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Le retour de l'Or dans les transactions : adieu Bretton Woods (1ère partie)

par Chems Eddine Chitour*

«Le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème» Déclaration de l'ancien Secrétaire au Trésor américain, John Connally, prononcée en 1971. «Le temps est venu de remettre le système financier international sur une base incontestable, qui ne porte pas le sceau d'une nation déterminée. Sur quelle base ? Il est malaisé de s'imaginer un autre étalon que l'étalon-or. L'or, dont les propriétés ne changent pas ; qui n'a pas de nationalité et qui est considéré depuis toujours et partout comme la monnaie par excellence, ne se modifiant pas». Général De Gaulle, 4 février 1965.

Ces deux citations sont plus éloquentes que mille discours sur la mentalité de l'empire au firmament de sa puissance et la considération qu'il a envers ses vassaux européens et japonais qui ont protesté «mollement» de la décision de faire flotter le dollar le 15 août 1971. Ceci a perduré tant que les pays émergents n'ont pas émergé. Ça y est, ce qui était prévisible depuis des années commence à se mettre en pratique sans bruit mais à bien des égards c'est une révolution. Pour la première fois l'édifice de Bretton Woods sur lequel était bâti le système des transactions internationales est remis en cause par la nouvelle donne économique, sans bruit, une guerre sans mort, selon le juste mot de François Mitterrand parlant de la pression économique américaine sur la France, car la topologie du paysage financier international a changé d'une façon irréversible depuis l'apparition de nouveaux acteurs sur la scène économique internationale. Il y a d'abord l'affaiblissement économique des pays occidentaux avec à leur tête les Etats-Unis, qui se voit par une dette vertigineuse qui avoisine voire dépasse le PIB de ces pays (20.000 milliards de dollars de dette pour les Etats-Unis et 2000 milliards de dollars pour la France (95% du PIB). Il y a ensuite l'avènement des Brics, et particulièrement des deux leaders Chine et Russie, qui change la donne. On sait par exemple que la Russie travaille à se passer du système SWIFT.

Les guerres de l'or

Dans l'histoire des civilisations, l'or a toujours constitué un enjeu de pouvoir mais aussi de stabilité et surtout de crédibilité qui fait que la monnaie dure des siècles sans être remise en cause. Dans une conférence magistrale donnée par Ferdinand Lips à l'université Saint Gall, nous lisons : «Tous les facteurs négatifs que l'on discerne actuellement dans le monde résultent de deux événements particuliers, à savoir les crises politiques, les guerres, les crises monétaires et économiques, la pauvreté, le racisme, l'immigration et les migrations de peuples ainsi que le terrorisme. L'histoire du monde prouve qu'il y a une corrélation étroite entre ordre monétaire et guerre et paix. L'histoire économique démontre que les marchés financiers ne fonctionnent parfaitement que sous le régime de l'étalon-or. Elle démontre aussi qu'il y a une étroite corrélation entre l'ordre monétaire et l'éthique et la morale.» «L'histoire nous livre de nombreux exemples de gouvernants qui n'ont procédé à la création de monnaie qu'avec une grande discipline. L'un d'eux est celui de la Grèce antique, où les premières monnaies ont été battues.

En fait, le drachme a été la monnaie mondiale du monde civilisé de l'époque, en raison de sa teneur en or. Les cités grecques étaient alors prospères, le commerce s'épanouissait. Byzance nous donne l'exemple le plus imposant d'une nation à la monnaie saine. Fidèle à l'ancienne tradition grecque de la monnaie stable, l'empereur Constantin a ordonné la frappe d'une nouvelle monnaie, nommée solidus. Pendant 800 ans, le solidus - l'ancêtre du sou - est la monnaie romaine d'or au début du IVe siècle. Elle connut une exceptionnelle stabilité qu'elle conserva à Byzance jusqu'au XIe siècle et devint la base du système monétaire mondiale, circulant de la Chine à la Grande-Bretagne, de la Mer Baltique à l'Ethiopie.» (1)

«La législation byzantine était très stricte en matière monétaire. Avant d'être admis dans la corporation des banquiers, il fallait avoir des parrains. Ceux-ci devaient témoigner du caractère irréprochable du candidat. Un autre exemple frappant du succès des monnaies d'or standardisées a été le dinar d'or de l'empire arabe. A son apogée, cet empire s'est étendu de Bagdad à Barcelone. Seule une nouvelle monnaie-or, le florin d'or florentin, a permis l'essor des villes-Etats italiennes, telles Florence, Sienne, Venise et Gênes. La monnaie-or a formé la base économique de la Renaissance. La culture ne s'épanouit que si le bien-être règne et non pas quand les gens sont pauvres. La puissance de l'or et la confiance qu'il suscite ont porté l'humanité à un niveau supérieur de civilisation. Dans leur grande sagesse, les fondateurs des Etats-Unis ont prévu dans la Constitution que seuls l'or et l'argent auraient cours légal. Ils avaient horreur du papier-monnaie et d'une banque centrale. Aujourd'hui, ce fait est ignoré ou considéré comme anachronique.» (1)

