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Revoir la loi sur l'Aménagement et l'Urbanisme 90-29 ?

par Benkoula Sidi Mohammed El Habib*

La véritable question : s'agit-il vraiment de «revoir» une loi pleine d'incohérence, n'ayant pas donné de résultat appréciable, donc n'ayant pas servi à grand-chose à nos territoires urbains? Je rappelle à nos architectes, jusqu'au plus haut niveau de l'État, que, déjà à l'époque, Fernand Pouillon affirmait l'inaboutissement des projets d'urbanisme (Pouillon notait, par exemple, à ce sujet dans son «Mémoires d'un architecte» : «J'ai observé que sur cent projets d'urbanisme, on n'exécutait que le dixième de l'un et la réalisation en était gâchée par l'architecture»).

En réalité, nous devons nous interroger sur l'opérationnalité des documents d'urbanisme appelés, improprement plans (le PDAU à cause de son imprécision est plutôt un schéma !), «à peine» algériens à l'origine qui ont conforté les acteurs de l'urbanisme réglementaire dans l'entaille à la règle devenue quasi traditionnelle. Mais ce qu'il faut garder en vue, c'est que l'Algérie post-indépendance a généralement recouru à la production de plans d'urbanisme ayant eu pour résultat, pour l'essentiel, l'isolement, l'étouffement des périmètres des urbanismes «anciens», et la rupture avec les urbanismes avoisinants.

Quelques propos autour de l'Urbanisme

Je dois dire que je m'acharne à expliquer, constamment, aussi bien à des collègues qu'à des étudiants du département d'Architecture d'Oran, en léthargie d'activités scientifiques, depuis quelques années, que l'urbanisme, au départ, n'est pas l'urbanisme réglementaire que nous connaissons, aujourd'hui, en Algérie. Le gain d'intérêt pour l'urbanisme coïncide avec l'émergence et l'affirmation des effets de l'industrialisation sur ce qui pouvait être qualifiée, jusque-là, de ville. L'urbanisme devient, petit à petit, surtout vers la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, une discipline ou une science pour marquer la fin d'une grande ère historique de l'établissement urbain que la plupart s'habitue à désigner, grâce à cette expression, me semblant peu fiable, «d'art urbain», et le «grand début» de la disparition de la frontière ayant séparé, pendant des siècles le monde rural et le monde urbain (Jean-Louis Harouel affirme que : «L'idée de cité a pris naissance dans une société rurale, à l'habitat dispersé, et les associations politiques qui furent alors formées étaient indépendantes de toute idée urbaine»). Ce qui fait que l'urbanisme signifie le changement des modes de production, de modes de vie, voire la rupture d'une chaîne culturelle longtemps consolidée, c'est la multiplication des théories économiques en guise de protéger les populations nouvellement urbanisées de l'exploitation peu loyales des industriels, c'est l'entassement des populations ouvrières dans des lieux insalubres pour y vivre (locaux étroits, caves infectes, etc., mais pour se faire une idée, on ne peut plus claire, sur cette étape marquante des commencements de l'Urbanisme moderne, c'est bien de se rapporter au livre d'Engels (1845) : «La situation des classes laborieuses en Angleterre» ), ce sont, aussi, des tentatives de réorganisation du travail, c'est une histoire prolifique de choc des modes de vie, et c'est également en dépit de la misère, la promiscuité qui a régné dans la ville dix-neuvième, une histoire de démocratisation disons de «la chose publique», plus que l'espace public.

L'Urbanisme renvoie d'abord à une mutation économique, qui dépasse l'esprit du prolongement des moyens traditionnels de production. Il en a résulté l'apparition de nouveaux édifices dits industriels (je pense dans le cas de nos villes aux édifices ayant des pignons à redents que des habitations individuelles ont repris, comme sur la très grande place d'El Malah (ex Rio Salado). Ne pourrions-nous pas relever la nécessité d'étudier les urbanismes à vocations industrielles, dans nos villes coloniales ? Qu'en est-il des territoires industriels actuels ? Le désastre !) et l'apparition de nouvelles organisations urbaines dont certaines ont menacé la sérénité spatiale des villes préindustrielles, celles-là mêmes qui ont cristallisé l'intérêt de Camillo Site, en pleine période de montée des nazismes (c'est ce qui m'a fait dire en référence aux idées développées de Daniel Wieczorek sur l'Urbanisme moderne que nous pouvons soupçonner le « patrimoine » d'être de tendance nazie à l'origine, position qui m'a valu des attaques indignes de certains collègues).

Remettre en cause les théories classiques d'Urbanisme

Je remets en cause toute la conception que nous avons de l'Urbanisme. J'ai plein d'idées qui risquent de me coûter cher parce qu'inédites. Grosso modo, ce que je tente de dire, c'est d'expliquer l'individualisation de l'urbanisme algérien sur fond d'inspiration résidualiste. D'un côté, il n'y a pas de projet collectif et d'un autre, on fait avec des restes de références acommodantes et incommodantes.

C'est en ce sens que j'affirme, que les grandes théories classiques, pour moi, n'expliquent pas grand-chose, dans le cas algérien. On ne peut plus s'acharner à expliquer la réalité urbaine algérienne par la lorgnette minorante de la réalité plurielle des pays développés. Par exemple, je dis que le sous-développement n'est pas négatif, tout au moins celui que je me représente, car il a un côté salvifique. C'est ce qui permet de se prémunir des effets aliénants du développement tel que la plupart se le représente aujourd'hui. Je m'atèle à penser, en terme d'équilibre, possible entre le développement et sous-développement, car comment le dire, le sous-développement conceptualisé n'est que l'expression d'une résistance des restes d'une humanité à une autre montante qui n'est pas (ou trouve de la difficulté à être) intégrée.

