mascara pratiquant la razzia et détruisant récoltes et silos à grains. Il semble que l’Emir Abd El-Kader fit en vain appel au sultan ottoman. C’est ainsi que courant mai 1843, le duc d’Aumale prit par surprise la «smala» d’Abd El-Kader, faisant trois mille prisonniers (smala: «réunion de tentes abritant les familles et les équipages d’un chef de clan arabe qui l’accompagnent lors de ses déplacements»).

En février 1844, la France mit en place une Direction des Affaires Arabes pour contrôler les bureaux arabes locaux dans les provinces d’Alger, d’Oran et de Constantine, avec le dessein de disposer de contacts avec la population autochtone. Fin mai 1844, des troupes marocaines prirent d’assaut les troupes françaises installées dans l’Oranais, mais furent repoussées par le général Lamoricière. Réfugié au Maroc, l’Emir Abd El-Kader a pu décider le sultan Moulay Abd-El-Rahman d’envoyer une armée à la frontière algéro-marocaine provoquant ainsi des incidents qui, après d’infructueux pourparlers, décida le général Bugeaud de repousser l’armée du sultan marocain qui fut défaite (bataille d’Isly). L’armée marocaine dut se replier en direction de Taza, obligeant le sultan à interdire son territoire à Abd El-Kader qui finit par se rendre aux spahis (à l’origine, les spahis furent un corps de cavalerie traditionnel du dey d’Alger, d’inspiration ottomane; lors de la conquête de l’Algérie par la France, ils furent intégrés à l’Armée d’Afrique qui dépendait de l’armée de terre française). L’Emir Abd El-Kader fut d’abord placé en résidence surveillée durant quatre ans en France (il fut libéré par Napoléon III), puis résida en Syrie jusqu’à la fin de sa vie. C’est ainsi que la Constitution française de 1848 fit de l’Algérie une partie intégrante du territoire français, notamment par l’institution de trois départements français: Alger, Oran et Constantine, les musulmans et les juifs d’Algérie étant considérés des «sujets français» avec le statut d’«indigènes». La résistance continua d’être vive en Kabylie et dans l’oasis des Zaatcha dans l’actuelle wilaya de Biskra. Plus tard, la domination française s’étendit à la Petite Kabylie. Jusqu’en juillet 1857, la résistance continua dans le Djurdjura avec Lalla Fatma N’Soumer.

Révoltes constantes

A la veille du début de la conquête française, on estimait la population algérienne à trois millions d’habitants. La violente guerre de conquête, notamment entre 1830 et 1872, explique le déclin démographique de près d’un million de personnes. On évoque également les invasions de sauterelles entre 1866 et 1868, les hivers très rigoureux à la même période (ce qui provoqua une grave disette suivie d’épidémies tel le choléra). Pour les Européens d’alors, cette donnée était bénéfique dès lors qu’elle diminuait le déséquilibre démographique entre les «indigènes» et les colons. Ce, outre que le nombre important de constructions détruites avait pour dessein de gommer l’identité d’El Djazaïr. L’objectif était de détruire matériellement et moralement le peuple algérien. Sous Napoléon III, il fut question d’un «royaume arabe» lié à la France avec celui-ci comme souverain. A la même période, on a estimé que quelque deux cent mille colons, français ou européens, possédaient environ sept cent mille hectares. D’un point de vue législatif, il y eut le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 inspiré par le Saint-Simonien Ismaël Urbain, ayant trait au statut personnel et la naturalisation de l’«indigène musulman» et de l’«indigène israélite» (voire à la naturalisation des «étrangers qui justifient de trois années de résidence en Algérie», appelés plus tard «pieds-noirs»). Force est de constater qu’en décembre 1866, furent créés des conseils municipaux élus par quatre collèges séparés: français, musulmans, juifs et étrangers européens, les Français disposant des deux tiers des sièges.

La révolte de 1871 est considérée comme la plus importante insurrection contre le pouvoir colonial français. Ainsi, plus de deux cent cinquante tribus se soulevèrent (environ un tiers de la population de l’Algérie d’alors). Elle fut menée depuis la Kabylie (les Bibans ou Tiggura) par le cheikh El Mokrani, son frère Boumezrag et le cheikh Haddad (chef de la confrérie des Rahmanya). Après cette révolte, plus de cinq cent mille hectares furent confisqués et attribués aux «émigrés hexagonaux» suite à la défaite française de 1870 face à l’Allemagne. C’est ainsi que de 245.000, le nombre des colons aboutit à plus de 750.000 en 1914. A la même date, le nombre des Djazaïris («indigènes») passa de deux millions à cinq millions. Après la chute de Napoléon III, les tenants de la Troisième République préconisèrent une politique d’assimilation, notamment par la francisation des noms et la suppression des coutumes locales. Le 24 octobre 1870, en vertu des décrets du Gouvernement provisoire, le gouvernement militaire en Algérie céda la place à une administration civile. La nationalité française fut accordée aux Juifs d’Algérie (décret Crémieux) qui furent néanmoins soumis à l’antisémitisme des colons. En accordant aux juifs algériens le même statut que les Français d’Algérie, ce décret divisa les autochtones qui continuèrent de vivre dans une condition de misère accentuée par de nombreuses années de sécheresse et de fléaux. Les biens des insurgés algériens de 1871 furent confisqués. Ainsi, une loi du 21 juin 1871 attribua quelque cent mille hectares de terres en Algérie aux «migrants d’Alsace-Lorraine». Et le 26 juillet 1873, fut promulguée la loi Warnier qui eut pour objectif de franciser les terres algériennes. Le 28 juin 1881, fut adopté le code de l’indigénat qui distingua deux catégories de citoyens: les citoyens français et les sujets français («indigènes»). Ces derniers furent soumis au code de l’indigénat qui les priva de leurs libertés et de leurs droits politiques (seul fut conservé le statut personnel, d’origine religieuse ou coutumière).

Lors de la Première Guerre mondiale, la France mobilisa les habitants des départements français d’Algérie: Musulmans, Juifs et Européens. C’est ainsi que les tirailleurs et spahis musulmans combattirent avec les zouaves (unités françaises d’infanterie légère) européens et juifs d’Algérie. Il semble que près de 48.000 Algériens furent tués sur les champs de bataille lors de la Première Guerre mondiale, ayant été de toutes les grandes batailles de l’armée française (notamment à celle de Verdun). Plus tard, en 1930, la célébration par la France du centenaire de la «prise d’Alger» fut ressentie comme une provocation par la population. Le projet de loi Blum-Viollette (Front populaire) pour l’attribution de droits politiques à certains musulmans sera rejeté à l’unanimité lors du congrès d’Alger du 14 janvier 1937. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, plus de 120.000 Algériens furent recrutés par l’armée française. Avec l’occupation allemande (1940-1944), plusieurs centaines de musulmans («Nord-Africains») installés en France furent engagés pour constituer ce qui a été appelé la «Légion nord-africaine». De trois millions en 1880, la population d’El Djazaïr passa à près de dix millions en 1960 pour environ un million d’Européens.
A suivre...