Archéologie du système financier à partir du XVIe siècle

Le mot «dollar» est dérivé du nom d'une autre monnaie, le thaler, très utilisé à partir du XVe siècle, dans l'empire des Habsbourg puis dans le monde entier. Quand les États-Unis acquirent leur indépendance, ils choisirent aussi le dollar pour monnaie. Le premier dollar américain a été imprimé par la colonie du Massachusetts en 1690. Les premières pièces américaines ont été frappées à Philadelphie en 1793. Il fallut attendre la loi du 17 juillet 1861 pour que le gouvernement américain émette les premiers billets. La célèbre devise «In God We Trust» (En Dieu nous croyons) est apparue sur la pièce de 2 cents en 1864.

Aujourd'hui, plus de 99% des billets américains en circulation sont fabriqués par la Réserve Fédérale. Le dollar américain est aujourd'hui la principale monnaie de réserve utilisée dans le monde» (2).

Depuis la révolution industrielle, le système monétaire international est essentiellement basé sur l'or. Toutes les monnaies ne sont pas convertibles, mais compte tenu des sphères d'influence et du rôle déterminant de la livre sterling, l'étalon-or permet un grand développement du commerce international et des échanges sans crises majeures. Or, après 1914, l'Angleterre n'a plus les moyens d'assumer ce rôle et les États-Unis n'en ont pas le désir. La Première Guerre mondiale crée des pertes matérielles et humaines considérables qui ont des conséquences économiques majeures. L'endettement s'est considérablement accru. Beaucoup de pays ruinés n'ont plus d'or. Les accords de Gênes de 1922 créent un système d'étalon de change-or qui permet aux États d'émettre de la monnaie non plus en contrepartie d'or mais de devises convertibles en or. Ce système s'avère instable. La crise boursière puis bancaire qui frappe les États-Unis provoque l'explosion du système d'étalon change-or, chaque pays cherchant son salut dans des mesures de protection nationale. En 1933, les États-Unis suspendent la convertibilité de leur monnaie en or et créent une Zone dollar. C'est la mort du système de l'étalon change-or de Gênes»(2)

«Après la Seconde Guerre mondiale, les Alliés réfléchissent à un nouveau système permettant d'éviter d'une part les secousses monétaires internationales qui avaient suivi la Première Guerre mondiale. L'économie américaine sort de la guerre confortée dans sa position d'économie la plus puissante au monde. Les États-Unis décident donc d'organiser en 1944 une conférence dont le but est de créer un système monétaire en faisant des États-Unis et du dollar les piliers de la nouvelle architecture économique. Ils vont jouer respectivement les rôles que jouaient le Royaume-Uni et la livre avant la guerre de 1914.

Les représentants des États créent un Gold-Exchange Standard fondé sur une seule monnaie, le dollar américain : toutes les monnaies sont définies en dollar et seul le dollar est défini en or. En 1944, les accords de Bretton Woods établissent le Gold Exchange Standard dans le but d'assurer la stabilité des taux de change. Cela place le dollar américain au coeur du système monétaire international, la convertibilité en or du dollar étant fixée au taux de 35 $ l'once. Du dollar dépend désormais la croissance et l'inflation mondiales. Avec les dépenses considérables engendrées par la guerre du Viêt-Nam, la compétitivité accrue des pays européens et celle du Japon, le gouvernement américain réalise en 1971, pour la première fois au XXe siècle, un déficit commercial» (2).

«La masse de dollars dans le monde atteint alors 53 milliards de dollars, ce qui constitue plus de cinq fois les stocks d'or du Trésor américain. Les pays qui exportent le plus vers les États-Unis accumulent d'immenses réserves en dollars qui donnent lieu à autant d'émissions dans leur propre monnaie, alimentant une inflation de plus en plus inquiétante. La quantité de dollars détenus dans le monde ne peut augmenter que si la convertibilité est abolie. Les États-Unis ne veulent pas voir disparaître leur encaisse-or. Nixon, conscient des difficultés américaines à maintenir la confiance dans le dollar, annonce en août 1971 la fin de la convertibilité et, en quelque sorte, la fin du système monétaire de Bretton Woods. La convertibilité du dollar en or est suspendue le 15 août 1971. L'once d'or qui valait 35$ en 1971 cotait plus de 1.000 $ en 2008 soit 30 fois sa valeur de 1971. Le dollar avait alors perdu 96.5% de sa valeur en or. Par la suite, la crise monétaire et bancaire intense qui se développe depuis la faillite de la banque américaine Lehman Brothers en septembre 2008 a fait resurgir le spectre d'une nouvelle dépression aussi grave que la crise économique de 1929. Nous sommes en septembre l'once d'or est à 1.340 dollars après avoir frisé les 2.000 dollars» (2)

Les prémisses d'une nouvelle recomposition monétaire

Dans une contribution pertinente, l'analyste bien connu Manlio Dinucci écrit : «C'est à tort que nous considérons chaque conflit armé dans le monde comme distinct des autres. La presque totalité d'entre eux s'insère dans un rapport plus général entre d'un côté «l'empire américain d'Occident» et, de l'autre, les BRICS qui tentent de lui opposer «un ordre international alternatif». Ce rapport de force se joue aussi bien au plan militaire qu'au plan financier. La stratégie avec laquelle «l'empire américain d'Occident», en déclin, essaie d'empêcher l'émergence de nouveaux sujets étatiques et sociaux. Ce que redoute Washington se comprend par le Sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui s'est tenu du 3 au 5 septembre à Xiamen en Chine. (?) Exprimant «les préoccupations des BRICS sur l'injuste architecture économique et financière mondiale, qui ne prend pas en considération le poids croissant des économies émergentes», le président russe Poutine a souligné la nécessité de «dépasser la domination excessive du nombre limité de monnaies de réserve». Référence claire au dollar US, qui constitue presque les deux tiers des réserves monétaires mondiales et la monnaie par laquelle se détermine le prix du pétrole, de l'or et d'autres matières premières stratégiques. Ce qui permet aux USA de conserver un rôle dominant, en imprimant des dollars dont la valeur se base non pas sur la réelle capacité économique états-unienne mais sur le fait qu'ils sont utilisés comme monnaie mondiale. Le yuan chinois est cependant entré il y a un an dans le panier des monnaies de réserve du Fonds monétaire international (avec le dollar, l'euro, le yen et la livre sterling) et Pékin est sur le point de lancer des contrats d'achat du pétrole en yuan, convertibles en or. Perdant du terrain sur le plan économique, les USA jettent sur le plateau de la balance l'épée de leur force militaire et de leur influence politique» (3).

Une entrée discrète de l'Or dans le système du règlement des transactions pétrolières

«L'or physique, écrit Fabrice Droin Ristori, est sur le point de signer son retour au centre du système de règlement des transactions pétrolières. Un premier pas vers une réintroduction au centre du système monétaire international. La Chine, après des années de préparation (bien aidée par le comportement intriguant du cours de l'or), vient donc d'annoncer la fin programmée du système monétaire post Bretton Woods. Comment ? En lançant des contrats à terme (futurs) sur le pétrole libellés en yuan d'ici la fin de l'année... permettant ainsi aux pays exportateurs de pétrole d'obtenir des yuans en échange de leur pétrole et de convertir ensuite ces yuans en or physique sur les marchés de Shangai et Hong-Kong. Tout cela est préparé depuis des années en silence (du moins dans la presse occidentale) via la mise en place de plateformes permettant une meilleure convertibilité du yuan à l'international, ainsi que la signature d'accords d'échanges bilatéraux avec les pays producteurs de matières premières, au premier rang desquels la Russie».(4)

«De nombreux pays exportateurs de pétrole, n'ayant pas encore suffisamment confiance dans le yuan (ou sous la menace de sanctions américaines), vont très logiquement basculer vers ce nouveau «système» pour éviter d'utiliser le dollar et échanger, dans un premier temps, leur pétrole contre des yuans, puis, contre de l'or physique. Ceci réintroduira tout simplement l'or physique au centre des échanges de pétrole et, par conséquent, au centre du système monétaire international en mettant fin au système qui a donné sa puissance aux États-Unis : le système du pétrodollar.

A suivre

*Ecole Polytechnique Alger

Notes :

1. Ferdinand Lips http://www.geopolintel.fr/article462.html

2. Chems Eddine Chitour https://www.legrandsoir.info/Le-declin-de-l-empire-Les-convulsions-du-dollar.html

3. Manlio Dinucci Il Manifesto (Italie) http://www.voltairenet.org/article197861.html

4. Fabrice drouin ristori https://www.goldbroker.fr/actualites/or-fait-sa-rentree-au-centre-du-systeme-monetaire-international-1182