Pour illustrer, je rappelle mon concept de « medinisation» pour expliquer la reconstitution d'anciennes formes urbaines sur des trames orthogonales et qui permettent malgré les problèmes qu'elles présentent, une vie de quartier acceptable. Et une adaptation au réchauffement climatique. Là où l'État a échoué, le particulier a l'air de réussir une œuvre économique, sociale et culturelle.

Mais je dis aussi, que la culture est un frein. Les populations n'ont pas évolué dans la longue durée de la même façon. Le corps social algérien est tétanisé de son legs précolonial. Il ne voit pas le développement du Nord, plus qu'il ne le mime par un grand manque de conviction. Ou plutôt il est convaincu de toutes ses raisons de rester enfermé dans ses archaïsmes culturels. Il est incapable de combiner le développement du Nord avec ce qu'il reste en lui d'opérant. Pour l'Algérien, la notion de citoyenneté ne lui appartient pas, elle est étrangère à sa référence religieuse. On est encore au naufrage de Noé ! En réalité, je ne justifie pas la situation chaotique de nos territoires urbanisés, je l'explique parce que j'estime qu'on ne peut démarrer un processus de développement qu'à partir d'une réalité qu'on assume parce qu'on la comprend.

Je ne suis pas un «rejeteur» par principe. Je suis plutôt un jaugeur. J'aime la démarche de Pouillon. Un prolongeur ! Je n'aime pas faire dans l'amnésie. Encore une fois je n'excuse rien. Je veux comprendre le désordre, à quoi il tient? Comment se fait-il possible ? Ce qu'on peut en tirer pour ne pas provoquer les méfiances radicales !

Pouillon a repris des traits indigénistes dans ses desseins et dessins de palais destinés aux pauvres (les 200 colonnes d'Alger !). Il a démontré qu'il y a toujours quelque-chose à puiser.

L'urbanisme réglementaire algérien

J'ai commencé mon propos par une mise en évidence du mot « revoir » concernant la loi portant sur l'Aménagement et l'Urbanisme (voir les articles récents de la presse algérienne). J'ai remarqué que ce mot a soulevé la foudre de plusieurs architectes professionnels, anciens bien-sûr, puisque malheureusement, nous remarquons, tous, le désintérêt des jeunes pour ce type de sujets. D'abord, ils ont bien constaté que la loi 90-29 est d'un esprit inerte. Pour le dire autrement, cette loi, en plus, comme je l'ai affirmé de nombreuses fois, de ne pas être, de par son contenu, particulièrement algérienne à l'origine, car elle reprend hébètement des outils d'urbanisme coloniaux, conforte l'esprit du contre-urbanisme algérien. La loi 90-29 a servi de justification pour le casernement du territoire national, elle a habitué les Algériens à s'accommoder de l'esprit de camps des grands ensembles, que les promoteurs du secteur privé, au nom d'un managering appauvri qu'ils ont voulu, d'ailleurs, introduire dans les départements d'architecture universitaires, ont encouragé et continué, et à ne pas espérer un statut supérieur à celui de demandeur de logement comme l'affirme Mohamed Larbi Merhoum.

Cette loi, d'ailleurs, représente l'antidote le plus important du recours aux matériaux locaux et à la recherche dans le domaine de l'habitat social. Et sur ce, je dis, clairement, que je ne suis pas un fervent défenseur des matériaux locaux, une position qui n'a plus aucun sens dans la plupart des cas des villes du Nord (particulièrement), une idée devenue dogmatique, par stupidité intellectuelle, et qu'il est judicieux aujourd'hui, de faire tout simplement dans la recherche du confort en recourant à des réponses architecturales et techniques qui permettent l'économie des énergies et le respect des environnements. Ne parlons, même pas, de l'habitat rural qui est un échec flagrant, une catastrophe nationale. Sans oublier l'échec national du fonctionnalisme algérien et les dérives multiples des acteurs publics, parmi eux, des décideurs nationaux dont l'histoire urbaine finira un jour par citer les méfaits (ce n'est pas inintéressant de découvrir l'œuvre scientifique de Abed Bendjelid, géographe, et les critiques pionnières qu'il faisait de l'urbanisme algérien, dans des conditions, parfois, peu probables, politiquement parlant). Mais ce que je veux dire surtout, c'est que la loi a assis, surtout, une bureaucratisation condamnable de l'Urbanisme algérien et une administration déroutante des territoires nationaux traités comme étant les mêmes. La loi a surtout autorisé l'enlaidissement du bled par le mépris, plus que condamnable, des populations à gérer leurs territoires, et leur capacité de contrer les urbanismes officiels qui leur ont inculqué la culture du déracinement (on peut lire à ce sujet quelques travaux de Michel Ragon, et plus récents portant, particulièrement, sur la question, de Bernardo Secchi). Donc,, il ne s'agit pas, tellement, de revoir, mais de faire le bilan d'une loi qu'il faudrait plutôt abroger.

*Architecte-enseignant (USTO-MB) Docteur en Urbanisme (IUP)