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La nécessité urgente d’une éducation pour les réfugiés

par Filippo Grandi*

GENÈVE – La crise des réfugiés à travers le monde est souvent mesurée en termes de chiffres. Or, pour les réfugiés les plus jeunes, qui ne peuvent suivre une scolarité, il est un indicateur que nul ne peut inverser : l’écoulement du temps. Sur les 17,2 millions de personnes que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés) est chargé de protéger, près de la moitié sont âgés de moins de 18 ans, ce qui signifie qu’une génération entière de jeunes individus, dont on a déjà volé l’enfance, pourrait également se retrouver privée d’avenir.

Les enfants en âge d’aller à l’école représentent une importante proportion des populations déplacées. Fin 2016, on estimait à 11,6 millions le nombre de réfugiés subissant un « déplacement prolongé », c’est-à-dire en exil depuis plus de cinq ans, sans « perspective immédiate » de retour dans leur pays natal. Parmi eux, 4,1 millions sont réfugiés depuis au moins 20 ans, soit depuis plus longtemps que la période moyenne de scolarité d’un individu.

La nécessité d’une éducation pour les réfugiés est évidente. L’enfance devrait être consacrée à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, du calcul, de l’éveil, de l’analyse, du débat, de l’empathie, ainsi qu’à la fixation d’objectifs.

Ces compétences sont d’autant plus importantes pour ceux qui seront appelés à reconstruire leur pays une fois de retour chez eux. L’éducation confère par ailleurs un espace de sécurité à des enfants réfugiés sans cesse confrontés à l’agitation des migrations. Elle peut même contribuer au développement harmonieux et durable des communautés ayant ouvert leurs portes aux familles déplacées.

Malheureusement, pour un grand nombre des 6,4 millions de réfugiés d’âge scolaire actuellement pris en charge par l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, l’accès à l’éducation demeure un luxe. Alors que 91 % des enfants de la planète bénéficient de l’école primaire, la scolarisation des enfants réfugiés atteint seulement 61 %, et tombe à 50 % pour les pays à faible revenu, où vivent plus d’un quart des personnes déplacées à travers le monde. À mesure que grandissent les enfants réfugiés, ce fossé éducatif s’aggrave. Seulement 23 % des adolescents réfugiés sont inscrit à l’école secondaire, contre 84 % à l’échelle mondiale. Dans les pays à faible revenu, seuls 9 % des enfants réfugiés suivent une scolarité dans le secondaire.

S’agissant des études supérieures – creuset duquel émergeront les leaders de demain – le tableau s’assombrit encore davantage. Environ un tiers des jeunes à travers le monde suivent un enseignement universitaire ou une formation approfondie ; en dépit des bourses et autres mécanismes incitatifs, seuls 1 % des réfugiés suivent des études supérieures.

En septembre 2016, responsables politiques, diplomates, représentants publics et activistes du monde entier se sont rassemblés à l’ONU pour fixer un chemin d’avenir permettant de remédier à la détresse des réfugiés. En a résulté la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants, ratifiée par 193 pays, qui place l’accent sur l’éducation en tant que composante cruciale de la réponse apportée par la communauté internationale. Par ailleurs, l’un des 17 Objectifs de développement durable, destinés à éradiquer la pauvreté et à promouvoir la prospérité d’ici à 2030, vise à « assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie» (ODD 4). En dépit d’un important soutien en appui de la Déclaration de New York et des principes énoncés dans l’ODD 4, les jeunes réfugiés risquent encore et toujours d’être laissés pour compte. Il incombe désormais à la communauté internationale d’allier la parole aux actes.

L’éducation doit devenir une composante essentielle de la réponse à apporter d’urgence à toute crise des réfugiés. L’apprentissage en classe doit constituer la priorité majeure, afin que soit apporté un environnement stable et protecteur aux réfugiés les plus jeunes. L’éducation ne se limitant pas à transmettre des compétences de vie, mais consistant également à promouvoir la résilience, l’autonomie, ainsi qu’à contribuer à appréhender les besoins psychologiques et sociaux des enfants impactés par les conflits, elle constitue un besoin fondamental pour les réfugiés. La possibilité de fournir des opportunités d’éducation aux jeunes déplacés exigera une planification et des investissements à long terme ; il ne peut s’agir d’une réflexion après coup. Le financement de l’éducation des réfugiés doit s’avérer durable, prévisible et global, à la fois pour permettre aux systèmes d’enseignement des pays d’accueil de s’y préparer, mais également pour veiller à ce que la scolarité des enfants réfugiés ne soit pas suspendue dès lors que surviendra ailleurs une nouvelle crise.

Il est également indispensable que les enfants réfugiés soient intégrés au système d’éducation national de leur lieu de résidence. Comme partout dans le monde, les jeunes réfugiés méritent une éducation de qualité, qui suive un programme officiel, et qui soit basée sur un système rigoureux d’évaluation et de progression. Les pays d’accueil sont à cet égard les mieux équipés. La communauté internationale peut en revanche agir en soutenant davantage les enseignants, en particulier les instituteurs, précisément en assurant des salaires adaptés, des supports d’enseignement suffisants, ainsi qu’un accès à une aide experte.

La possibilité d’une éducation pour les réfugiés est une responsabilité commune. L’an dernier, à l’occasion de la Déclaration de New York, les gouvernements de la planète ont promis ensemble d’investir en faveur des réfugiés et des communautés d’accueil. L’Assemblée générale de l’ONU se réunissant à New York cette semaine, à l’occasion de sa session annuelle, les dirigeants mondiaux doivent à nouveau s’engager à l’appui de cette promesse. Car les réfugiés les plus jeunes n’ont pas de temps à perdre.

Traduit de l’anglais par Martin Morel
*Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés.